Les pharmaciens l'utilisent presque à leur insu, comme le remarque avec amusement Alain Delgutte, élu du conseil national de l'Ordre des pharmaciens, et titulaire à Nevers (Nièvre). De fait, cet outil partagé par 98 % des officinaux et 85 % environ des industriels, agit en toute discrétion. « C'est un instrument météo de terrain. Si 72 heures après la commande et l'interrogation de deux grossistes, la référence n'est pas disponible, un message est envoyé aux industriels. Ceux-ci répondent alors sur la cause de la non-disponibilité et l'information s'affiche sur le DP Ruptures », résume Stéphane Simon, président du Conseil central B (industrie) et directeur général du Laboratoire IPSEN Pharma. « Le pharmacien dispose alors d'un message qui lui permettra d'expliquer à son patient les raisons de l'absence de son médicament », poursuit-il.
Mais alors que le phénomène des pénuries prend une ampleur inégalée, le DP Ruptures est-il encore dimensionné ? « Le DP Ruptures n'est pas un moyen pour résoudre les ruptures mais pour mieux informer », recadre Stéphane Simon. Se déclarant d'ores et déjà pessimiste sur l'évolution de la situation des stocks pour cet hiver, le DG d'IPSEN Pharma exhorte les industriels à se discipliner et à renseigner le DP Ruptures de manière systématique. Quant aux pharmaciens d'officine, il leur est recommandé de lire ces messages diffusés par leurs confrères de l'industrie. « Nous devons exploiter ce capital dont nous disposons qui est ce pouvoir de communication entre confrères pharmaciens partageant la même déontologie. » Même si le circuit de l'information peut dérouter l'officinal qui reçoit par exemple une information du laboratoire alors qu'il a passé commande à son grossiste.
Exploiter les signaux faibles
Toutes les notifications ne portent pas sur une absence de stocks. Les raisons d'un manque de produits peuvent être multiples. De même, précise Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens (CNOP), le DP Ruptures a ses limites : « Si le pharmacien commande dix boîtes et n'en reçoit que quatre, cela ne sera pas signalé en tant que ruptures. » La tension n'apparaîtra pas dans le système. Pour autant, assure Pascale Gerbeau-Anglade, vice-présidente du conseil central B, pharmacienne responsable et directrice des affaires pharmaceutiques du Laboratoire GlaxoSmithKline (GSK), « les laboratoires exploitent tous les signaux, même faibles, pour détecter les difficultés qui apparaissent sur l'approvisionnement d'un produit, la surveillance s'exerce tous les jours afin de suivre l'état du marché de manière extrêmement précise et réactive ».
Sur les quelque 9,6 millions de déclarations émises en 2022, 8 millions d'entre elles ont pu être levées. C'est dire si ces données centralisées, sous haute surveillance de l'Ordre, intéressent les pouvoirs publics. L'ANSM a ainsi passé une convention avec l'instance ordinale cet été. Dès 2024, un tableau de bord sera accessible aux industriels qui pourront mieux gérer les difficultés sur leur territoire. Il n'en reste pas moins que cet outil est manié avec précaution car il recèle de nombreuses informations confidentielles, telles que des données économiques, chiffre d'affaires, parts de marché…
Une ergonomie à revoir
Performant sur l'aspect de l'information, le DP Ruptures reste perfectible dans ses fonctionnalités. Ne pourrait-on pas l'interconnecter avec les LAD et les LAP (logiciel d'aide à la prescription), comme c'est le cas en Belgique avec le site pharmastatut.be, suggère Alain Delgutte, fort de son expérience à la tête du Groupement pharmaceutique de l'Union européenne (GPUE). De même, ne pourrait-on pas rendre plus ergonomique le bouton DDU (demande de dépannage d'urgence) ? Celui-ci a une utilité primordiale car il permet d'obtenir auprès du laboratoire une boîte pour un patient ne pouvant faire risquer une interruption de traitement. Pourtant, cette fonctionnalité semble en effet peu usitée car méconnue. « Nous avons besoin d'une identification particulière des médicaments pour lesquels le DDU est possible et pour combien de temps », affirme Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF).
Ces améliorations seraient les bienvenues dans un contexte où le DP Ruptures pourrait monter en puissance dans les prochains mois. C'est en tout cas le vœu du CNOP, comme de la FSPF, de voir cet outil intégré à la feuille de route de lutte contre les ruptures qui devrait être établie par le ministère de la Santé en concertation avec les acteurs de la chaîne du médicament.
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