Il aura fallu une crise sanitaire pour démontrer et concrétiser le rôle du pharmacien d’officine dans l’orientation diagnostique. En 2024, l’implantation des TROD (tests rapides d’orientation diagnostique) dans le quotidien officinal est franche et reconnue. « Ce matin encore, j’ai réalisé un TROD cystite à une femme qui présentait des symptômes. Le test était positif et j’ai pu lui délivrer le traitement. Cette prise en charge globale répond à un vrai besoin et les patientes ont bien identifié la pharmacie comme lieu de test », témoigne Mathilde Aubineau, pharmacienne en Nouvelle Aquitaine. Car c’est bien en termes de parcours de soins que cette mission confiée au pharmacien a été pensée, lui permettant ainsi d’aller jusqu’au bout de la démarche, à savoir la dispensation du traitement si nécessaire.
Dans cette logique, le TROD n’est qu’une étape dans une stratégie globale de prise en charge de premier recours. La nouvelle mission des pharmaciens ne se limite pas à réaliser le TROD, mais bien à « participer à la stratégie diagnostique, grâce à sa proximité avec la population et son expérience de professionnel de santé », explique Cédric Carbonneil, chef du service évaluation des actes professionnels à la Haute Autorité de santé (HAS). Une participation qui pose des conditions : « Il y a trois aspects fondamentaux : l’évaluation préalable des tests, la formation à la stratégie de prise en charge, d’où les algorithmes encadrant les protocoles angines et cystites, et la réalisation des tests dans de bonnes conditions, conformes aux bonnes pratiques. »
À la frontière de la biologie médicale et de la médecine, la réalisation des TROD constitue quasiment un nouveau métier pour l’officinal. Prélèvement, gestion des déchets, traçabilité des résultats… la procédure qualité est incontournable à chaque étape en commençant par celle du référencement. « Lors de la pandémie, on a pu observer une grande hétérogénéité dans l’offre de TROD antigéniques avec des performances (sensibilité et spécificité) très variables selon les marques, et alors que tous les dispositifs avaient le marquage CE. Cela met en évidence les limites du marquage CE sous sa forme actuelle, et de l’autocertification », note le représentant de la HAS. « Pour réaliser la mission d’orientation diagnostique, le pharmacien doit pouvoir compter sur des tests performants et être en mesure de contrôler en permanence leur origine et leur qualité », confirme Joseph Coulloc’h, pharmacien biologiste et président fondateur de la société AAZ. Le nouveau règlement européen relatif aux dispositifs médicaux (DM) y compris aux DMDIV (DM pour le diagnostic in vitro) prévoit une évolution du marquage CE.
« Selon le nouveau règlement, les tests utilisés en TROD devront passer devant un organisme notifié et fournir des données cliniques. Cela devrait permettre de monter en crédibilité, commente Cédric Carbonneil, ajoutant que l’implication systématique d’un organisme notifié est déjà en place pour le marquage CE des autotests. »
Depuis le mois de juin, le pharmacien est également soumis à une obligation de contrôle externe des tests (par lots) qu’il utilise. « Pour lui simplifier cette tâche, nous avons mis en place un accès direct à nos certificats de contrôle réalisés par les laboratoires hospitaliers, via un QR code sur chaque boîte », explique le président d’AAZ. Autre nouvelle responsabilité qui incombe aux pharmaciens testeurs, la surveillance des incidents et risques d’incidents associés à ces tests. « S’inscrire dans la démarche de réactovigilance est un réflexe que le pharmacien d’officine doit acquérir, comme il le fait déjà en termes de pharmacovigilance », insiste Cédric Carbonneil.
Les autotests doivent démontrer un bénéfice individuel, mais également un bénéfice collectif
Cédric Carbonneil, HAS
Aux côtés des TROD, les autotests imposent une démarche différente, ne serait-ce que par leur finalité et la population à laquelle ils sont destinés. « Dans le cadre du dépistage, les autotests s’adressent à des personnes asymptomatiques et la probabilité d’être malade est plus faible. Ils doivent donc être techniquement très performants et obéir aux critères fixés par l’OMS. Non seulement, ils doivent démontrer un bénéfice individuel, mais également un bénéfice collectif, comme le fait de casser une chaîne de transmission », commente Cédric Carbonneil. Outre la performance et la sécurité, le test de dépistage doit être techniquement facile à réaliser et idéalement peu coûteux pour répondre à son objectif de santé publique. À ce jour, seuls les autotests VIH et Covid ont fait l’objet de recommandations et leur intérêt est bien défini. « Un autotest n’est pas un gadget, il engage la santé du patient », prévient le président d’AAZ. Autrement dit, la dispensation de ces tests implique une responsabilité élargie de l’officinal. En 2015 par exemple, la mise à disposition de l’autotest VIH a renforcé le rôle du pharmacien dans la prévention des IST mais aussi dans l’éducation à la santé sexuelle. « Ce test a aidé à lever des tabous au sein de la profession. Mais sa dispensation nous oblige à adopter une attitude qui n’est pas celle du dispensateur ; au-delà du test et de son résultat, il y a une exigence d’accompagner et d’orienter », souligne Bruno Laurandin titulaire en région parisienne.
La menace d’une marchandisation
Si les TROD en officine ont connu un déploiement notable au cours des derniers mois, l’offre en autotests reste réduite. Ou plutôt raisonnable (lire encadré). Après une tentative de diversification à la fin des années 2010 (Lyme, TSH, cholestérol, etc.), la question de la pertinence de « l’autotest pour tout » s’est posée : cette démarche répond-elle à un besoin de santé ou à une attente de consommateurs ? À l’époque, l’Académie nationale de pharmacie a réalisé un rapport, dont les conclusions restent d’actualité. « Dans notre rapport de 2017, nous avons évalué l’intérêt potentiel de ces autotests pour la responsabilisation du patient sur sa santé et à l’inverse, le risque de rassurer ou d’alarmer à tort tout en laissant le patient face à des données d’interprétation non vérifiables issues d’internet et des réseaux sociaux », se souvient Michel Vaubourdolle, pharmacien biologiste médical hospitalier (APHP) et membre de l’Académie nationale de Pharmacie. Sept ans après, l’Académie conserve la même position et met en garde contre une marchandisation du dépistage : « il apparaît dangereux d’avancer à marche forcée sur le développement d’autotests si rien n’est fait pour garantir leur fiabilité, la démonstration de l’intérêt clinique en regard des examens de biologie médicale (y compris délocalisés), la formation des professionnels de santé et la coordination entre les professionnels de santé en incluant les biologistes médicaux qui sont les experts en la matière et qui disposent d’un excellent maillage territorial. »
TROD et autotests en pharmacie
Selon l’arrêté du 1er août 2016 actualisé le 21 mai 2024, les TROD réalisables par les pharmaciens d’officine sont :
- Test capillaire d’évaluation de la glycémie (dans le cadre d’une campagne de prévention du diabète)
- TROD angines à streptocoque du groupe A
- TROD grippe, Covid-19 et infection à VRS
- TROD cystite aiguë : recherche de nitriturie et leucocyturie
La place des autotests suivants dans la stratégie de dépistage a été évaluée et confirmée :
Dispositif sans prescription pour renseigner sur la présence d’un marqueur biologique :
- Autotest de grossesse ou d’ovulation
- Autotest VIH (recommandations HAS, 2015)
- Autotest Covid-19 (réponses rapides HAS, 2023)
Dispositifs sur prescription pour accompagner les patients dans la prise en charge de leur maladie :
- Lecteurs de glycémie/cétonémie
- Autocontrôle de l’INR
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