Le Quotidien du pharmacien.- Dans quel état d’esprit abordez-vous les négociations conventionnelles qui doivent débuter en novembre ?
Pierre-Olivier Variot.- Nous sommes unis, déterminés et nous souhaitons des négociations rapides parce que le réseau souffre terriblement. Nous recevons tous les jours des témoignages de pharmaciens qui nous disent être au pied du mur. C’est même trop tard pour certains. Cela montre qu’il faut agir vite. Nous sommes aussi confiants, car le travail que nos deux syndicats ont effectué en amont pour définir les enveloppes est très étayé.
Vous avez exprimé vos craintes quant à l’impact des économies annoncées dans le PLFSS 2024 sur les négociations conventionnelles. Comment le PLFSS et le futur avenant économique vont-ils s’imbriquer ?
Philippe Besset.- L'annexe 5 du PLFSS 2024 dévoile le montant de l’investissement de l’assurance-maladie dans le champ des conventions : 1,6 milliard d'euros. Y sont inclus les négociations flash avec les paramédicaux de cet été, la convention dentaire, le règlement arbitral des médecins, les protections menstruelles - les montants associés sont connus - et la négociation avec les pharmaciens. Or nos négociations conventionnelles couvrent plusieurs années, tandis que cet investissement de 1,6 milliard d’euros ne concerne que 2024. Et le futur avenant conventionnel ne s’appliquera pas avant septembre prochain. Ce chiffrage dans le PLFSS, qui est une première, n’obère donc pas ce qu’on peut négocier pour 2025, 2026 et les années suivantes. Toujours est-il que l’imbrication des négociations et du PLFSS est clé puisque c’est le Parlement qui décide des surcoûts en actant les négociations conventionnelles qui ont déjà été faites et une partie de celles à venir.
P.-O. V.- Quant aux mesures figurant au PLFSS 2024, certaines nous satisfont mais d’autres posent problème comme les baisses de prix et surtout les baisses de volume. Notre rémunération reste particulièrement liée au volume par l’honoraire à la boîte. Il va donc falloir trouver une compensation.
Les mesures sur les biosimilaires ont disparu du PLFSS 2024 pour être traitées à un niveau réglementaire. Peuvent-elles réapparaître par le biais d’amendements ?
P.-O. V.- C’est une inquiétude, car le réglementaire ne réglera pas tout, en particulier l’égalité de marge bioréférent-biosimilaire. De plus, lorsque nous avons présenté à l'assurance-maladie l’enveloppe globale nécessaire au réseau, le directeur général a demandé ce qu’on donnait en retour. Notre réponse ce sont les biosimilaires puisque les économies générées permettent de payer trois ou quatre fois l’enveloppe que nous demandons.
Ph. B.- Je crains que les milliers d’amendements au PLFSS fassent l’objet d’un classement vertical à la suite de l’utilisation de l’article 49.3. Par ailleurs, on nous a déjà promis en 2022 la modification de l’arrêté de marge pour l’égalisation, mais rien n’a été fait. Quant à l’idée émise par la CNAM d’un tiers payant contre biosimilaire, la loi n’est pas nécessaire pour le mettre en place, on peut signer un accord dans ce sens avec l’assurance-maladie. C’est ce que nous avions fait pour le tiers payant contre générique lorsque nous avons signé la convention nationale pharmaceutique de 2012.
Concernant les négociations conventionnelles, votre revendication première est la revalorisation de l’acte de dispensation. À quelle hauteur ?
Ph. B.- Selon les chiffres de l’observatoire de la rémunération officinale réalisé par l’assurance-maladie, cette rémunération - c’est-à-dire la marge + les honoraires + les remises génériques + les ROSP, donc ce qui concerne le médicament et les services pris en charge mais hors produits de la LPP - s’est élevée à 6,790 milliards d’euros en 2019, qui est l’année de référence pour les négociations conventionnelles. En 2021 ce chiffre est de 8,2 milliards, en 2022 il est de 7,7 milliards, et en 2023, selon nos estimations, il sera inférieur à 2019, à 6,645 milliards d’euros. Notre volonté est d’avoir 1 milliard d’euros de plus, c’est-à-dire de pérenniser le montant de 2022. Compte tenu de la charge de travail et de l'investissement pour maintenir le pouvoir d’achat de nos équipes, ce n’est pas une demande déraisonnable. C’est une hausse de 12 % par rapport à 2019. Et c’est ce qu’ont obtenu les syndicats de salariés entre 2019 et aujourd’hui.
