Quelle équipe officinale n’a pas rencontré cette situation embarrassante du patient venu chercher son traitement antipsychotique au comptoir ? Les salariés disparaissent dans le back-office pour y réaliser une tâche subitement importante, suppliant du regard le titulaire pour qu’il prenne le relais. Car, championne de la molécule, la profession n’a pas été formée à l’accueil de ces personnes qui requièrent une écoute particulière. Ou dont le comportement peut perturber la file d’attente aux heures de pointe.
« Une récente enquête que nous avons menée a révélé que la personne schizophrène est considérée comme dangereuse par 90 % des pharmaciens, contre 83 % de la population générale. 71 % des officinaux se sentent mal informés tandis qu’un sur deux déclare se sentir mal à l’aise pour initier un temps d’échange avec le patient, un taux que nous retrouvons également chez les médecins », expose Laurence Trouiller, déléguée départementale Nord de l'UNAFAM (1).
À la lueur de ces constats, la santé mentale resterait une grande inconnue de l’exercice officinal. Pourtant, les vagues d’attentats ont contribué à la vulgarisation des psychotraumatismes. Plus récemment, la crise sanitaire a levé le voile sur les troubles mentaux révélés par les confinements successifs. « Les cas de dépressions ont augmenté de 24 %, tandis que les tentatives de suicide ont cru chez les jeunes, et ce de plus en plus tôt, l’âge moyen étant désormais de 13 ans et demi », remarque le Dr Martine Lefebvre, présidente de la Fédération régionale de recherche en psychiatrie et santé mentale Hauts-de-France (F2RSM Psy). De son côté, le Pr Guillaume Vaiva, psychiatre PU-PH au CHU de Lille, estime que dans ce contexte post-crise, comme après chaque traumatisme vécu par une société, le phénomène devrait même s’accentuer. Comment faire face à cette explosion de cas de dépressions et de troubles bipolaires, sinon en intégrant les pharmaciens qui croisent tous les jours les parcours de ces patients, interroge le Pr Benoît Vallet, ex-directeur général de l’ARS Hauts-de-France (2).
Repérer les signaux
Pourvu que soient levés certains tabous, et pour peu que toute stigmatisation soit évitée, les points de contacts entre les patients et leur pharmacien sont multiples, comme l’ont révélé les différentes interventions de professionnels et de patients lors de cette journée de sensibilisation. « Face aux différentes expressions de la dépression, le pharmacien a un rôle essentiel dans le repérage », plaide le Dr Lefebvre. Elle en veut pour exemple la dépression post-partum, désormais peu dépistée en milieu hospitalier en raison de la réduction des séjours maternels. « Pourtant, la dépression post-partum est la première cause de mortalité de la femme en période périnatale », lâche le médecin. De même, insiste-t-elle, les échanges avec les familles peuvent mettre au grand jour des pathologies dont on sait qu’elles débutent pour les trois-quarts d’entre elles avant l‘âge de 24 ans.
Il ne s’agit pas pour le pharmacien de poser un diagnostic, ni de s’impliquer dans une prise en charge. Son rôle de veilleur, encore mal connu à l’officine, peut se contenter d'une diffusion d’informations. Ainsi, à l'aide de nombreux supports mis à la disposition du public (voir encadré), l’équipe officinale peut émettre auprès des patients et de leur famille un conseil d’orientation vers une structure adaptée, comme un centre médico-psychologique (CMP). « La place du pharmacien est très importante car il est à la croisée des chemins entre les soins et la ville. Ouverte sur la ville, la pharmacie est le morceau d’humain qu’attendent les patients, elle leur redonne leur place de citoyens comme les autres », rappelle le Dr Claude Finkelstein, présidente de la Fédération nationale des associations d'usagers en psychiatrie (FNAPSY). Pour les aidants aussi, l’officine représente un point d’ancrage essentiel. « 50 à 80 % des personnes schizophrènes restent dans leur famille. Comment dans ce cas, être dépourvus d’appréhension, nous, les parents, lorsque nous venons chercher à la pharmacie un traitement « stigmatisant » ? », lance Laurence Trouiller. Se faisant l’écho des familles de jeunes schizophrènes, elle invite les équipes officinales à être attentives à ces aidants en quête de réponses à leurs nombreuses questions.
