Le 22 février, le sort des pharmacies installées au cœur des territoires fragiles était au cœur des discussions entre l’assurance-maladie et les syndicats de pharmaciens. Parmi les sept groupes de travail organisés dans le cadre des négociations conventionnelles, celui sur la préservation du maillage pharmaceutique figurait parmi les plus importants. « Les pharmaciens qui ferment sans trouver de repreneurs, ou qui cèdent leur établissement pour un euro symbolique, c'est aujourd'hui la problématique majeure du réseau officinal, affirme même Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), lui-même titulaire dans un département rural, l’Aude. Le réseau est en train d'exploser et si l'on perd la proximité, le maillage, la ruralité… alors on perdra notre rôle dans la société française. Cela doit être pris en compte dans la convention », estime-t-il.
Verra-t-on un jour en France des régions entières dépourvues d’officine ? Des habitants contraints de faire plus d’une heure de route pour acheter un médicament courant ? Pour éviter la catastrophe, il faut des mesures et vite.
L’assurance-maladie prête à aider les pharmacies des territoires fragiles
Dans les médias, les exemples de pharmaciens qui cèdent, ou sont prêts à céder, leur établissement pour un euro symbolique afin de ne pas laisser leur commune sans pharmacie se multiplient. De nombreux pharmaciens approchent l’âge de départ à la retraite et les pharmacies rurales sont de moins en moins attractives pour les jeunes diplômés. Il est donc probable que ce phénomène s’aggrave dans les années qui viennent. Verra-t-on un jour en France des régions entières dépourvues d’officine ? Des habitants contraints de faire plus d’une heure de route pour acheter un médicament courant ? Pour éviter la catastrophe, il faut des mesures et vite. Lors du groupe de travail du 22 février, l’assurance-maladie a mis une proposition sur la table. « La CNAM est prête à venir en appui des pharmacies situées dans ces territoires fragiles, Son idée serait de soutenir ces officines par des moyens de type forfaitaire », annonce Philippe Besset.
Avant que ces potentielles aides ne deviennent réalité, un décret devra être publié. Ce texte devra apporter une réponse aux questions suivantes. Qu’est-ce qu’un territoire fragile et quelles officines pourront prétendre à des aides de l’assurance-maladie. Le fameux décret, dont la première version rédigée par la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) avait été unanimement rejetée par les syndicats, est porté disparu depuis cet été. Président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), Pierre-Olivier Variot avertit d’ailleurs sur un risque : celui de voir la signature de l’avenant économique à la convention être retardé si ce décret n’est pas publié rapidement. Pour lui, cette situation ne serait pas acceptable. « On attend tous cet avenant et l’on a déjà pris du retard », souligne-t-il.
Les présidents des deux syndicats s’accordent sur un point essentiel. Il faut permettre à ces officines d’avoir une assise économique plus solide.
Sans décret, impossible aujourd’hui de savoir quelles officines pourront bénéficier de dispositifs d’aides car installées dans des territoires fragiles. Selon les estimations de Philippe Besset, leur nombre pourrait être compris entre 600 et 1 000. « On parle bien de pharmacies qui sont dans des territoires fragiles, pas d’officines fragiles », tient-il à préciser. « Pour ces officines, qui restent donc à définir, la convention prévoit des dispositifs spécifiques. L’assurance-maladie a mis sur la table un plan où elle imagine soutenir ces officines par des moyens tels que la prise en charge d’un temps de pharmacien adjoint ou de préparateur », explique le président de la FSPF. Cette idée divise cependant les deux syndicats. « Ce n’est pas une bonne idée de “perfuser” les pharmacies. Avoir un préparateur à temps partiel pendant 5 ans c’est bien, mais après qu’est-ce qu’on fait ? », interroge le président de l’USPO.
Permettre à ces pharmacies d’être rentables par elles-mêmes
Si quelques points de divergence existent entre les présidents des deux syndicats, ils s’accordent sur un point essentiel. Il faut permettre à ces officines d’avoir une assise économique plus solide. Un objectif que des forfaits ou des majorations pourraient permettre d’atteindre. Deuxième piste pour y parvenir, utiliser les fonctions spécifiques de ces pharmacies pour leur donner une activité supérieure. « Il faut étendre les protocoles de dispensation au-delà de ceux que nous pouvons déjà faire, comme la cystite et l'angine, cite premièrement Pierre-Olivier Variot. Nous proposons aussi de revaloriser la télémédecine dans les territoires où il n'y a pas de médecins pour qu’elle devienne rentable pour ces officines. Il faut également favoriser les dispositifs d'orientation, le pharmacien correspondant et le pharmacien référent. On peut penser aussi à rémunérer les pharmaciens qui proposeraient la télé-expertise… ».