P.-O. V.- Nous demandons la revalorisation de l’honoraire à l’ordonnance, de l’honoraire lié à l’âge du patient, de l’honoraire pour la délivrance de médicaments spécifiques, ainsi que de la vaccination. Notre demande de 1 milliard d’euros prend en compte l’inflation réelle en pharmacie (de 2,2 fois plus élevée que l’inflation générale - NDLR) qui entraîne une forte augmentation des charges, notamment salariales, dont la hausse est de 12,3 %. Cela s’explique par les augmentations de salaires que nous avons signées, les embauches nécessaires et souvent à des salaires au-dessus de la grille en raison de la pénurie de personnel. Or, en 2023, on enregistre une forte récession de la rémunération officinale face à une forte inflation. Même en tenant compte de la rémunération liée aux activités Covid, il nous manque un milliard d’euros pour retomber sur nos pieds en 2025.
Outre l’inflation, la part croissante des médicaments chers pose problème. La mesure de l’assurance-maladie visant à diminuer la marge sur ces produits est-elle définitivement écartée ?
Ph. B.- Cette proposition de l’assurance-maladie a été écartée parce que nous ne l’avons pas signée, mais elle risque de revenir. Il faut comprendre que la marge de 98 euros pour les médicaments chers rémunère le temps pharmaceutique passé à cette dispensation, la responsabilité de la délivrance de ces produits, ainsi que le risque stock, c’est-à-dire le risque lié à l’achat-vente d’un produit qui vaut plusieurs dizaines de milliers d’euros et sur lequel il y a un risque d’indu. On peut venir réclamer au pharmacien un indu de 30 000 euros, alors qu’il n’aura gagné que 98 euros. La réalité c’est que l’assurance-maladie fait supporter au pharmacien les erreurs du médecin ou du patient.
P.-O. V.- Baisser la rémunération sur les médicaments chers est une ligne rouge que nous refuserons de franchir.
Quelles sont vos attentes en termes de rémunération des autres missions confiées aux pharmaciens ?
Ph. B.- Pour les accompagnements pharmaceutiques longs et les bilans partagés de médication, nous souhaitons un paiement à chaque entretien avec une prime pour le dernier. Cela pourrait aboutir à 15 euros pour chacun des deux premiers entretiens et 30 euros pour le troisième, plutôt que 60 euros au bout des trois entretiens. Nous allons essayer de renégocier la rémunération de la distribution du kit de dépistage du cancer colorectal qui passe à l’acte au 1er janvier et sera de 3 euros + 2 euros si le patient réalise bien le test (à la place d’une ROSP de 5 euros - NDLR). Nous voulons que la dispensation à l’unité (DAU), actuellement rémunérée 1 euro avec un versement annuel dans la limite de 500 euros par an, soit payée à l’acte et que le plafond soit relevé. Je rappelle que les pharmaciens ne veulent pas de la DAU, nous avons d’ailleurs proposé des amendements de suppression au PLFSS. Mais s’ils sont obligés de le faire, ils veulent être rémunérés. Il est prévu que l’assistance à la téléconsultation (rémunération actuelle forfaitaire annuelle de 5 euros avec un plafond de 750 euros par an - NDLR) soit payée à l’acte avec un ticket modérateur.
P.-O. V.- Le renouvellement de l’ordonnance chronique sur trois mois fait aussi partie de nos demandes de rémunération à l’assurance-maladie, tout comme la préparation des doses à administrer.
La dispensation adaptée va-t-elle renaître de ses cendres ?
P.-O. V.- C’est une attente forte de la profession mais elle n’aboutira pas tant que la e-prescription n’est pas en place. On sait que l’assurance-maladie ne paiera pas pour toutes les interventions pharmaceutiques, mais peut-être pour les plus importantes. Par exemple, le contrôle de la dispensation des médicaments chers, pour lequel nous ne sommes pas rémunérés aujourd’hui, pourrait entrer dans le cadre des interventions pharmaceutiques.
Qu'en est-il de la rémunération de la vaccination ?
Ph. B.- Nous voulons une revalorisation et une segmentation des actes. Actuellement nous avons une rémunération pour l’injection (7,50 euros) et une rémunération pour la prescription et l’injection (9,60 euros), mais pas pour la prescription seule. Il y a des cas où le pharmacien va prescrire le vaccin qui va être administré par l’infirmier, par exemple lorsque le patient est à domicile et n’est pas mobile. Il faut individualiser les actes. Et donc revaloriser. On ne peut pas partir du principe que l’acte de prescription serait de 9,60 – 7,50, soit 2,10 euros.
Quid des protocoles cystite et angine prévus au PLFSS 2024 ?
