Les pharmaciens européens passent désormais « près de 7 heures par semaine » à gérer les ruptures au comptoir, soit une heure de plus que l’année précédente, indique Ilaria Pasarini, secrétaire générale du Groupement pharmaceutique de l’Union européenne (GPUE). À l’heure où les bras manquent et où les nouvelles missions sont toujours plus nombreuses, le temps consacré à ce fléau exaspère les confrères.
Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), de retour du « Tour de France » organisé dans une dizaine de villes ces derniers mois pour présenter dans le détail la nouvelle convention pharmaceutique, s’en est ému. « J’ai rencontré des pharmaciens complètement excédés par les ruptures, qui ne voulaient rien entendre des nouvelles missions parce qu’ils n’ont pas le temps, puisqu’ils passent leurs journées à essayer de trouver des traitements pour leurs patients. »
C’est aussi un motif de crispation du côté des patients, rappelle Gérard Raymond, président de France Assos Santé. « Ça fait des années que ça dure, ça s’amplifie et on nous promène… Il est difficile de concevoir qu’on ne puisse pas obtenir un médicament prescrit au moment où on va le chercher en pharmacie au XXIe siècle ! » Car le problème n’est pas nouveau, mais les plans anti-pénuries mis en place ces dix dernières années n’ont pas eu l’effet escompté. Pire, le nombre de signalements de risques de tensions et ruptures n’a cessé d’augmenter, passant de 44 en 2008 à plus de 3 500 en 2022, année record. Si le nombre réel de tensions et ruptures est bien à la hausse, la directrice générale de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, Christelle Ratignier-Carbonneil, apporte un bémol. « Il y a une différence entre les déclarations de risque de tension ou de rupture et les tensions et ruptures avérées. L’encadrement législatif et réglementaire oblige, en particulier depuis 2020, les industriels à déclarer le plus tôt possible tout risque potentiel, de façon à nous donner le temps nécessaire pour mettre en place des mesures de réduction du risque. C’est un élément qui contribue à augmenter le nombre de signalements », a-t-elle détaillé le 15 février, lors de son audition par la commission d’enquête du Sénat sur les pénuries de médicaments.
Réponse européenne
Pour remédier à ce fléau, le gouvernement a annoncé de nouvelles pistes à suivre, le 2 février. « Lors du comité de pilotage des pénuries, les ministres Braun et Lescure ont annoncé une trajectoire pour les prochains mois comprenant des mesures à court, moyen et long terme », rappelle François Bruneaux, adjoint à la sous-directrice de la politique des produits de santé et de la qualité des pratiques et de soins à la Direction générale de la santé (DGS). S’exprimant aux 13es Rencontres de l’USPO le 8 février, il cite notamment, pour le long terme, le renforcement des « efforts de relocalisation » et l’action coordonnée de l’Europe via la nouvelle Autorité de préparation et de réaction aux situations d’urgence sanitaire (HERA).
Le maillon européen semble d’autant plus indispensable que la problématique des pénuries est européenne et même mondiale. Rien que la tension d'amoxicilline touche, selon l'Agence européenne du médicament (EMA), 29 des 30 pays membres de l'Espace économique européen (EEE). Surtout, « les industries pharmaceutiques sont des multinationales pour lesquelles le marché français représente peu de choses face à la production mondiale, c’est pourquoi des mesures nationales risquent d’avoir un impact limité sur leur stratégie mondiale, alors qu’une réponse européenne aura du poids », précise Dominique Le Guludec, présidente de la Haute Autorité de santé (HAS),
Par ailleurs, les ministres ont annoncé que d’ici à la fin mai une liste de médicaments stratégiques serait établie : des médicaments indispensables mais présentant une fragilité industrielle. « À partir de cette liste, la France étudiera ses options pour les "dévulnérabiliser", que ce soit par une relocalisation, la diversification de la production, etc. », précise Christelle Ratignier-Carbonneil. Le gouvernement a aussi accédé à une demande répétée des génériqueurs : augmenter le prix de certains médicaments matures en échange d’une sécurisation de l'approvisionnement du marché français.
Bons amortisseurs
« Pour les solutions à moyen et court terme, on s’appuie beaucoup sur le pharmacien, en particulier en termes de bon usage du médicament puisque cela devrait entraîner une baisse sensible de risque de pénurie. Il faut aussi mener un travail de saisonnalité avec les pharmaciens, comme nous l’a montré la triple épidémie grippe-Covid-bronchiolite, ce travail d’anticipation existe pour la grippe mais doit être étendu à d’autres pathologies », ajoute François Bruneaux. Du côté de l’ANSM, si elle se charge de l’état des lieux de la situation en s’appuyant sur les déclarations des industriels, elle compte aussi sur les pharmaciens présents tout au long de la chaîne du médicament pour remonter les informations. Et sur l’officine pour répondre à l’urgence. Dans le cas des tensions en amoxicilline dues à une forte augmentation de la demande après deux années de baisse, l’Agence se félicite d’avoir pu apporter une solution avec la quarantaine d’officines autorisées à réaliser des préparations magistrales pédiatriques.
« C’est la petite officine qui est venue au secours de la grande industrie, remarque Pierre-Olivier Variot, président de l’USPO, ce n’est pas l’idéal mais c’est une solution pour permettre aux patients de se soigner. » Cependant, regrette-t-il, « on s’est heurté au cadrage juridique ». En effet, les préparations magistrales sont par définition extemporanées, donc réalisées pour un patient particulier sur présentation d’une ordonnance. « En pratique, on les fait faire par une pharmacie sous-traitante qui va nous les livrer en quelques jours. Mais avec les antibiotiques ce n’est pas possible, le patient en a besoin tout de suite. Il a fallu que l’ANSM prévoie une exemption pour qu’on puisse faire des stocks. Le cadrage juridique doit évoluer pour qu’on puisse aller plus vite si de telles préparations sont à nouveau nécessaires pour pallier une pénurie. »
Bien que les solutions déployées en France ces dernières années – obligation de stockage et de signalement précoce, plan de gestion des pénuries, possibles sanctions financières, etc. - ne soient pas parfaites, elles sont étudiées avec attention au niveau européen. « Des travaux sont en cours sur la législation du médicament pour une entrée en vigueur en 2024-2025 et la Commission européenne se penche sur ce que la France a mis en place, note Christelle Ratignier-Carbonneil. Même si ces mesures n’annihilent pas le risque, ce sont de bons amortisseurs. »
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