Avant d’entrer dans le vif du sujet, Monique Eloit, directrice générale de l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA) et vétérinaire de formation, s’attache à bien définir ce qu’est une zoonose et ce que recouvre le concept One Health. Devant un parterre de scientifiques de haut niveau, la vétérinaire insiste. Comme tous le savent, une zoonose est une maladie transmissible de l’animal à l’homme. Et comme tout le monde semble l’oublier, c’est aussi une maladie transmissible de l’homme à l’animal. « Le monde animal ne doit pas être uniquement considéré comme un réservoir de pathogènes pour l’homme », défend la vétérinaire, avant de rappeler le lourd tribut payé par les visons lors de la crise du Covid-19. Contaminés par l’homme, les visons se sont transmis le virus entre eux et l’ont transmis à d’autres espèces tels que les chats, les chiens et… les hommes. Non seulement le coronavirus a provoqué chez le vison des symptômes respiratoires marqués et une hausse de la mortalité dans les élevages, mais il a aussi entraîné des décisions politiques fortes en raison d’un risque de mutation de virus avant retransmission à l’homme : abattages massifs et même interdiction définitive de l’élevage de visons au Danemark.
Quant au concept One Health, il s’agit d’une « approche intégrée et unificatrice qui vise à équilibrer et optimiser durablement la santé des hommes, des animaux et des écosystèmes, au niveau local, national et mondial, avec l’objectif d’être mieux organisé et mieux armé pour contrôler des maladies émergentes à risque zoonotique et surtout celles à risque pandémique ». Un concept qui en soi n’a rien de nouveau, rappelle Monique Eloit. « Les travaux de Pasteur ont souvent été réalisés en collaboration avec des vétérinaires. Il a notamment correspondu avec Henri Bouley, ingénieur général des écoles vétérinaires, président de l’Académie vétérinaire de France puis président de l’Académie nationale de médecine. Pasteur considérait la science comme une. »
Conception holistique
Pourtant, cette approche dite « One World, One Health » qui a réémergée au début des années 2000 n’a pas été immédiatement prise en considération. « Ce sont des scientifiques spécialistes de la faune sauvage qui ont voulu alerter sur la tendance à une hyperspécialisation de la médecine, avec un morcellement des disciplines qui faisait oublier la nécessité de prendre de la distance pour voir l’ensemble d’un événement et son contexte. » Cette nouvelle conception holistique s’appuie sur des constats : 60 % des maladies humaines infectieuses sont des zoonoses, 75 % des maladies humaines émergentes sont d’origine animale, elles entraînent des conséquences socio-économiques majeures, 80 % des pathogènes soupçonnés d’être utilisables pour le bioterrorisme sont d’origine animale.
Des collaborations se mettent progressivement en place. En 2011, un accord tripartite voit le jour entre l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA, ex-OIE ou Office international des épizooties) avec trois axes prioritaires : la rage, l’antibiorésistance et le contrôle des influenzas aviaires.
Nouvelles collaborations
Cet accord prévoit par exemple que l’OMSA alimente les données de l’OMS avec ses informations sur les souches circulantes de grippe aviaire chez les oiseaux sauvages et les volailles, ce qui fait partie des éléments pris en compte pour l’adaptation du vaccin antigrippal humain chaque année. Concernant la rage, « nous avons une stratégie commune depuis 2016 visant à l’éradiquer. L’OMSA a déjà fourni gratuitement 30 millions de doses de vaccins chez le chien et on a de très bons résultats au Mexique, au Sri Lanka, en Namibie, en Afrique du Sud. Dès qu’on vaccine de manière organisée et efficace les chiens errants, on observe une chute très rapide des cas humains. Cependant, je regrette qu’on ne parvienne pas à insuffler une dynamique mondiale permettant un vrai recul de la mortalité chez l’homme, alors même que nous avons des vaccins de qualité et peu coûteux et un seul réservoir animal. » Cette collaboration, qui a déjà été élargie en 2017 à de nouvelles priorités (favoriser la robustesse des services de santé humaine et vétérinaire, préparation et riposte face aux émergences, détection et surveillance), prend de l’envergure.
« La déferlante Covid a été un révélateur pour les politiques comme pour les citoyens en démontrant que le risque zoonotique n’était pas seulement théorique ou très loin de nous, mais qu’il pouvait exploser à tout moment avec des conséquences sociales et économiques importantes », relève Monique Eloit. Jusqu’alors peu prise en considération dans les politiques sanitaires nationales ou mondiales, l’approche One Health avait pourtant permis de sonner l’alerte face à l’augmentation des maladies émergentes d’origine animale en raison des échanges commerciaux et des mouvements de populations comme d’animaux. Elle pointait déjà les nombreux facteurs favorisant ces émergences : migrations, déforestation, agriculture intensive, pollutions, urbanisation non contrôlée, production animale intensive. « Ces facteurs sont liés à des activités humaines, cela veut dire qu’on doit, et même que nous avons l’obligation de changer nos comportements. Car depuis se sont ajoutés une crise alimentaire, un défi climatique et l’urgence de protéger nos écosystèmes. »
Reconnaissance politique
En 2020 donc, le concept d’une seule santé se retrouve au cœur des débats. De fait, face aux Covid-19 des collaborations inédites se mettent en place, y compris au sein des gouvernements. La crise réunit sans distinction les ministères de la santé, de l’agriculture, des finances, de l’environnement… L’approche One Health reçoit même une reconnaissance politique officielle en octobre 2021 au G20. Les chefs d’État et de gouvernement déclarent en effet confier « le renforcement des systèmes de surveillance, de détection et d’alerte précoce au plan mondial » à quatre organisations : l’OMS, la FAO, l’OMSA et le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE). L’objectif ? « Mieux traiter les risques émanant des contacts entre humains, animaux et environnement, en particulier l’émergence de zoonoses ». Après un an de travail, le groupe quadripartite a lancé son plan d’action « Une seule santé » 2022-2026.
« La crise Covid a fait de One Health un concept grand public mais sa mise en pratique n’est pas simple, parce qu’on sait bien qu’on ne va pas résoudre en un jour des problématiques comme les marchés d’animaux vivants, la consommation de viande de brousse, le commerce mondial… surtout dans des pays qui ont le nez sous l’eau », souligne la vétérinaire. Ainsi note-t-elle, la recherche en faveur d’une réduction de la consommation d’animaux ne trouve pas écho, car « dans bien des zones du monde, la seule question est de savoir si on va avoir à manger ».
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