LA CRISE qui frappe actuellement la profession se traduit le plus souvent, sur le plan économique, par des difficultés de trésorerie importantes. Comme le montrent les études des grands cabinets d’expertise-comptable comme Fiducial ou KPMG, l’évolution du chiffre d’affaires, qui ne dépasse pas une hausse de 1,5 % depuis un an, ne suffit plus à compenser l’érosion de la marge commerciale qui, au mieux, se maintient, et, au pire, se dégrade. Puisque, dans le même temps, les charges continuent d’augmenter, la rentabilité de nombreuses officines baisse, créant ainsi des difficultés de trésorerie importantes.
Comme le fait remarquer Philippe Becker, responsable du département pharmacie chez Fiducial, « les pharmacies les plus touchées, dans ce contexte, sont celles qui sont lourdement endettées et celles qui ont des problèmes avec leur fonds de roulement, du fait, notamment, d’un stock trop important. Les premières sont directement victimes du ralentissement de l’activité et ont souvent une structure financière fragile du fait d’un manque de capitaux propres ».
En attendant une reprise de l’activité et de la croissance, qui risque d’ailleurs de se faire attendre pendant encore de longs mois, de nombreux titulaires cherchent donc à mieux maîtriser leurs charges fixes pour limiter la dégradation de la rentabilité et les difficultés de trésorerie qui s’ensuivent. Mais, comme le souligne Philippe Becker, « faire des économies dans une officine est souvent une tâche ardue ». Par exemple, à la différence d’une entreprise commerciale classique, une officine ne peut pas déménager pour trouver des locaux moins chers, sauf à opérer un transfert dont on sait que les conditions sont très strictes. Elle ne peut pas non plus faire des économies importantes sur le budget assurances ou sur le poste informatique, les exigences professionnelles dans ces deux domaines étant trop importantes et les offres des prestataires limitées.
Pourtant, il existe certains leviers sur lesquels tout pharmacien peut agir. Revoir la politique d’achats, mieux maîtriser les conditions financières, optimiser les charges de personnel et la fiscalité de l’officine peuvent permettre de faire des économies souvent non négligeables. « Aujourd’hui, la note des officines est dégradée auprès des banques du fait de la crise », explique Philippe Besset, président de la commission économique de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). « Nous espérons que notre proposition d’augmenter la MDL, avec une hausse de la première tranche jusqu’à 75 euros pourra entrer en vigueur au plus tard le 1er janvier 2012. Cette hausse devrait donner un ballon d’oxygène aux officines et davantage de confiance aux banques. Mais il est bon, en attendant, que les pharmaciens, avec leur expert-comptable, optimisent les charges de leur officine », poursuit Philippe Besset.
. REVOIR LA POLITIQUE D’ACHATS
Premier poste sur lequel il faut se pencher : les achats et le stock. On le sait, une gestion rigoureuse du stock est indispensable pour assurer la rentabilité de l’officine. Le stock ne doit être ni trop bas, afin de maintenir une offre commerciale suffisante et d’éviter les manquants, ni trop important, pour éviter de mobiliser inutilement de la trésorerie. Un stock mal géré est un stock qui coûte cher, puisqu’il entraîne une immobilisation de trésorerie non rémunérée et un risque de dépréciation. Or la gestion du stock dépend, notamment, de la politique d’achats du pharmacien, laquelle est liée, d’ailleurs, à la situation de trésorerie de la pharmacie.
« Du côté des répartiteurs, les marges de négociation pour obtenir des remises sont très faibles, de l’ordre de quelques dixièmes de point, prévient Michel Watrelos, expert-comptable au cabinet Conseils et Auditeurs Associés. En revanche, il est possible d’obtenir des remises par le biais des groupements. Certains sont très dynamiques et offrent ainsi la possibilité d’augmenter la marge de l’officine, notamment grâce à la remise forfaitaire annuelle. » Autre avantage des groupements : l’optimisation du stock, qui contribue à améliorer la trésorerie. En effet, l’obtention de remises offre aussi la possibilité de diminuer le volume des produits stockés.
Attention toutefois : il faut rappeler qu’une officine bien gérée est celle où la rotation du stock correspond aux délais de paiement. Idéalement, il faut donc que le stock soit toujours financé par les ventes, et il faut avoir le même délai de paiement que de rotation du stock. Un audit du stock est donc souvent nécessaire avant de revoir la politique d’achats. Or, le chiffre d’affaires en médicaments remboursables d’une pharmacie traditionnelle représente en moyenne entre 80 et 85 % de son chiffre d’affaires total. La rotation moyenne du stock sur les spécialités remboursables se situant en général entre 16 et 18 jours, celle sur l’OTC pouvant aller jusqu’à 130 jours et celle sur la parapharmacie jusqu’à 280 jours, la marge de manœuvre pour accélérer la rotation du stock total est donc étroite. Dans ce contexte, il est indispensable de s’appuyer sur une gestion informatique du stock la plus performante possible et, surtout, d’utiliser pleinement les possibilités qu’offre ce système informatique.
