Élément différenciant dans un marché très concurrentiel, outil de fidélisation de la clientèle et instrument managérial capable de fédérer l’équipe officinale autour d’un projet sociétal, l’écoresponsabilité à l’officine présente de multiples atouts. Reste à mettre en œuvre cette démarche. Car loin de se limiter à la distribution de sachets en papier, de tote bag à l’effigie de la pharmacie, à l’économie d’une ramette de papier ou encore à la vente de shampoings solides, l’écoresponsabilité investit tous les champs de l’exercice officinal. Le pharmacien n’est-il d’ailleurs pas l’acteur majeur de l’écoresponsabilité ? « Il est en tout cas le plus légitime », assène le Pr Yves Levi (université Paris Saclay). Car, poursuit-il, la pluridisciplinarité scientifique est au cœur sa pratique professionnelle. Et de décliner les nombreux terrains d’action de l’officinal. Épidémiologie, chimie analytique, toxicologie, microbiologie, sciences humaines et sociales…
Désamorcer l’éco-anxiété
Dans chacune de ces disciplines, le pharmacien peut fournir à sa patientèle des réponses en y incluant une perspective écoresponsable. Que ce soit sur l’impact des polluants dans les maladies respiratoires, le développement de certaines maladies chroniques ou encore le stress et la dépression, sur les effets cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR) de certains agents chimiques ou encore la prévention à l’exposition de certaines toxicités, le pharmacien est à la croisée des chemins. Face à ces sujets complexes, très médiatisés, il détient les compétences pour informer « de manière compréhensible et crédible, sans culpabiliser » mais aussi pour désamorcer l’éco-anxiété qui s’empare des citoyens, particulièrement les plus jeunes. « Il est assailli de questions en rapport avec l’actualité, le glyphosate, Lubrisol à Rouen, ou encore d’interrogations en lien avec le quotidien, la pollution atmosphérique, la qualité de l’eau du robinet en Outre-mer, le radon en Bretagne et dans le Massif central, les produits chimiques dans la chambre de bébé… On ne s’imagine pas la palette des questions de la part de la population », énonce le Pr Levi.
Pluridisciplinarité
Voilà pour le volet santé environnementale. Viennent ensuite les interrogations liées à la consommation de médicaments. La chronicité, les mélanges, l’antagonisme entre molécules, les nanoparticules… Autant d’autres angoisses liées à l’impact d’un traitement sur l’environnement et la santé humaine qui peuvent surgir au comptoir. « Il ne faut pas confondre risques et dangers, sources et agents, exposition et effets », met en garde le Pr Levi. Il invite le pharmacien à « transférer l’information pour casser les fausses nouvelles ». « Et surtout, conseiller aux patients les actions – préventives — à mener dans leur quotidien. »
Quant aux titulaires et à leurs équipes, il suffit de tracer toute la chaîne des produits de santé pour y inscrire de multiples actions en faveur de l’environnement. Car le concept écoresponsable concerne autant la production du produit et notamment les rejets, que la logistique et les déchets en fin de vie, y compris après la vente. Les métabolites n’en sont qu’un aspect, mais la gestion des médicaments non utilisés, des dispositifs médicaux usagés et des emballages constituent un pan important de cette démarche. Le point de vente offre par ailleurs de multiples leviers d’actions éco-responsables. La vitrine n’en est que l’exemple le plus visible. Pourquoi ne pas consacrer cette surface à des messages de santé publique, à des alertes locales concernant l’analyse de l’eau, la qualité de l’air, le bruit… ?
Une pharmacie décarbonée
La gestion de l’entreprise officinale elle-même fournit de nombreux prétextes à une approche écoresponsable. Nolwenn Lemaire, pharmacienne adjointe à Acigné (Ille-et-Vilaine), Delphine Cabelguenne, pharmacien hospitalier au Vinatier, à Bron (Rhône) et Antoine Prioux titulaire à Bugeat (Corrèze) et correspondant de l’officine du Shift Project*, évoquent les nombreuses pistes de la pharmacie décarbonée. Car il s’agit d’étudier les multiples facettes, parfois invisibles, de l’impact écologique de l’officine. Et aussi de forcer les fournisseurs à intégrer cette dynamique.
Certains grossistes-répartiteurs en ont d’ores et déjà saisi l’enjeu. Alain Charlier directeur des opérations chez OCP décrit ainsi l’équilibre à trouver dans les livraisons, dont une meilleure organisation qui permet de générer 35 % moins de GES (gaz à effets de serre). Une équation difficile à résoudre car, énonce-t-il, la sobriété n’est pas forcément toujours numérique. Il en veut pour preuve le déploiement de plus petits établissements qui favorise, certes, la proximité, mais aussi la circulation de camionnettes pas toujours remplies ! « D’où la complexité d’une optimisation, tout particulièrement en zones rurales. »
Gestion de stock malin
En écho à Yves Levi, Antoine Prioux affirme que « le pharmacien est la clé de l’écoresponsabilité » et en déroule les applications. Adepte du principe de décroissance, le titulaire est ainsi parvenu à limiter son approvisionnement hebdomadaire à une unique livraison ! Le dispositif est simple. Un logiciel conçu par ses soins - et dont le code source est libéré ! - permet d’avoir une gestion prédictive des parcours de santé de sa patientèle. Et donc d’anticiper les commandes. « Sauf pour les produits de contraste, nous pouvons programmer en effet les besoins de nos patients. D’ailleurs, en général, ils nous préviennent. Cet accord de confiance peut être un facteur pour réduire la fréquence des livraisons », renchérit Nolwenn Lemaire.
