Après sept années de piétinement, la réforme du troisième cycle des études de pharmacie connaîtrait-elle enfin un sursaut ? Lors du Congrès national des pharmaciens à Montpellier, le ministre de la Santé a formulé peu d’annonces à l’intention de la profession. Mais il est en revanche venu chargé de deux avancées qui devraient changer la donne pour les étudiants de sixième année.
François Braun a en effet entériné la création de deux diplômes d'études spécialisées (DES), l’un dédié à la filière industrie, le second à la filière officine. Il a par ailleurs indiqué que ce stage de sixième année en officine serait assorti d’une indemnité de déplacement, afin d’inciter les étudiants à se rendre dans les territoires. Quelques heures plus tard, le bureau de l’Association nationale des étudiants de France (ANEPF) a appris que l'indemnité de stage de 6e année en officine pourrait passer de 619,24 euros actuellement à 1 200 euros, voire 1 250 euros. Ces coups de pouce ne sont pas anodins. Ils conditionnent plus qu’ils n’en ont l’air le choix des étudiants pour la filière officine et, au-delà, l’avenir de l’exercice officinal et sa relève.
Gagner en autonomie
Ce diplôme court est en effet l'une des mesures phare de la réforme du 3e cycle des études de pharmacie. Les étudiants n’ont eu de cesse de le réclamer à travers leur représentation, l’Association nationale des étudiants en pharmacie de France (ANEPF). Cette revalorisation du stage de sixième année, qui se déroulerait de septembre à août, a pour but « non seulement d'évaluer un savoir seul, mais aussi un savoir-être (comportements, attitudes) et un savoir-faire qui rythment quotidiennement le travail de pharmacien », rappelait en mai l'ANEPF. « Ce stage de neuf mois va donner la possibilité aux étudiants de s’investir davantage dans les nouvelles missions à l’officine et de s’impliquer dans le suivi des patients sur la durée », abonde aujourd'hui Adrien Caron, vice-président de l'ANEPF chargé de l'enseignement supérieur, rappelant que ces évolutions du métier sont enseignées dans les facultés.
« Nous allons avoir plus de temps pour leur faire découvrir les nombreuses facettes de notre métier », s’enthousiasme Éric Myon, secrétaire général de l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF). Tandis que Philippe Denry, vice-président de la Fédération nationale des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), acquiesce : « Au cours de ce stage de neuf mois, l’étudiant va gagner en autonomie et il sera alors possible, avec une supervision, de lui déléguer des tâches. » Le vice-président de la FSPF fait le parallèle avec les étudiants en médecine générale auxquels des consultations sont confiées au sein du cabinet. Selon lui, à l’issue de cette sixième année, les étudiants en pharmacie auront eux aussi parfait leur apprentissage du métier et seront opérationnels.
Cette immersion de neuf mois en officine va également leur permettre d’appréhender des notions de gestion et de management dont ils n’ont qu’un aperçu théorique durant leur cursus. Un aspect non négligeable car la demande d’initiation à la gestion de l’entreprise est forte parmi les jeunes diplômés, potentiels repreneurs d’officine.
Voie royale pour l’officine ?
