Encore une fuite ! Le projet préliminaire d’avis de la HAS sur le remboursement de l’homéopathie, confidentiel, avait été ébruité dans la presse à la mi-mai. C’est au tour de l’avis définitif pris par la Commission de la transparence mercredi dernier de faire les gros titres avant même sa présentation publique officielle prévue le vendredi matin. Mercredi à 18 h 43, « Libération » révèle un avis quasi unanime (à une abstention près) pour le déremboursement des produits homéopathiques, en l’absence de preuve scientifique de leur efficacité.
Vendredi matin, la présidente du collège de la HAS, la Pr Dominique Le Guludec, s’est dite « scandalisée et choquée » par ces fuites médiatiques qui, elle le garantit, « ne viennent pas de la HAS ». Mais il y a beaucoup de participants aux débats, y compris des services externes à l’instance. Quoi qu’il en soit, « cela ne change rien à l’évaluation et à l’avis rendu ». Après 9 mois de travail à temps plein pour analyser plus de 1 000 études, les contributions de 29 parties prenantes et des 3 laboratoires, touchant à près de 1 200 souches homéopathiques, la commission de la transparence de la HAS se déclare défavorable au maintien du remboursement des médicaments homéopathiques. « Nous n’avons pas trouvé de preuves suffisantes justifiant le remboursement », explique Mathilde Grande, cheffe du service évaluation des médicaments.
Mesures correctives
Si l’évaluation scientifique de l’homéopathie est désormais achevée, cet avis ne vaut pas décision du déremboursement, même si la ministre de la Santé Agnès Buzyn a indiqué à plusieurs reprises qu’elle suivrait l’avis de la HAS. Interrogée jeudi sur le sujet, la ministre souhaitait donner la priorité à la gestion de l'épisode caniculaire. Elle déclarait que la décision concernant le remboursement de l'homéopathie pouvait « attendre encore quelques jours ». Une intervention de Bercy dans ce dossier n’est pas exclue, le ministère de l’Économie avait en effet évoqué en mai dernier la possibilité d'une « modulation du taux de remboursement ». « Une solution temporaire d'apaisement », soutenue par l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Plutôt qu’un déremboursement sec, son président Gilles Bonnefond propose en effet de faire glisser le taux de prise en charge actuel de 30 % à 15 %. « Avec un taux de 15 %, l'objectif d'un reste à charge zéro pour l'assurance-maladie serait atteint en raison de la franchise à la boîte de 0,50 euro. Le prix de chaque tube granule permet, dans ces conditions, de passer en dessous du seuil de remboursement. »
Un compromis que la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) avait rejeté, préférant le maintien pur et simple du remboursement. « Le gouvernement ne s’est pas exprimé depuis que l’avis de la HAS est connu, note le président Philippe Besset. J’attends sa décision et je compte rencontrer la ministre pour évoquer les enjeux économiques pour le réseau. En cas de déremboursement, des mesures correctives seront nécessaires car l’impact pour l’économie de l’officine est loin d’être neutre. » Pour lui, les signataires de l’avenant 11 ont « majoré le risque » en instaurant un taux de marge de 10 % sur la première tranche de la marge dégressive lissée (MDL) qui s’ajoute à l’honoraire de 1 euro par boîte. Cette augmentation du taux de marge a généré, en 2018, un surplus de 15 millions d’euros issu des médicaments homéopathiques remboursables.
Boiron demande un moratoire
En outre, les deux syndicats s’inquiètent de l’habituelle flambée des prix après déremboursement, non seulement par la modification automatique du taux de TVA (10 % contre 2,1 % pour les médicaments remboursés), mais aussi par l'augmentation systématique des prix pratiquée par les laboratoires pour compenser les pertes de volumes. Pour Gilles Bonnefond, l’avis de la HAS « n’est pas une surprise au vu des conditions d’évaluation sur des critères dédiés aux médicaments allopathiques » et ne prend pas en compte « la composante psychologique ».
Les Laboratoires Boiron ne disent pas autre chose sur « cet avis rendu dans un temps record » qui « ne tient pas compte de la spécificité des médicaments homéopathiques ». Pour eux, la méthodologie utilisée n’a pas évalué « l'intérêt de santé publique de ces médicaments, l'absence d'indications thérapeutiques résultant de leur statut réglementaire et le caractère individualisé du traitement homéopathique ». Faux, répond Mathilde Grande, « l'intérêt de santé publique fait partie des critères d’évaluation, au même titre que l’efficacité, la tolérance, la place dans la stratégie thérapeutique… »
Boiron, qui a demandé vendredi un moratoire « afin d'utiliser les données nationales de santé pour évaluer l'intérêt de santé publique » des traitements homéopathiques ainsi qu'un « débat parlementaire », affiche un chiffre d’affaires en 2018 de 604 millions d’euros, dont 59 % réalisés en France. Sur ce résultat français, 60 % concernent des spécialités remboursables, soit 215 millions d’euros. Cependant, toutes n’étant pas présentées au remboursement, le chiffre d’affaires des produits effectivement remboursés tournerait autour des 150 millions d’euros.
En cas de déremboursement, le laboratoire augure une baisse de son chiffre d’affaires des produits remboursés de 50 % la première année, et à nouveau de 50 % l’année suivante, menaçant 1 000 emplois (sur 2 600) en France. Des projections mises en doute par des analystes qui estiment que Boiron brandit « le scénario du pire » et ferait mieux de miser sur la diversification. Le laboratoire pourrait par exemple s’ouvrir à des segments porteurs comme la phytothérapie ou l’aromathérapie par le biais d’acquisitions. Malgré un résultat en recul en 2018, le groupe en aurait les moyens : sa trésorerie nette, en constante augmentation, est en effet passée de 75 millions à 217 millions d’euros en dix ans.
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