« Notre situation est devenue catastrophique », s’alarme Justine Baroan, titulaire à Plouray (Morbihan), qui craint de devoir fermer. L’ancien généraliste du bourg (1 100 habitants) avait d’abord été remplacé par un médecin roumain, agréé par l’Ordre, mais dont la pratique a suscité des plaintes. Ayant refusé le stage de six mois ordonné par l’Ordre, celui-ci s’est vu suspendu, et Plouray n’a plus de médecin. Un exemple typique, parmi beaucoup d’autres.
Confrontés au départ du médecin, des pharmaciens de plus en plus nombreux réagissent, se font recruteurs, voire investisseurs. Les élus aussi s’alarment, redoutant que la fermeture de la pharmacie s’ajoute au départ du médecin. L’officine de Cécile et Bertrand Vanbremeersch est face à la mairie de Barlin (Pas-de-Calais), ville qui ne compte plus que deux médecins et deux pharmacies, pour 8 000 habitants. La pharmacie vient d’être transférée deux maisons plus loin, dans un nouveau bâtiment surmonté de trois cabinets médicaux. Montant de l’opération : plus d’un million d’euros d’investissement pour les pharmaciens. Ils ont commencé à rechercher dès novembre, à la faculté de Lille, sur des sites spécialisés, « sans trop de retour, jusqu’alors », constate Cécile Vanbremeersch.
À Plaudren, dans le Morbihan, Alain Le Doujet a investi 50 000 euros pour aménager un cabinet voisin de son officine. Il a créé une affiche « Wanted » (un médecin), reprise par la presse. Il a été invité sur un plateau de télévision, a multiplié les courriers, passé des annonces sur des sites Internet, sur facebook. Une pétition a recueilli 750 signatures, sur 1 800 habitants. « Cinq ou six médecins sont venus, sans résultat. » Le maire de Plaudren a néanmoins peut-être recueilli les fruits de l’activisme du pharmacien : un médecin est annoncé pour mai, dans un local prêté par la commune. « La situation de la pharmacie n’a pas été rendue trop dramatique, 8 à 10 % de baisse de chiffre d’affaires, relativise Alain Le Doujet, mais il fallait absolument trouver. »
De son côté, Christina Parisot a souffert de plus de cinq années sans médecin : « 30 à 35 % de perte de chiffre » pour son officine de Guérard (Seine et Marne), qu’elle a créée il y a vingt ans et où elle travaille seule. Quand le médecin est parti, en 2004, elle s’est démenée avec le maire. Un premier médecin n’a pas convenu. La commune de 2 300 habitants, en forte progression, restait sans prescripteur. « J’ai encore mouillé ma chemise, jusqu’à trouver, par relation, une jeune femme avec qui tout a tout de suite fonctionné. Et elle est débordée de travail. » Cette titulaire doit cependant aménager un cabinet mieux adapté, au-dessus de sa pharmacie, au prix de 45 000 euros de travaux.
Quittez la ville
« Quittez la ville ! », proclamait par petites annonces Albert de Ruielle, pour attirer des médecins à Athies (Somme). Lui-même vient de Roubaix (Nord). Il a exercé à l’ouest de la Somme, avant de venir à l’est, dans un village de 650 habitants, mais « un bassin de 3 000 habitants, à un quart d’heure de Saint-Quentin (Aisne), un quart d’heure de l’autoroute (A1), une heure de Paris, une heure de Lille ». Pharmacien recruteur, Albert de Ruielle vante la vie à la campagne, les deux cabinets, au loyer modique, aménagés par la maison de retraite, et sa « clientèle captive ». « Ma situation n’est pas encore difficile, car le médecin avait fait des renouvellements de six mois à ses chroniques, en partant. Le problème viendra en mai-juin. »
Jean-Loïc Guihot, à Fréhel (Côtes d’Armor), s’est fait remarquer en annonçant sur le site Leboncoin.fr. Fréhel comptait trois médecins, dont un est parti à la retraite, un second exerce à mi-temps en 2016, le troisième le fera en 2017. « Un samedi sans médecin fait perdre 10 % de chiffre d’affaires, constate-t-il. La reprise par la presse de l’annonce sur Leboncoin a attiré des médecins, algériens, turcs, malgaches, mais rien ne s’est concretisé depuis dix mois. »
Un tandem payant
Le tandem maire-pharmacien s’avère parfois payant. « La mairie démarchait, mais j’assistais à toutes les réunions, rappelle Florence Hardy, titulaire à Lapeyrouse-Fossat (Haute-Garonne). Dix mois sans médecin n’ont pas suffi pour perdre de la clientèle, et deux jeunes femmes qui étudiaient ensemble à Toulouse, se sont installées depuis octobre 2015. » « Nous avons publié des annonces dès le départ de notre médecin, en décembre 2014, indique Corinne Gonzalez, premier adjoint au maire, et nous avons eu beaucoup d’appels. Le médecin avait construit un cabinet pour installer un assistant, mais les jeunes médecins veulent rester en ville, même si Toulouse est à moins de 10 km. »
« Depuis dix-huit mois, Guéméné-Penfao (Loire Atlantique) a perdu ses trois kinés et deux médecins sur trois, dont un du jour au lendemain. Alors je cherche tous les jours, expose Yannick Bigaud, le maire de cette ville de 5 300 habitants. Il se peut que la ville soit trop près, ou trop loin, de Nantes, comme de Rennes : huit communes du Pays de Retz n’ont pas de médecin, Pornic en compte vingt et un ! »
« Les médecins, ça commence à bien faire. Qu’on leur impose des quotas ! », résume avec humeur Albert de Ruielle. Une certaine rancœur se perçoit chez les pharmaciens à l’encontre des médecins. Christina Parisot convient, elle, que « les médecins ne veulent plus vivre comme leurs aînés, et préfèrent la ville ». De nombreux pharmaciens, menacés par une baisse du chiffre d’affaires, ou par des difficultés à céder leur officine, rappellent pourtant que l’État finance les études des médecins, et que les règles d’installation n’ont jamais empêché le libre choix d’un pharmacien.
légende ph (JG): Depuis Athies, Albert de Ruielle invite les médecins à « quitter la ville ! » (sur la seconde image, avec ses préparatrices)
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