15,7 milliards d'euros : c'est le volume de dépenses supplémentaires qu'a supporté l'assurance-maladie sur cinq ans. Comme le rappelle Thomas Fatôme, son directeur général, chacun connaît intuitivement les facteurs de cette dynamique entre 2015 et 2020. Première cause, l'explosion du nombre de malades chroniques dont les effectifs grossissent d'année en année : 440 000 personnes en plus pour le diabète, 540 000 autres pour les maladies cardiovasculaires.
Seconde cause, la hausse exponentielle du prix de nombreux traitements. À titre d'exemple, le coût moyen pour un cancer en phase active a connu une hausse annuelle de 3,4 %. Plus précisément, entre 2015 et 2020, la prise en charge du cancer du poumon, améliorée par l'immunothérapie, a augmenté de 50 %, à 25 300 euros en moyenne.
Restait à répondre aux intuitions. Avec pour seule base les données de facturation des soins, l'assurance-maladie est parvenue à étayer les tendances par des graphiques et des diagrammes chiffrés afin de les rendre lisibles pour les acteurs politiques, les chercheurs, mais aussi les professionnels de santé et tout autre citoyen.
1,5 milliard de feuilles de soins anonymisées
Le site Data Pathologies, lancé le 21 juin par l'assurance-maladie, permet à la fois une lecture dynamique et comparative de l'évolution des principales pathologies. Prévalence, comorbidités, dépenses affectées à chaque pathologie, en soins, en médicaments… Ces indicateurs sont cartographiés à partir des chiffres de tous les régimes obligatoires (1) de 2020. Une compilation de données inédite car, comme le souligne le directeur général de l'assurance-maladie, aucun pays de taille comparable à celle de l'Hexagone ne peut agréger les chiffres avec une telle ampleur.
Il est également possible d'entrer dans cet outil par la porte géographique, en interrogeant les données à l'échelle d'une région ou d'un département. « Une comparaison est ainsi possible entre régions mais aussi entre départements au sein d'une même région », décrit Damien Vergé, directeur de la stratégie, des études et des statistiques (DSES) à la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM). Il insiste sur la granularité de cette approche, une échelle moindre n'aurait aucun sens pour bien des pathologies car certains chiffres, non représentatifs, perdraient alors de leur pertinence. Sans compter, insiste le DSES de la CNAM, que l'anonymat le plus absolu doit être garanti pour ces 1,5 milliard de feuilles de soins exploitées et « pseudonymisées ». Soit les données agrégées de 66,3 millions de personnes ! Le numéro de Sécurité sociale est ainsi crypté trois fois, ce qui rend impossible l'identification de l'assuré.
En effet, les prescriptions médicales composent en grande partie la matière première de ces data. Le traitement est en effet l'information qui permet de cibler une pathologie, comme le diabète. Parfois, la piste est moins évidente et c'est par recoupement que les analystes parviennent à identifier la pathologie (lire page 5). Certaines, en revanche, passent à travers les mailles du filet, tous les diagnostics ne pouvant être tracés ; c'est le cas des syndromes grippaux ou des « gastros », trop peu explicites à la lecture d'une prescription de médecin généraliste.
L'assurance-maladie a par ailleurs tenu à une acception large du terme de pathologie qui relève parfois davantage de l'épisode de soins. Ainsi, figurent des items tels que « maternité », « hospitalisation sans lien avec une pathologie », comme la pose d'une prothèse de hanche, ou encore la prise répétées de psychotropes sans qu'une maladie psychiatrique soit détectée.
Des notions prédictives
Par le biais des comorbidités, un patient peut donc contribuer à l'alimenter les datas de plusieurs de ces 17 grandes catégories de pathologies déclinées en 57 sous catégories (2) dans cet outil. Celui-ci est par ailleurs appelé à évoluer. « Il s'agit d'un matériau vivant qui peut susciter la création de nouvelles catégories dédiées à de nouvelles pathologies, comme nous l'avons fait en 2020 avec le Covid », précise Damien Vergé (voir ci-dessous). Pour l'heure, l'outil permet un diagnostic très approfondi de notre système de santé, et plus précisément de la santé des Français.
Ces datas facilitent le suivi des évolutions lourdes de ces dernières années et révèlent sans surprise la concentration des dépenses sur les pathologies chroniques. Touchant 24 millions d'assurés, elles accaparent deux-tiers des dépenses (104 milliards d'euros soit en moyenne 4 300 euros par personne). Arrivent ensuite les hospitalisations ponctuelles, 33,4 milliards d'euros pour 8,2 millions de personnes, soit 4 100 euros en moyenne. Mais, à y regarder de plus près, certains postes de dépenses comme la santé mentale, représentent un enjeu encore plus important. « En effet, 8,4 millions de personnes sont suivies en santé mentale pour un volume de dépenses de 23,3 milliards d'euros, soit 2 800 euros par personne ! », remarque Thomas Fatôme. Pour un volume de dépenses légèrement inférieur – 21,2 milliards d'euros -, 3,4 millions de personnes sont traitées contre un cancer.
Ces constats riches d'enseignement permettront d'aiguiller les politiques de prévention et de dépistage, de définir les priorités et d'anticiper les évolutions. Que ce soit au niveau national, mais aussi des régions. Car cette cartographie est à même d’illustrer les disparités dans les conditions de prises en charge d'un territoire à l'autre. De même, cette approche espace-temps de notre système de santé met en lumière les évolutions et les mutations thérapeutiques intervenues au cours des dernières années. À l’instar du virage ambulatoire pris par le traitement des cancers au cours des cinq dernières années. Les dépenses à l'hôpital ont ainsi baissé de 224 euros par patient pendant que les soins de ville – hors médicaments - croissaient de 281 euros.
(1) Les données tous régimes sont disponibles depuis 2015.
(2) Maladies cardiovasculaires, traitements du risque vasculaire, diabète, cancers, pathologies psychiatriques, traitements psychotropes, maladies neurologiques et dégénératives, maladies respiratoires chroniques, maladies inflammatoires, rares et VIH, insuffisance rénale chronique terminale, maladies du foie et du pancréas, ALD, traitements par AINS, séjours hospitaliers ponctuels, séjours hospitaliers pour Covid-19 ainsi que traitements et soins en absence de pathologies.
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