Le 11 septembre dernier, à Charmois-l'Orgueilleux (Vosges), près de 200 personnes se sont rassemblées pour soutenir le médecin généraliste du village. Celui-ci, qui exerçait depuis près de 40 ans, doit renoncer à son activité car il refuse de se faire vacciner contre le Covid. Une mobilisation exceptionnelle pour une commune de seulement 600 âmes. L'annonce du départ du Dr Bein est tombée comme un coup de massue pour les habitants, désormais privés de leur seul médecin.
Sur les banderoles qu'ils ont confectionnées pour la manifestation, les habitants de Charmois ne semblent pas lui en tenir rigueur, ils reprochent surtout aux autorités sanitaires de « sacrifier leur médecin » et de les condamner à vivre dans un désert médical. Ils s'inquiètent également pour les conséquences à long terme. Qui voudra venir vivre dans un village sans professionnel de santé ?
Des patients et des pharmaciens dans le flou
Si les patients sont dans le brouillard, les pharmaciens du secteur se posent aussi des questions. Philippe Muller est titulaire de la pharmacie de Girancourt. Son officine est l'une des plus proches de Charmois et il reçoit beaucoup de patients de ce village. « Bien sûr que je me pose la question des conséquences que cela va entraîner pour ma pharmacie, s'inquiète Philippe Muller. Les patients du Dr Bein s'adressent aux médecins du cabinet médical situé en face de mon officine, mais ceux-ci sont déjà saturés et ne pourront absorber cette demande supplémentaire. La mairie de Charmois a demandé un rendez-vous à l'ARS dans l'espoir de trouver un médecin remplaçant, mais pour l'instant cela semble compliqué. » Comme le souligne Philippe Muller, le Dr Bein était proche de la retraite. L'obligation vaccinale n'a sans doute fait que précipiter un départ inéluctable. Dans les prochains mois, peut-être même dans les prochaines années, les habitants de Charmois vont donc devoir se rendre dans les communes alentour pour consulter un médecin.
Selon les chiffres communiqués par l'assurance-maladie au Conseil national de l'Ordre des médecins (CNOM), 97 % des médecins sont vaccinés contre le Covid. Impossible toutefois de savoir combien de généralistes sont parmi eux et si ce chiffre englobe ou non les médecins retraités et remplaçants. Comme le CNOM a pu le confirmer au « Quotidien du pharmacien », on ne pourra connaître le nombre de cabinets fermés pour cause de refus de se soumettre à l'obligation vaccinale qu'après le 15 octobre, date à laquelle les médecins devront présenter un schéma vaccinal complet pour exercer. C'est en effet une fois passé ce délai que les ARS transmettront des données précises au CNOM. À noter que, même lorsque le passe sanitaire ne sera plus en vigueur (à partir du 15 novembre ou plus tard si ce dernier est prorogé), les médecins, comme les autres professionnels de santé, devront avoir été vaccinés contre le Covid pour travailler. L'obligation vaccinale pour les professionnels concernés est « pérenne » a assuré Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des Solidarités et de la Santé, le 9 septembre dernier.
