En 2030, quelque deux milliards de personnes auront plus de 60 ans dans le monde. Elles représenteront un poids social majeur, l’âge étant le facteur prédictif principal de la plupart des maladies constituant le fardeau de la morbidité, de la mortalité et des coûts de santé. Par ses conséquences, son vieillissement a, de tout temps, effrayé un Homme qui, conscient d’un déclin plus ou moins rapide, a cherché à enrayer ce processus inéluctable. Oubliées les potions à base de métaux inaltérables du Moyen-Âge : l’ère est aux super-aliments, aux nutraceutiques voire aux médicaments censés restaurer la jeunesse ou, pour le moins, ralentir les troubles liés à l’âge. L’un des porte-étendards de cette quête, l’Américain Bryan Johnson, millionnaire de 45 ans, voue sa fortune à retrouver ses 18 ans. En plus d’un exercice physique quotidien, il s’astreint à un rythme de vie régulier et à un régime vegan « calibré » sans oublier d’avaler une cinquantaine de substances nutraceutiques chaque jour. Suivi par des spécialistes, il réalise des batteries de tests biologiques et autres IRM… Ce programme (Blueprint, https://blueprint.bryanjohnson.com/), non exempt de mercantilisme, aurait permis au quadra de reculer d’environ 5 années biologiques son âge civil. Sur quel rationnel repose ce type de démarche ?
Cellules « zombies » et sénescence
Le processus de sénescence cellulaire a été découvert en 1961 par le biologiste américain Leonard Hayflick : il conduit à une limite du nombre de divisions au-delà de laquelle une cellule ne se divise plus, cesse de réaliser son activité métabolique normale et entre en sénescence. Ce phénomène évite la prolifération de cellules fonctionnellement altérées par leur âge et contribue entre autres à la protection de l’organisme contre les cancers. Les cellules sénescentes sont normalement éliminées par le système immunitaire mais, avec les années et l’influence de facteurs extérieurs, cette clairance physiologique se ralentit et elles s’accumulent. Ces cellules, qui ne réalisent pas leurs tâches physiologiques sans disparaître pour autant, sont dites « zombies » : elles cessent de se répliquer mais résistent à l’apoptose et présentent de nombreuses variations épigénétiques car elles perdent la capacité de réparer leur ADN. La plupart d’entre elles acquiert un phénotype sécrétoire (SASP = Senescence-Associated Secretory Phenotype) et libèrent des cytokines pro-inflammatoires, des chimiokines recrutant de façon inadaptée les cellules immunitaires, des métalloprotéases dégradant les tissus, des facteurs pro-coagulants et pro-fibrotiques, des radicaux libres toxiques pour les mitochondries, etc., d’où l’entretien d’une inflammation chronique entraînant un vieillissement progressif et hétérogène des tissus et des organes favorisant le développement de maladies diverses (diabète, fibroses, stéatose hépatique chronique, insuffisance cardiaque, cancers, neurodégénération, etc.).
De nombreuses substances contrant la sénescence cellulaire font désormais l’objet d’études. Leur efficacité varie selon le type de cellules sénescentes et le degré de leur altération, mais leur impact bénéfique sur des souris d'âge moyen ou avancé est avéré : amélioration de la fonction cardiaque et vasculaire, restauration de la sensibilité à diverses hormones (dont l'insuline) et à divers neurotransmetteurs, réduction de la calcification des vaisseaux, ralentissement de l’ostéoporose, normalisation de paramètres biologiques altérés par l'âge, indicateurs de l’inflammation, réduction de l’obésité, etc. Globalement, ces substances prolongent la durée de vie de souris déjà âgées jusqu'à 35 % et réduisent l’incidence des cancers. Elles sont de même actives chez de jeunes souris dans lesquelles ont été implantés des clones de cellules sénescentes. Des résultats analogues et cohérents sont décrits sur des cultures cellulaires.
Trois groupes fonctionnels ressortent des études pharmacologiques, selon une typologie discutée : les sénolytiques qui augmentent l’élimination des cellules sénescentes en régulant leur apoptose, les sénomorphiques qui inversent les processus pro-sénescents, les sénosuppresseurs qui bloquent la diffusion des messages chimiques de sénescence (inhibition du SASP). Ces substances agissant sur des mécanismes cellulaires complexes, aucune d’entre elles n’a d’action « universelle » sur tous les types de cellules « zombies » et sur tous les stades de leur sénescence. De plus, les interventions pharmacologiques ciblant le vieillissement cellulaire et la régénération tissulaire sont susceptibles d’accroître l’incidence des cancers puisque la sénescence constitue un processus de défense contre leur développement.