Lorsque l’on évoque la problématique des fermetures d’officines et des moyens pour y faire face, deux sujets reviennent de plus en plus souvent dans la bouche des élus locaux. L’ouverture d’antenne de pharmacies (voir encadré) et un changement de réglementation concernant l’ouverture de pharmacies dans les communes de moins de 2 500 habitants. Pour Philippe Besset, ces deux pistes d’évolution ne changeront rien au problème. « Ces solutions sont des leurres. Ce qu'il faut faire c'est soutenir les pharmacies de ces villages pour qu'elles ne ferment pas, qu'elles trouvent un repreneur et soient attractives. Les jeunes ont envie d'y aller mais il faut un modèle économique », répète-t-il.
Le décret de la DGOS devra trancher la question de la définition des territoires fragiles. La convention permettra, elle, de décider des aides à apporter. Pour en savoir plus sur les réelles intentions de l’assurance-maladie, rendez-vous le 5 mars, date de la première réunion multilatérale. À cette date, les négociations conventionnelles entreront, enfin, dans leur phase décisive.
Antennes de pharmacie : une vraie solution ?
Elle devait être la toute première antenne de pharmacie de France. À Tende, commune de 2 000 habitants de l’arrière-pays niçois, l’unique officine a fermé ses portes en juin 2021. Devant l’absence de repreneur, une solution avait été trouvée pour éviter aux habitants de longs déplacements pour aller chercher leurs médicaments. Grâce à une expérimentation article 51, l’ouverture d’une antenne de pharmacie avait été validée. Un projet notamment porté par la CPTS de la Riviera française et qui avait redonné espoir à des habitants durement touchés par des catastrophes naturelles ces dernières années, en particulier la tempête Alex en octobre 2020.
Une antenne toujours sans pharmacien
Validé il y ait maintenant près de deux ans, le projet d’ouverture d’une antenne ne s’est toujours pas concrétisé depuis, et pour cause… aucun pharmacien n’a encore été recruté. « Nous avons eu 5 candidatures solides mais personne n’a osé sauter le pas », explique Cyril Colombani, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) des Alpes-Maritimes et vice-président de la CPTS de la Riviera française. « C'est un poste particulier, on ne travaille pas au sein d'une équipe, on est salarié d’une autre officine. La pharmacie de Tende se situe au cœur d'un territoire fragile avec des difficultés d'accès mais c’est aussi une opportunité car on peut être à la tête d’une pharmacie sans être titulaire et donc sans avoir à investir. ». Pour trouver la perle rare, des conditions attractives, notamment en termes de rémunération, ont été proposées. Comme le confirme Cyril Colombani, d’autres aspects viennent cependant compliquer le processus de recrutement. « Certains candidats n'avaient pas l'intention de s'installer sur le long terme. D'autres ont fait part de demandes qui n'étaient pas réalistes, une voiture de fonction, un logement… ».
Toujours pas d’antenne ouverte en France
Cela fait donc bientôt trois ans que les habitants de Tende n’ont plus de pharmacie et presque deux ans qu’ils attendent l’ouverture de leur antenne. Si le projet n’est plus certain d’aboutir, Cyril Colombani estime néanmoins que le concept d’antenne de pharmacie peut contribuer à préserver le maillage dans les territoires fragiles. À certaines conditions. « Une antenne si c'est bien géré, si c'est bien fait, cela peut avoir un intérêt. En revanche, si l’idée vient d’une pharmacie qui y voit la possibilité d’ouvrir un nouveau point de vente pour augmenter son chiffre d’affaires, cela ne pourra que fragiliser le réseau. Il faut aussi que l’antenne soit viable économiquement. Enfin, il ne faut pas survendre le projet, ne pas le faire passer pour plus beau qu’il ne l’est. »
Entre-temps, la loi du 27 décembre 2023 sur l'accès aux soins par l'engagement des professionnels, dite « loi Valletoux », a été adoptée. Son article 8 prévoit « la création d'une seule antenne par le ou les pharmaciens titulaires d'une officine d'une commune limitrophe ou de l'officine la plus proche ». Attention néanmoins, les décrets d’application n’ont, eux, toujours pas été publiés. Selon nos informations, seules les communes dont l’officine vient de fermer (dans un délai qui reste à définir) pourront potentiellement être éligibles. L’ouverture de la première antenne de pharmacie de France n’est sans doute pas encore pour tout de suite.
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