La gestion des stocks en flux poussés avec l’appui des fonctionnalités des LGO est l’une des options les plus couramment retenues dans l’approche écoresponsable. Le référencement des produits - ou déférencement ? - en est une autre. « L'assortiment a pour autre avantage de rendre visible la démarche écoresponsable de la pharmacie et d’envoyer un message à la clientèle », ajoute Nolwenn Lemaire. « Contrairement aux idées reçues, la demande en produits écoresponsables n’émane pas de clients « bobos-écolos », mais de mères de famille au budget cosmétiques limité qui recherche des produits simples et bien sourcés », se défend-elle.
Exposome
Antoine Prioux est encore plus radical dans l'acception du concept du référencement écoresponsable. « Il faut vendre moins de médicaments », martèle-t-il en adepte d’une dispensation adaptée et rémunérée. Le membre de Shift Project plaide pour des prescriptions mensuelles en unités de prises journalières. Un principe qui serait repris dans les conditionnements en multiples de semaines. « Cela nous ramène à la notion de pharmacien correspondant ! », relève Antoine Prioux. Un pharmacien correspondant qui peut également prendre en compte l’exposome de son patient, de manière concrète. Ainsi, les prescriptions pourront être adaptées au changement climatique, et les diurétiques aux périodes de grandes canicules.
Nolwenn Lemaire déplore l’absence de recherche en pratique officinale, « une notion qui est pourtant inscrite à la Loi de santé de 2018 », rappelle-t-elle. « Les informations sont toujours descendantes et nous n’avons pas les moyens de faire remonter les initiatives et les réflexions de terrain pour faire évoluer le métier de manière concrète et pour avoir du poids sur les décisions. » La dispensation à l’unité (DAU) n’est pas pour autant la panacée. Elle a même été désapprouvée par l’Académie de pharmacie pour de multiples raisons, comme le rappelle Yves Levi. « La DAU n’apporte au final que peu de résultat dans la réduction des déchets, car le fait qu’un patient ne prenne pas son médicament qu’il soit dans un sachet, ou non, ne changera pas grand-chose à la contamination des eaux usées. »
La juste prescription
Une pharmacie écoresponsable dépend donc du comportement de chacun, y compris des prescripteurs, comme la démontré une démarche qualité menée par PharmaSuisse, organisation faîtière des pharmaciens helvétiques. Une synthèse avait pointé les médecins qui avaient décidément la main trop lourde sur les prescriptions de fluoroquinolones ou de kétoprofène, par exemple. Cette approche prescripteur/dispensateur pourrait être une nouvelle piste sur la voie de l’éco-responsabilité. Et pourrait être intégrée dès le cursus de formation. Des étudiants en pharmacie se sont déjà saisi du sujet. Clara Mourgues, vice-présidente en charge de la commission Transition Écologique & Santé Environnementale de l’association nationale des étudiants en pharmacie (ANEPF) et co-autrice du rapport du Shift Project « Décarboner la Santé pour soigner durablement », pointe ainsi l’urgence d’une pharmacie décarbonée. « Les médicaments et les dispositifs médicaux sont à l’origine de 54 % des 48 millions de tonnes de CO2 imputables au secteur de la santé », rappelle-t-elle énonçant plusieurs actions à mener au niveau des industriels du médicament.
Relocalisation de la production certes mais aussi réintégration des émissions indirectes dans le bilan carbone ou encore conditionnement de l’AMM au marquage CE pour les dispositifs médicaux dont l’empreinte carbone aura été évaluée. À l’officine, l’ampleur de la tâche ne doit pas décourager. Car des actions peuvent être menées à petite échelle, avec pragmatisme. Dans la prévention par la promotion de modèle de soins vertueux, la juste prescription et le juste recours aux soins, le pharmacien d’officine peut devenir un acteur de la sobriété. Tout comme il peut promouvoir la santé environnementale et limiter l’impact de l’activité officinale sur l’environnement. Une démarche qui, du souhait des acteurs engagés, demande à être accompagnée par l’assurance-maladie qui valoriserait les cobénéfices de la réduction de la délivrance des produits.
D'après un colloque de Pharma Système Qualité.
* Think tank dont l’objectif est de contribuer à libérer l’économie de l’empreinte carbone.
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