Ph. B.- Il faut attendre que le PLFSS soit voté pour pouvoir entamer les négociations sur ce sujet, donc après le 1er janvier.
P.-O. V.- Actuellement la rémunération se fait via les CPTS dans un rapport délégant-délégué. Demain, il n’y aura plus ce cadre d’exercice coordonné, il faut donc une rémunération dédiée, que nous voulons à l’acte, et pas à la dispensation. Parce que dans le cas du TROD angine, il y a 8 chances sur 10 pour que ce soit viral et que ça ne donne pas lieu à la dispensation d’un antibiotique.
Vos revendications sont-elles compatibles avec l'exigence de l’assurance-maladie que tous les acteurs économiques absorbent une part de l’inflation ?
Ph. B.- Oui bien sûr, c’est pour cela qu’on ne demande qu’un milliard d’euros. Mais je lance une alerte. S’il n’y a pas d’investissement à la hauteur de l’enjeu, il faut s’attendre à une dégradation du niveau de service, par exemple avec des horaires d’ouverture revus à la baisse, voire des fermetures d’officine le samedi.
P.-O. V.- La baisse de la rentabilité va d'abord entraîner la baisse de la rémunération du titulaire, puis une baisse des charges, la variable d’ajustement sera alors le personnel. Enfin, si le titulaire n'obtient pas d’aide auprès des banques, des grossistes ou des groupements, il y a un risque de financiarisation.
Vous avez tous deux appelé à la mobilisation de la profession pour faire entendre les difficultés des pharmaciens. Quelle est la feuille de route ?
P.-O. V.- Elle va être définie cette semaine avec les représentants des groupements, des étudiants et de la conférence des doyens. Mais certains syndicats départementaux, qui sont parfaitement autonomes, lancent déjà des actions. La profession rencontre trois soucis majeurs : la situation économique dégradée à laquelle doivent répondre des négociations conventionnelles que nous espérons rapides et avec des mesures fortes ; la pénurie de main-d’œuvre qui n’est pas près de se résoudre puisque ce sont 1 400 places qui n’ont pas été pourvues en 2e année de pharmacie ces deux dernières années – sans parler de la réforme du 3e cycle qui n’est toujours pas signée ; et les pénuries de médicaments qui nous mobilisent 12 heures par semaine pour trouver des solutions à nos patients.
Ph. B.- Nous sommes conscients des difficultés que traverse le pays en ce moment, nous avons le souci de ne pas ajouter du désordre au désordre. Mais il faut aussi que nous parvenions à nous faire entendre, à exprimer le malaise profond de la profession. Depuis que nous avons lancé cet appel à mobilisation, nous recevons sans arrêt des messages de confrères, parfois très frappants. Depuis trois mois les fermetures d’officine repartent en flèche.
Quelles sont les solutions à la problématique des gardes et astreintes ?
P.-O. V.- Les pharmaciens veulent faire moins de gardes et être mieux rémunérés. Dans un premier temps il va falloir redéfinir ce qu’est l’urgence car tous les recours n’en sont pas. Quand le nombre de sollicitations passe de une ou deux par nuit à sept ou huit, et pas toujours pour de véritables urgences, c’est beaucoup plus difficile pour le pharmacien d’enchaîner avec sa journée de travail. S’il demande à un adjoint de réaliser la garde, l’honoraire actuel ne couvre pas le salaire de l’adjoint. Le volet de l’organisation des gardes devra être abordé avec le ministère de la Santé, celui sur la rémunération avec l’assurance-maladie.
Que devient le décret sur les territoires fragiles ?
Ph. B.- Ce décret à venir dépend d’une loi qui stipule que le ministère doit définir, par décret donc, les territoires fragiles en approvisionnement en médicaments. Or il n’y a pas de tels territoires mais des territoires en voie de fragilisation. Ceux-là, si la dernière pharmacie disparaît, vont avoir un problème d’approvisionnement en médicaments. Mais ça ne correspond pas à ce que stipule la loi, nous avons donc un problème de base légale. Par ailleurs, il nous faut un système de rémunération pour ces pharmacies dans les territoires en voie de fragilisation, comme cela existe pour maintenir des hôpitaux de proximité. Cela pourrait ressembler à l’indemnité d’astreinte des pharmaciens de 190 euros pour les nuits. En réalité, les syndicats de pharmaciens le font déjà à bas bruit, sur la demande du préfet, en mettant de garde certaines pharmacies isolées 365 jours par an pour éviter la fermeture. Il faut que l’on trouve un système dans la convention pharmaceutique pour que cet honoraire de sauvetage devienne pérenne.
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