Coup de gueule. Les récupérations d’indus pour raisons administratives ont explosé et les pharmaciens en ont assez. « Quand il manque quelque chose sur l’ordonnance, on nous fait un indu, et longtemps après. Notamment sur des produits très chers », relève Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). « L’assurance-maladie a une vision plutôt comptable et pas vraiment de santé publique, et avec l’augmentation naturelle du coût des traitements et des médicaments, elle a tendance à y regarder de plus près », abonde Valérian Ponsinet, président de la commission Convention et système d'information de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF).
La situation est telle que pour Cyril Colombani, président de l’USPO Alpes-Maritimes, « très clairement, on n’est plus sur du contrôle de factures, on est sur du harcèlement administratif. »
« Par exemple, poursuit Cyril Colombani, pour des anticancéreux prescrits depuis 6 mois ou 1 an à Mme Michu. Le médecin fait son renouvellement pour 3 mois comme à chaque rendez-vous, mais il oublie de mettre le prénom de Mme Michu. Le pharmacien, lui, connaît bien Mme Michu, il la voit tous les mois, voire plusieurs fois par mois. Il va délivrer le traitement, parce que c’est le traitement habituel, parce que c’est la bonne ordonnance, parce qu’il n’y a pas de fraude. Un an et demi après, la caisse primaire d’assurance-maladie (CPAM) va mettre les 3 mois en indus. Quand le produit coûte 4 000 euros, ça fait 12 000 euros d’indus. »
Autre exemple : « Un médecin qui se trompe et qui, au lieu du 3 janvier 2024, inscrit sur l’ordonnance 3 janvier 2023 en début d’année, ce qui arrive souvent. Le pharmacien barre la date pour mettre la date correcte. La Sécu considère que c’est un faux. Le médecin rédige un courrier précisant qu’il a bien vu le patient à la date indiquée par le pharmacien. La caisse ne veut rien entendre, raconte le pharmacien des Alpes-Maritimes. Plus grave, on facture à la caisse une ordonnance pour des patients présentant une carte AME sur laquelle on n’a pas les moyens de vérifier si elle est toujours valide ou pas. Six mois, un an après, on apprend que la personne n’avait plus droit à l’AME alors que l’on a une copie de la carte présentée. »
« Et c’est de plus en plus fréquent, renchérit Valérian Ponsinet. On a des exemples à la pelle et l’assurance-maladie a tous les pouvoirs. La seule façon de faire, c’est d’envoyer des courriers, il n’y a personne au téléphone. Les moyens sont restreints, la caisse en profite. Le pharmacien y passe énormément de temps. S’il y consacre par exemple 4 heures à un taux horaire de pharmacien, ce n’est économiquement pas possible. Et c’est une source de stress. Il laisse tomber. Et l’assurance-maladie a tendance à considérer les pharmaciens qui ne répondent pas, comme des fraudeurs. »
Choc de simplification
Pour Pierre-Olivier Variot, il est temps de remettre tout à plat : « Cela fait quatre ans que l’on demande un groupe de travail pour simplifier les règles de prescription, qui sont devenues imbuvables pour tout le monde : le patient, le médecin, le pharmacien. Le choc de simplification, les prescripteurs l’ont eu. Les infirmiers viennent de l’obtenir. Il faut que nous aussi, nous l’obtenions. Aujourd’hui cette situation n’est pas entendable. »
Car l’assurance-maladie est capable de lâcher du lest. Les syndicats infirmiers ont en effet obtenu le 26 novembre, « non sans difficulté » selon les infirmiers, une circulaire fixant 13 points pour limiter certains rejets de facturation évitables causés par des prescriptions mal rédigées ou incomplètes. Par exemple, ils ont obtenu de la caisse nationale de l’assurance-maladie (CNAM) la possibilité de facturer un acte de pansement en l'absence du terme « pansement » sur l’ordonnance, mais en présence de mentions s'y référant.
« Concrètement, on demande que notre rôle de professionnel de santé soit pleinement reconnu, réclame le président de l’USPO. Quand le médecin oublie de cocher la case ALD sur une ordonnance alors que le patient a été pendant 18 mois en ALD et que la fois d’après, il est en ALD, le pharmacien sait très bien que ce médicament-là rentre dans l’ALD. » « À l’inverse, si le pharmacien ne facture pas en ALD quand le médecin a oublié de le préciser sur l’ordonnance, c’est la mutuelle qui bloque, parce qu’elle voit de l’ALD pour les autres ordonnances. On est pris en otage », complète Valérian Ponsinet.
Et pour le représentant de la FSPF, c’est la double peine : « L’assurance-maladie récupère l’intégralité de la facture mais le pharmacien a acheté le médicament, et pour peu qu’il ait réalisé une petite marge, il la perd. C’est comme mettre le produit à la poubelle. »
S’il n’existe pas de chiffres précis évaluant le poids des indus sur le réseau, pour une officine « ça peut monter très, très haut, selon Valérian Ponsinet. Parfois c’est le prix d’une Twingo. »
Coup de pression
Si, au niveau local, les agents de la CPAM entendent les plaintes des pharmaciens et tendent « à lever le pied », selon Valérian Ponsinet, « ils conservent une démarche comptable. On les comprend, on est partant pour lutter avec eux contre les fraudes mais ils viennent chercher des falsifications sur des ordonnances qui auraient dû être, à cette date, des ordonnances électroniques. On réclame l’e-prescription depuis 2022, mais c’est l’hôpital qui n’est pas prêt », désespère le représentant de la FSPF chargé aussi de la pharmacie numérique.