Au-delà de la délivrance
Pierre Coubelle, membre du FNAPSY, qui souffre de troubles bipolaires résistants, attend beaucoup des pharmaciens dont les services comme la PDA restent encore trop souvent méconnus des patients. Mais surtout, déplorant que les médecins généralistes ignorent encore trop souvent la pathologie de leurs patients essentiellement suivis par des psychiatres, il estime que les officinaux devraient eux aussi, « être dans la boucle ». Les pharmaciens le sont pourtant de manière implicite dès la délivrance du traitement. Comme l’ont révélé les études de cas abordés lors d’ateliers organisés par l'URPS pharmaciens des Hauts-de-France, il n’est pas rare que des risques iatrogènes surviennent au détour des ordonnances. Des prescriptions font ainsi apparaître des contre-indications entre produits torsadogènes, associant notamment de l’hydroxyzine, encore prescrite par certains généralistes. De même des risques de surdosages peuvent survenir en présence d’une délivrance conjointe de clozapine, obligatoirement prescrite par un psychiatre, et de Nicopatch. Ou encore la prescription de cortisone à une patiente bipolaire ne manque pas de soulever quelques interrogations.
La vigilance du pharmacien est également requise dès l’instauration du traitement. L’observance thérapeutique est en effet indispensable pour éviter une évolution vers le handicap psychique, car il s’agit en effet de pathologies chroniques. « La maladie mentale est la première cause d’invalidité et de mise en ALD », estime nécessaire de rappeler le Dr Lefebvre. Or le risque de rupture de traitement n’est jamais loin. De fait, rappelle le Dr Pierre Thomas, psychiatre au CHU de Lille, une étude parue en 2004 dans le « New England Journal of Medicine » (NEJM) a démontré que 75 % des patients schizophrènes ne suivent plus leur traitement au bout d'un an. Prise de poids, troubles anxieux ou dépressifs… « A l’instauration du traitement, ces effets indésirables doivent être évoqués de manière proactive par le pharmacien afin de favoriser l’adhésion du patient », souligne-t-il. « Il n’y a pas de fatalité pour les patients sous psychotropes. Des moyens d’éviter ces effets secondaires existent, en mettant par exemple en place des mesures hygiéno-diététiques. On peut proposer au patient de pratiquer une activité physique, même si cela requiert bien sûr de la motivation », expose le médecin.
Selon lui, le pharmacien doit être acteur pour créer une alliance thérapeutique en suscitant la confiance. Très didactiques, les fiches de Réseau PIC (voir encadré) constituent de précieux compléments d’information à remettre aux patients pour favoriser la compréhension de leur traitement.
Qu’elle soit en initiation de traitement, en traitement ou à risque de rechute, la personne souffrant de troubles psychiatriques doit être au cœur de liens interprofessionnels afin d’être abordée dans la globalité de son traitement. Celui-ci, particulièrement contraignant, confère au pharmacien une place toute légitime dans cette approche pluridisciplinaire. Sans compter, comme le souligne le Dr Claire Pollet, pharmacienne chef de pôle-EPSM Lille Métropole (3), que « les patients en santé mentale, souvent en difficultés du fait de leur isolement, seront toujours reconnaissants à leur pharmacien de l'attention qu'il leur portera ».
* À retrouver sur https://bit.ly/3Efyxov
(1) Union nationale de famille et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques.
(2) Désormais président du Conseil d’administration de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES).
(3) Membre de Réseau PIC et de la Société française de pharmacie clinique (SFPC).
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