. OPTIMISER LES FRAIS DE PERSONNEL
Lorsque l’activité de l’officine se ralentit, ce qui est le cas aujourd’hui, le poids des charges de personnel devient de plus en plus lourd et entame même, parfois, la trésorerie. Une bonne gestion des frais de personnel est donc indispensable pour préserver le niveau de trésorerie de l’officine. Or, si les économies sur la masse salariale sont potentiellement les plus importantes, ce ne sont pas les plus faciles à mettre en œuvre. « La première chose à faire est de comparer les ratios couramment admis pour les frais de personnel avec l’amplitude d’ouverture de l’officine, explique Michel Watrelos. Une officine traditionnelle est en effet ouverte entre 42 et 52 heures par semaine, et une officine de centre-ville ou de centre commercial entre 66 et 72 heures. Pour la première, les frais de personnel doivent représenter environ 10 % du chiffre d’affaires hors taxes, et, pour la seconde, 11 ou 12 % de ce même chiffre d’affaires. Si ces ratios ne sont respectés, c’est qu’il y a un problème. » Autre élément à retenir pour apprécier ce poste : la performance au comptoir. Les experts-comptables s’accordent à dire, en effet, que le temps de travail au comptoir doit être optimisé. Michel Watrelos, pour sa part, estime qu’il doit représenter, par personne à temps plein, et en moyenne, 330 000 euros de chiffre d’affaires TTC. « Si c’est 300 000 euros, ce n’est pas grave. Mais si c’est 240 000 euros, il y a sûrement un souci avec la personne en question. IL faut absolument que les salariés soient opérationnels au comptoir », poursuit l’expert-comptable.
Dans tous les cas, il s’agit donc davantage de tirer le meilleur parti des salariés présents que de réduire l’effectif et la masse salariale. « Se séparer d’un salarié est souvent très difficile, sinon impossible, prévient d’ailleurs Claude Japhet, ancien président de l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF). Si vous avez cinq personnes qui travaillent dans l’officine, un départ entraîne une baisse de l’effectif de 20 %, ce qui n’est souvent pas tenable. »
En revanche, il est bien entendu possible, dans certains cas, de procéder à quelques ajustements ponctuels. Le non-renouvellement d’un contrat à durée déterminée, l’absence d’embauche après une démission, une offre de travail à temps partiel à un salarié à temps plein ou le licenciement économique d’une secrétaire à mi-temps dont la charge est devenue trop lourde, par exemple, peuvent en faire partie. Dans tous les cas, il faut garder à l’esprit qu’un licenciement pour motif économique est très difficile à justifier pour une officine standard. Le pharmacien doit en effet être capable de démontrer, aux yeux de la loi, que s’il ne supprime pas un poste, son entreprise ne sera plus viable. C’est évidemment une démonstration souvent difficile à effectuer.
. RENÉGOCIER LES EMPRUNTS
Les difficultés actuelles des officines proviennent également, souvent, d’un emprunt devenu trop lourd pour la rentabilité de l’exploitation. Pour les pharmaciens qui sont dans ce cas, des démarches pour renégocier les conditions de l’emprunt peuvent s’imposer. Deux modalités sont possibles.
D’abord réviser les conditions du crédit auprès de la banque habituelle de l’officine : cette hypothèse est tout à fait envisageable quand le pharmacien est « bien noté » par son banquier. Pour que cette négociation aboutisse, il ne faut donc pas avoir eu d’incident de paiement sur le crédit et, si possible, ne pas présenter de découvert récurrent sur le compte bancaire. Si le taux d’emprunt a baissé, le pharmacien aura une somme totale à rembourser moins importante. Plutôt que de régler des mensualités plus faibles, il pourra aussi avoir intérêt à conserver des remboursements identiques mais en raccourcissant la durée totale du crédit.
Seconde hypothèse : emprunter à un meilleur taux dans une autre banque, mais cela suppose de rembourser par anticipation le crédit en cours. C’est une solution à mettre en œuvre, en général, si la précédente n’a pas réussi. Mais là aussi, mieux vaut être en bonne position pour négocier : il ne faut pas attendre de connaître de trop grosses difficultés financières pour contacter de nouvelles banques. Attention aussi : des pénalités pour remboursement anticipé sont presque toujours prévues dans les prêts professionnels à taux fixe (alors qu’il n’y en a pas, en principe, dans les prêts à taux variable). En outre, pour les prêts professionnels, les pénalités de remboursement anticipé ne sont pas réglementées et ne sont donc soumises à aucun plafond légal.
Quoi qu’il en soit, renégocier un emprunt est souvent avantageux, mais à condition cependant que cet emprunt ne soit ni trop récent, ni trop ancien. S’agissant des prêts à l’installation d’une durée de douze ans, l’idéal est donc de renégocier le crédit après une période 5 ou 6 ans en moyenne. « Par ailleurs, le pharmacien peut avoir intérêt à renégocier l’ensemble de ses prêts et à les regrouper, en y ajoutant éventuellement, en cas de difficultés financières, un financement du besoin en fonds de roulement », note Michel Watrelos. À noter aussi que, aujourd’hui, on peut encore trouver des prêts à l’installation de l’ordre de 3 %, hors assurances.
. LES AUTRES POSTES À SURVEILLER
Pour tenter de faire des économies, d’autres postes de l’officine peuvent aussi être optimisés. Par exemple le loyer commercial : pour les pharmacies situées dans des zones difficiles, une renégociation du loyer est possible lorsque la valeur locative des locaux a baissé en raison, notamment, d’une baisse de la population résidente ou de la fermeture de voies d’accès ou de transport. De façon générale, et pour les pharmaciens qui le peuvent, acquérir les locaux plutôt que de les louer est également un investissement rentable sur le long terme.
Autre source d’économies : la fiscalité. Un changement de la date de clôture de l’exercice, par exemple, peut permettre d’optimiser l’impôt sur les bénéfices. Un passage de l’impôt sur le revenu à l’impôt sur les sociétés, pour les pharmaciens en société, est également une source d’économies fiscales sur le long terme. Autant de pistes à explorer avec son expert-comptable afin de bâtir un plan d’économies à court et moyen terme, et faire face aux difficultés un peu plus sereinement…
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