On se bat surtout pour les patients car en réalité, ce qu’est en train de faire la caisse, c’est de mettre en danger les patients
Cyril Colombani, président de l’USPO Alpes-Maritimes
Pour obtenir le groupe de travail qu’il réclame, l'USPO recherche des preuves. « On est en train de demander à tous les pharmaciens de nous remonter ces cas où, très clairement, il n’y a pas d’erreur de délivrance, il n’y a pas de fraude. C’est juste un médecin qui est pressé et qui n’arrive plus à suivre tout ce qu’on lui demande. Ou alors le tampon du médecin qui n’avait pas assez d’encre ou qui n’était pas assez lisible, ou la date qui n’est pas parfaitement lisible. On demande de remonter tous ces exemples-là pour monter des dossiers concrets, mais surtout pour qu’on puisse obtenir cette réunion avec la CNAM pour que ça s’arrête. Parce que si ça ne s’arrête pas, ce sont des vies de patients que l’on met en danger », s’impatiente Cyril Colombani.
L’USPO compte aussi mettre la pression sur l’assurance-maladie. « On va commencer à faire sortir dans toute la presse que si la CNAM ne change pas sa façon de voir le rôle de professionnel de santé du pharmacien, on ne pourra plus prendre en charge ces traitements qui sont à risque important d’indus », annonce Pierre-Olivier Variot. « On se bat surtout pour les patients car en réalité, ce qu’est en train de faire la caisse, c’est de mettre en danger les patients, ajoute Cyril Colombani. Quand vous avez des trésoreries tendues comme elles le sont aujourd’hui et que vous avez une CPAM qui n’est à ce stade plus rigide mais maltraitante envers les pharmaciens, des pharmaciens vont refuser de prendre le risque de délivrer ces traitements. Et vu le délai pour retourner voir le médecin, le patient ne pourra plus être traité. Voilà le monde kafkaïen qu’est en train de dessiner pour nous la caisse primaire d’assurance-maladie. »
ReclaPS sur Amelipro : peut mieux faire
Mi-janvier, au plus tard, l’ensemble des pharmacies pourra accéder à « Réclamations Paiements » (RéclaPS), le nouveau téléservice développé par l’assurance-maladie sur amelipro pour déposer les réclamations liées aux facturations et en suivre le traitement. L’assurance-maladie promet une utilisation simple et rapide, ainsi qu’une « plus grande réactivité dans la prise en compte des réclamations. »
Pour Guillaume Racle, conseiller économique et offre de santé de l’USPO, RéclaPS « n’est pas conventionnel et est chronophage. C’est un outil qui n’est pas adapté aux pharmaciens ». « En Saône-et-Loire, ça fait un bout de temps que c’est déployé. Et que ça ne marche pas forcément très bien, bien que la CPAM puisse dire le contraire. En Corse, ça ne marche pas du tout. On l’utilise…, jusqu’à un certain point, témoigne Sébastien Lagoutte, co-president Bourgogne-Franche Comté de l’USPO. Les GROS problèmes du système sont : un, il faut TOUT ressaisir lors de la création du ticket : NIR, numéro de facture, numéro de lot… alors que seul le numéro de facture doit être suffisant pour que le système retrouve le reste. Perte de temps. Le système pourrait aussi être capable de créer une réclamation à partir d’un rejet. Deux, ce n’est pas un canal de discussion. Une fois la réclamation faite, la CPAM répond une fois et ça s’arrête là. Donc s’il faut des documents complémentaires, s’il faut des précisions, si on n’est pas d’accord avec l’analyse de la CPAM, il faut refaire une réclamation… Et ainsi de suite. Double perte de temps. Et d’historique. »
Pour Valérian Ponsinet, RéclaPS est intéressant « mais les concentrateurs comme RésoPharma, qui reçoivent les lots de feuilles de soins électroniques (FSE), n’ont pas la possibilité de se connecter. On demande que nos organismes concentrateurs techniques puissent opérer avec RéclaPS, pour éviter les doubles saisies. »
Les médicaments chers, source d’indus
Les médicaments onéreux, catégories dont le prix HT dépasse 468,97 euros et 1 930 euros, sont indéniablement un facteur de litiges avec l’assurance-maladie. Rien d’étonnant donc que dans un contexte où la part détenue par ces produits dans l’activité officinale ne cesse de croître, le phénomène des indus connaisse une recrudescence. De janvier à septembre, selon les chiffres diffusés par GERS Data, les médicaments dont le prix HT excède 1 930 euros représentaient 0,1 % des volumes dispensés, mais 23 % du chiffre d’affaires officinal. Ce taux a été multiplié par 2,3 au cours des quatre dernières années. Toujours selon GERS Data, les produits dont le prix est égal ou supérieur à 468,97 euros constituent 0,4 % des ventes en volume mais 42 % du chiffre d’affaires. Celui-ci a d’ailleurs augmenté de 11 % au cours des douze derniers mois observés. Ces croissances s’expliquent en partie par les hausses de prix. Ainsi, pour les médicaments d’un prix excédant 468,97 euros, le prix moyen est passé de 1 015 euros en 2019 à 1 512 euros en 2024, soit +48,9 %. Quant à la catégorie des médicaments de plus 1 930 euros, le prix moyen a progressé de 31,7 % à 4 624 euros pendant la même période et a enregistré une hausse de 600 euros entre septembre 2023 et septembre 2024. « Pour cette catégorie de produits, la hausse de prix compense la baisse des volumes (-11 %) observée au cours des douze derniers mois », analyse David Syr, directeur général de GERS Data.
M. B.
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