La dispensation protocolisée ne serait-elle qu’une question de bon sens ? C’est en tout cas le premier argument qu’oppose le président de la FSPF (1) aux détracteurs de ce dispositif qui permettrait à des pharmaciens, dans le cadre de la coordination des soins, de dispenser des médicaments de prescription obligatoire pour des pathologies bénignes. Car cette mesure, appelée de ses vœux par le syndicat, s’impose à double titre. Elle répond tout d’abord à un besoin d’accès aux soins dans des territoires désertifiés ou dans des situations d’urgence quand le médecin traitant n’est pas présent.
La dispensation protocolisée est également une évolution rendue nécessaire par le durcissement de la législation. Le pharmacien, gardien des poisons, n’a-t-il pas été dépouillé de son arsenal conseil par le listage successif de plusieurs substances, dont, dernière en date, la codéine ? « Que dois-je faire désormais face à un patient se présentant le week-end avec des douleurs dentaires ? Il ne me reste plus que le Doliprane puisque je ne peux plus lui donner du Codoliprane, c’est surprenant non ? », interpelle le pharmacien Philippe Besset pour justifier le bien-fondé d’une dispensation protocolisée auprès du Dr Luc Duquesnel, plus sceptique.
Les deux professionnels de santé n’hésitent pas à croiser le fer, chacun puisant son argumentaire dans le quotidien de son exercice. « Peut-on s’imaginer la situation d’un pharmacien face à un patient sans accès à son médecin traitant auquel il doit refuser une boîte de triptan en pleine crise migraineuse ? », plaide encore le président de la FSPF. Et Luc Duquesnel de rétorquer : « Et si en réalité ce patient débutait un AVC ? » Le médecin généraliste de Mayenne poursuit sa contre-offensive : « Quant à la dispensation de l’ibuprofène à des personnes âgées, le pharmacien a-t-il dans ce cas connaissance des fonctions rénales de ces patients ? » Luc Duquesnel le rappelle : « La prescription, c’est le métier du médecin. » Cependant pour prouver son fair-play, il affirme s'être fait l’avocat des pharmaciens lorsqu’il a fallu défendre le monopole officinal face à la vente de médicaments en GMS et sur Internet.
Encadrer et revaloriser l’acte
Loin de céder aux postures corporatistes, les deux professionnels de santé tiennent à mener un échange constructif. Une fois évoqués les contours de leurs professions respectives (voir ci-dessous) et la responsabilité médico-légale qui incombe à chacun, il reste cependant à évacuer un dernier motif de litige : celle du conflit d’intérêts dont pourrait être soupçonné le pharmacien dans le cadre d’une dispensation protocolisée. Le 15 mai, Agnès Buzyn, ministre de la Santé, a tenu à rappeler cette fameuse dichotomie devant la commission des affaires sociales du Sénat, pour justifier son refus de voir les pharmaciens prescrire des substituts nicotiniques. Il s’agit pour elle de préserver un principe fondamental : « Il n’est pas souhaitable que les prescripteurs soient les vendeurs. »
Face à ce dilemme auquel la profession est régulièrement confrontée, Philippe Besset est formel : « Le pharmacien est un acteur de santé et le patient ne doit pas supposer qu’il lui dispense un produit par intérêt économique. Un seul soupçon et c’est toute la crédibilité du pharmacien qui est en jeu. » Pour éviter toute dérive délétère à la profession, le président de la FSPF dispose d’une parade : « il s'agira de rémunérer correctement le pharmacien en majorant via une négociation conventionnelle, l’acte de dispensation dans les zones où le parcours de soins l’exige. » Le mot est lâché. Pour le président de la FSPF, il ne peut y avoir de dispensation protocolisée en l'absence d'un cadre très strict et d' une coordination des soins. La communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) représente le format idéal d’une telle pratique. « Le pharmacien doit savoir pour qui, où et quand se fera cette dispensation protocolisée. En tout état de cause, ce sera au sein d’un exercice coordonné », résume Philippe Besset. « Le texte voté par l’Assemblée nationale et présenté au Sénat ne dit d’ailleurs pas autre chose », poursuit-il, insistant sur la nécessité de définir les cas ainsi que les molécules concernées, en coopération avec la Haute Autorité de santé (HAS) et les médecins.
Il faut sauver l'interpro
Luc Duquesnel n’a de cesse de ramener le débat sur le terrain de la coopération des professionnels de santé de proximité. Du reste, remarque-t-il, si elle n’est pas formalisée par les textes, cette coordination se lit déjà bel et bien, en filigrane, dans les territoires. « Nous n’avons pas attendu la dispensation protocolisée pour nous entendre et travailler ensemble », lance-t-il, un rien provocateur. Cogérant d’une SISA (2) de 90 professionnels de santé, dont 15 pharmaciens, le généraliste fait référence au bilan partagé de médication ou encore à la vaccination qui a impliqué médecins, infirmières et même kinésithérapeutes sur son territoire. Dans ces conditions, le besoin d’une dispensation protocolisée, systématique et standardisée, lui semble moins impératif. « Laissons les professionnels travailler ensemble et protocoliser en fonction des nécessités », implore-t-il.
Comme Luc Duquesnel, Philippe Besset est convaincu que le dossier de la dispensation protocolisée se réglera entre acteurs de terrain, pourvu qu’ils soient dotés de systèmes d’information sécurisés et interopérables. « La pratique devra s’adapter aux spécificités des territoires, certains sont dépourvus de pédiatres, d’autres d’otorhino… », ajoute-t-il.
Le président de la FSPF annonce que ses prochains combats concerneront des restrictions absurdes : la prescription d’aérosolthérapie aux enfants uniquement par les pédiatres et les pneumologues ou encore celle de Cardensiel, par le cardiologue. « Les médecins généralistes doivent pouvoir les prescrire », martèle-t-il.
Parce qu’ils souscrivent à la même vision de l’interprofessionnalité, les deux responsables syndicaux déplorent le battage politico-médiatique qu’a suscité le texte devant l’Assemblée nationale en mars dernier. « L’essence même de la dispensation protocolisée, c’est-à-dire son intégration à un exercice coordonné au sein d’une CPTS, a totalement été occultée dans la discussion à l’Assemblée nationale », dénonce Philippe Besset. Ces remous ont malheureusement débordé du Palais Bourbon pour créer « postures et crispations sur le terrain », comme le regrette amèrement le Dr Duquesnel.
Il faudra désormais pour les deux syndicalistes faire preuve de persuasion pour éteindre la polémique. Rassurer les professionnels de santé et les convaincre de continuer à travailler ensemble, comme auparavant. Car, une chose est sûre, la dispensation protocolisée ne pourra voir le jour sans l’entente des acteurs du terrain.
(1) Fédération des syndicats pharmaceutiques de France.
(2) Société interprofessionnelle de soins ambulatoires.
L'avis de Philippe Besset :
L'avis de Luc Duquesnel :
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