De manière plus générale, ce DES officine a pour objectif de redorer le blason d'une filière qui manque de visibilité et, par conséquent, de vocations. Sans forcément revenir sur les 1 000 postes restés vacants en deuxième année à la rentrée 2022-2023, c’est l’ensemble du réseau qui pourrait bénéficier demain de cette revalorisation. Car cette reconnaissance de l’étudiant par un DES dédié va de pair avec la reconnaissance de la voie officine en tant que spécialité. Juste retour des choses au regard de la dynamique que connaît le métier depuis près d’une décennie, estime Philippe Denry. « Porte d’entrée dans le parcours de soins, la pharmacie d’officine a toute sa place comme spécialité au même titre que la médecine générale. »
L'officine, porte d’entrée dans le parcours de soins, mais aussi dans l’accès aux soins. C’est d’ailleurs dans cet esprit que s’est exprimé le ministre de la Santé en annonçant la création d’une indemnité de déplacement afin d’inciter les étudiants à investir les territoires. Car les frais induits par le stage de sixième année ont été trop longtemps un frein au choix des étudiants pour cette filière. L’augmentation significative de l’indemnité de stage à la rentrée 2024 est un autre pas décisif. Que n’a pas manqué de saluer l’ANEPF, qui la réclamait depuis plusieurs années. Comme le confirme Adrien Caron. « Jusqu'à présent, il n'était pas rare que des étudiants se détournent de la filière officine pour des raisons financières. » Ces mesures suffiront-elles à inciter les étudiants à s’éloigner du halo des villes universitaires auquel ils restent désespérément vissés dans 90 % des cas ? « Il n’est pas encore précisé comment ces étudiants seront répartis. Selon le volontariat ? Selon un classement ? », interroge Philippe Denry, précisant que cette dernière modalité n’a pour l’instant pas recueilli l’assentiment des représentants d’étudiants.
Une meilleure répartition sur le territoire suppose également que des lieux de stage soient disponibles en nombre suffisant. En cette période de pénurie de personnels, des titulaires sensibles à l’apport de jeunes impliqués pendant un an dans la vie de leur officine pourraient se porter volontaires comme maîtres de stages.
Une rémunération en question
Reste que plusieurs éléments de réponse manquent encore pour pousser les candidatures. En effet, si le projet n'évolue pas, pharmaciens titulaires comme stagiaires de sixième année sont voués à rester les sans-grade de ce troisième cycle. En effet, en l’état actuel du chantier, le statut de maître de stage universitaire n’est pas davantage prévu pour le titulaire que celui d’interne en pharmacie ou de résident n'est envisagé pour le stagiaire. Ce n’est pourtant pas faute d'avoir réclamé cette évolution. « Nous demandons depuis plusieurs années que les étudiants de sixième année, donc quasiment doctorants, aient le statut de résidents ou d'internes en pharmacie d'officine », rappelle Adrien Caron.
Le plus grand flou règne également sur le financement de l'indemnité de stage. Selon l’ANEPF, il devrait être réparti entre les titulaires et l'État selon des clés qui restent à définir. « De plus, nous ne savons pas si l’État prendra à sa charge les cotisations sociales liées à cette indemnité », souligne Philippe Denry, qui risque une nouvelle comparaison avec la médecine générale. « Il est à rappeler que les généralistes ne rémunèrent pas leurs internes, et pourtant ils perçoivent eux-mêmes une indemnité ! » De fait, les médecins généralistes sont rétribués environ 600 euros brut (équivalent temps plein de 4 jours) pour accueillir un interne en médecine générale. Quant à celui-ci, il perçoit une indemnité mensuelle entre 1 700 et 1 800 euros* nets avant impôt par le CHU, via des fonds provenant de l’ARS.
Certes, ces récentes annonces cochent les cases d’une réforme souhaitée par les étudiants comme par les représentants des titulaires. Mais en dépit de ces avancées positives en adéquation avec la base de la réforme, beaucoup de zones d’ombre méritent encore d’être éclaircies. À mi-chemin entre satisfaction et circonspection, Philippe Denry observe « nous avançons étage par étage. À condition toutefois que la prochaine étape ne prenne pas à nouveau sept ans ! »
Pourtant les espoirs de la profession, nés en tout début de semaine dernière, ont été vite douchés. Sonia Jouve, membre du bureau de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) ne cache pas son amertume. « Le rendez-vous que nous avions le mardi 13 juin avec les ministères a été annulé la veille et reporté dans quatre semaines, au cœur du mois de juillet », relate-t-elle, ajoutant qu’un courrier commun aux représentants de la profession appuyait la position des étudiants. Des étudiants qu’elle incite à demander immédiatement une entrevue aux ministères concernés. « Ils ont tout notre soutien ! »
* Se décomposant comme suit : 1 200 euros d'indemnité de base mensuelle, 435 euros bruts de prime mensuelle de sujétion, 80 euros de prime non nourri/non logé et 130 euros d'indemnité de transport (moyennes).
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