Quand le médecin déconseille le vaccin anti-Covid
S'il reste minoritaire, le phénomène n'en est pas moins dévastateur lorsqu'il touche des territoires déjà durement frappés par la désertification médicale. À Palinges, village de 1 500 habitants au cœur de la Saône-et-Loire, la mairie s'emploie depuis plusieurs années à chercher un troisième médecin généraliste. Pour l'heure, seul un praticien venu d'Espagne et une généraliste qui exerce à mi-temps sont installés dans la commune. Alors, quand cette dernière annonce qu'elle renonce à son emploi pour éviter le vaccin anti-covid, c'est forcément une très mauvaise nouvelle. « C'était une grosse inquiétude, nous sommes en plein désert médical, il faut faire 15 à 20 km en voiture pour trouver d'autres médecins, confirme Lionel Petit, titulaire de la seule officine de Palinges. Avec le départ du Dr Joke Panneels, nous n'avions plus qu'un seul médecin qui s'est retrouvé avec une surcharge de travail vu qu'il a récupéré quelques-uns de ses patients. »
Cela faisait près de 6 ans que le Dr Panneels officiait dans la commune. Lionel Petit connaissait ses doutes au sujet de la vaccination anti-Covid. S'il n'a donc pas été surpris par son choix, il a malheureusement constaté qu'elle avait communiqué son inquiétude à sa patientèle. « Certains de ses patients m'ont dit qu'elle leur avait déconseillé de se faire vacciner. Il a donc fallu en convaincre certains au comptoir, les rassurer, leur dire qu'ils pouvaient se faire vacciner sans appréhension. Ses propos n'ont pas eu beaucoup d'influence, pratiquement toute sa patientèle a finalement reçu le vaccin », raconte Lionel Petit, qui a vacciné 400 personnes dans son officine depuis le début de la campagne. Selon lui, les patients du Dr Panneels vivent difficilement la situation. « Ils sont fâchés et ne comprennent pas son choix. Ils lui reprochent de les laisser tomber. » Dès l'annonce de la défection de son médecin, la mairie de Palinges s'est employée à lui trouver un remplaçant. Contre toute attente, la recherche n'a pas été longue. « Le nouveau médecin prendra ses fonctions le 15 novembre. Avoir trouvé aussi vite c'est un petit miracle », souffle Lionel Petit, soulagé.
Même dans un village qui n'est pas vraiment sous-doté en médecins, le départ soudain d'un praticien n'est pas simple à combler. Flavy-le-Martel, village de l'Aisne de 1 600 habitants, peut se targuer d'avoir 3 médecins plus un autre dans un village tout proche. L'absence de l'un de ses généralistes, qui n'a pas confiance dans les vaccins actuels contre le Covid, pourrait sembler moins problématique. Ce n'est pas vraiment le cas. « Les autres médecins ne pourront pas prendre tout le monde, ils sont assez âgés et cherchent plutôt à alléger leur patientèle, souligne le titulaire de la pharmacie de Flavy-le-Châtel. Ses patients sont un peu inquiets concernant le renouvellement de leurs traitements. »
L'île qui a failli perdre son seul médecin
Sur l'Île-aux-Moines, à quelques kilomètres au large de Vannes (Morbihan), l'unique pharmacien, les résidents de l'EHPAD et les 620 habitants qui y vivent à l’année ont bien failli se retrouver sans le moindre médecin. Après le départ à la retraite de l'unique généraliste de l'île fin 2019, le maire de l'Ile-aux-Moines avait déjà mis plus d'un an à lui trouver un successeur. Jusqu'à l'arrivée du Dr Christine Hochard en janvier 2021. L'édile et les habitants de l'île pensaient pouvoir respirer, mais, il y a quelques jours, coup de théâtre, la généraliste annonce qu'elle renonce à poursuivre son activité car elle refuse le vaccin anti-Covid. Après quelques jours de fermeture, le Dr Hochard a fini par changer d'avis, non sans masquer son amertume. Au média local elle explique qu'elle a finalement décidé de « se faire injecter un produit qu’elle ne voulait pas, contrainte et forcée, pour avoir la paix ». Même si son retour a été vécu comme un soulagement, des patients expliquent que son attitude a provoqué « une perte de confiance ». Une confiance qui ne reviendra peut-être pas de sitôt.
A la Une
Gel des prix sur le paracétamol pendant 2 ans : pourquoi, pour qui ?
Salon des maires
Trois axes d’action pour lutter contre les violences à l’officine
Gestion comptable
Fidéliser sa clientèle ? Oui, mais pas à n’importe quel prix
Portrait
Jérémie Kneubuhl : le pharmacien aux 50 millions de clics