Sénolytiques. Ces substances inhibent les voies de signalisation favorisant la survie des cellules « zombies », dont notamment celles impliquant les protéines anti-apoptotiques de la famille Bcl-2. Nombre d’entre elles sont utilisées en cancérologie. Sans entrer dans des détails complexes, la survie de ces cellules peut être réduite par le recours à des flavonoïdes dont la quercétine ou la fisétine. Ces anti-oxydants et d’autres sont parfois associés au dasatinib (Sprycel), un inhibiteur de tyrosine-kinase (ITK) qui favorise l'apoptose en inhibant la kinase Src, sous forme de cures séquentielles qui réduisent la toxicité de l’ITK. Cette synergie réduit de 30 à 70 % les populations de cellules sénescentes chez des souris d'âge moyen et des résultats similaires ont été observés dans des cultures de tissus humains en 3D. Les glycosides cardiaques (digoxine, digitoxine) sont actifs eux aussi, mais exposent à une iatrogénie préoccupante.
Des études précliniques ont livré des résultats encourageants chez l’Homme et des essais cliniques sont en cours chez des patients atteints de maladies dégénératives sévères.
Sénomorphiques (sénostatiques). Le concept est ici d’activer l’autophagie physiologique pour restaurer le recyclage des cellules « zombies » en agissant sur la kinase mTOR. La rapamycine (Sirolimus) a montré sa capacité à augmenter l’espérance de vie sur modèle murin et, appliquée sur la peau, elle y restaure l’expression du collagène et en ralentit le vieillissement. L’azithromycine ou la roxithromycine déclenchent elles aussi l’apoptose des cellules sénescentes. Un autre médicament, la metformine, antidiabétique bien connu, induit la production d’oxydoréductases participant à l’élimination des radicaux libres oxygénés. Elle favorise la perte de poids et améliore aussi la durée de vie et la santé de souris en régulant le métabolisme glucidique, en activant l’élimination des déchets cellulaires, en réduisant l’inflammation, en activant les gènes FOXO qui jouent un rôle dans la longévité, en améliorant le métabolisme cardio-vasculaire, et en ayant une action anti-cancéreuse. La caféine a une action proche de celle de la rapamycine. Les fibrates, prescrits comme hypolipémiants depuis les années 1970, ont une action à la fois sénolytique et sénomorphique.
Sénosuppresseurs. Ces composés répriment la diffusion du SASP favorisant la « dissémination » du processus de sénescence. Ce groupe est dominé par des biothérapies anti-inflammatoires dont beaucoup sont indiquées en rhumatologie : l’étanercept réduit le vieillissement tissulaire sur des souris et augmente leur durée de vie. Les inhibiteurs des Janus-kinases sont aussi actifs (ex : ruxolitinib = Jakavi, baricitinib = Olumiant)
Sans surprise, l’Académie de médecine préconise de promouvoir les mesures hygiéno-diététiques pour agir sur le vieillissement et retarder la survenue d’une dépendance.
Sénothérapies : des enjeux d’importance
Alors que des chercheurs américains ont montré il y a quelques semaines qu’il est possible de déterminer l’âge biologique d’un organe par une simple analyse de sang, l’intérêt pour les substances capables d’infléchir la cinétique de sénescence de notre organisme ne se dément pas. Cependant, la plupart d’entre elles ont une faible biodisponibilité et, surtout, exposent à une iatrogénie très significative : des pistes de meilleur ciblage cellulaire (vectorisation) sont à l’étude - elles reposent sur une logique analogue à celle visant à réduire l’iatrogénie des anticancéreux. Des schémas d’administration spécifiques font l’objet de recherche : contrairement aux cellules cancéreuses, les cellules sénescentes ne se divisent pas, s’accumulent lentement dans les tissus, et un traitement intermittent peut donc être actif. L’Intelligence artificielle (IA) et la Biologie de synthèse (SynBio) accélèrent les travaux dans ce domaine en criblant des centaines de milliers de molécules et en en concevant de façon spécifique. Ainsi, trois molécules ont été récemment identifiées par la start-up californienne Integrated Biosciences parmi quelque 800 000 candidats : il s’agit d’inhibiteurs de la protéine Bcl-2 efficaces par voie orale sur la souris et ayant un profil de tolérance très favorable.
Après la démonstration sur modèles animaux de l’activité de nombreuses sénothérapies, et malgré les risques iatrogènes, des études précliniques ont livré des résultats encourageants chez l’Homme et des essais cliniques sont en cours chez des patients atteints de maladies dégénératives sévères. Face à cette effervescence, et sans doute pour faire écho aux nombreux sites traitant de ces questions et proposant même la vente en ligne de sénothérapies, l’Académie nationale de médecine a publié un communiqué sur la question en octobre dernier. Elle souligne l’enjeu de santé publique que constituent les études de géro-pharmacologie mais aussi les risques associés et les interrogations éthiques. Sans surprise, l’Académie préconise, en l’état balbutiant des connaissances, de promouvoir avant tout les mesures hygiéno-diététiques validées pour agir sur le vieillissement et retarder la survenue d’une dépendance.
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