La face cachée du compte courant d'associé

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Publié le 19/05/2023
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Complément dans le financement de l'officine, le compte courant d'associé représente aussi un placement pour le pharmacien, comme l'exposent Olga Romulus, expert-comptable de Fiducial, et Philippe Becker, consultant pharmacie pour Fiducial.

L’expérience a montré que la cohabitation des fourmis et des cigales posait problème et qu’elle pouvait tuer une association prometteuse !

L’expérience a montré que la cohabitation des fourmis et des cigales posait problème et qu’elle pouvait tuer une association prometteuse !
Crédit photo : Burger/Phanie

Le Quotidien du pharmacien. - Dans les différentes sources de financement de l’officine passées en revue récemment vous indiquiez l’apport en compte courant des associés d’une société. Nombre de pharmaciens, cependant, s’interrogent sur l’intérêt de laisser cet argent « dormir » dans une officine. Considérez-vous pourtant qu’il s’agit d’un bon placement ?

Philippe Becker. - Il faut rappeler que les associés d’une société d’officine ont à leur disposition deux manières d’apporter de l’argent pour constituer les fonds propres : l’apport au capital et l’apport en compte courant d’associés. Le choix n’est pas sans conséquences, sachant que dans la plupart des sociétés le montant minimal du capital social n’est plus réglementé.

Cela étant, lorsque j’apporte au capital, je ne peux récupérer les sommes que dans trois cas : lors de la vente des actions ou des parts sociales, lors de la dissolution de la société, ou encore si une réduction de capital est décidée. Cela suppose de nombreuses conditions et aussi un formalisme lourd, avec à la clé des règles de majorité renforcées.

Cela veut donc dire qu’il peut être compliqué de récupérer de la trésorerie dans ce cas !

Philippe Becker. - Tout à fait ! En contrepoint, les sommes déposées en compte courant ont, elles, la nature d’un prêt et non d’un apport en capital. Aussi, en l’absence de conventions particulières ou statutaires, les comptes courants ont pour caractéristique essentielle d’être remboursables à tout moment. Bien évidemment, cette créance que les associés ont sur leur société d’officine n’est liquide qu’à la condition de disposer d’une trésorerie disponible suffisante sur les comptes bancaires !

Quelles sont ces conventions ou clauses statutaires qui peuvent intervenir dans la mécanique des comptes courants ?

Olga Romulus. - Il faut déjà tenir compte des textes propres aux sociétés d’exercice libéral (SEL) qui précisent le montant maximal des comptes courants par rapport au capital social. Ainsi, pour les associés exploitants, leur compte courant ne doit pas excéder trois fois leur participation au capital. Quant aux associés investisseurs dormants, la limite est égale à une fois leur participation au capital.

Notons que, à compter du 1er septembre 2024, seules les SEL exerçant une profession de santé seront encore concernées par ces plafonds. A contrario pour les autres types de structures sociétales (SARL, EURL et SNC), c’est la liberté la plus totale. Il n’est pas anodin de rappeler que les banques qui financent les opérations de rachats de pharmacies exigent toujours un montant d’apport personnel en capital et en compte courant suffisant pour un équilibre financier solide. Dans ce contexte, et du fait de la souplesse d’utilisation du compte courant d’associé, un blocage total ou partiel de ceux-ci pendant une certaine période est souvent exigé par les établissements financiers. Cela signifie, en d’autres termes, que les associés ne pourront pas se rembourser pendant quelques années, le temps que la société se désendette. A cela peuvent s’ajouter des dispositions dans les statuts ou règlement intérieur qui visent à protéger la société et éviter les litiges entre associés.

Pouvez-vous nous en donner des exemples ?

Olga Romulus. - Pour éviter de mettre à mal la trésorerie de la pharmacie, il est souvent prévu un délai de prévenance avec un échéancier de remboursement du compte courant. Bien souvent les associés exploitants s’engagent à maintenir les positions de leurs comptes courants à un même niveau. L’expérience a montré que la cohabitation des fourmis et des cigales posait problème et qu’elle pouvait tuer une association prometteuse ! Il est par conséquent très important que les associés soient clairs sur leur intention dès le début et qu’ils aient une bonne connaissance des principes de fonctionnement des comptes courants lorsqu’ils intègrent une société.

Comment évolue le compte courant au cours du temps ?

Olga Romulus. - Il peut rester fixe dans son montant, mais aussi augmenter si les associés décident de distribuer une partie des réserves facultatives sans pour autant « se faire un chèque », c’est-à-dire se rétribuer. C’est, il faut le dire, une situation assez rare ! Le compte courant est souvent mouvementé en raison d’écritures comptables liées à des dépenses privées des associés.

Prenons le cas d’un pharmacien qui vend ses parts, que se passe-t-il avec son compte courant ?

Philippe Becker. - Deux cas s’offrent à lui. Soit la société liquide le compte courant pour son montant définitif et approuvé en faisant un chèque au pharmacien sortant. Soit le nouvel entrant rachète le compte courant et substitut son nom à l’associé vendeur dans les comptes de la société. Cela revient au même sur le plan financier. Par conséquent, il n’y a pas d’inquiétude à avoir si la société est en bonne santé.

En revanche, lorsque la société rentre dans une mauvaise passe et qu’elle dépose le bilan, le ou les associés sont exposés à la perte de leur mise car ils passeront après tous les autres créanciers qui ont des garanties ou des privilèges.

La société peut-elle prêter de l’argent à ses associés ?

Philippe Becker. - Cela est interdit par le code du commerce dans les sociétés dites de capitaux (SARL – EURL – SEL). Une position débitrice du compte courant d’associé est constitutive d’un abus de biens sociaux. Il peut être sanctionné pénalement avec une double peine puisque sur le plan fiscal les sommes débitrices sont assimilées à une distribution, donc taxées en revenus mobiliers sans abattement, ni crédit d’impôt.

Il convient aussi de préciser que la Cour de cassation a jugé que ce pouvait être un motif légitime de révocation du gérant d’une SELARL. Cette situation est donc à éviter par principe et les cabinets comptables sont vigilants sur ce point pour prévenir le risque !

Le compte courant étant un prêt d’un associé à sa société, peut-il être rémunéré ?

Olga Romulus. - Sauf disposition contraire, ces sommes prêtées peuvent donner lieu, dans certaines conditions et limites, au versement d’intérêts. Le taux est librement fixé entre les associés mais, attention, la déductibilité fiscale pour la société est plafonnée par l’article 39-1-3° du code général des impôts. C’est donc une opportunité à considérer avec attention car la hausse des taux d’intérêt dans un contexte d’inflation plus forte a fait remonter sensiblement cette limite qui pourrait dépasser les 3 %/an dans les prochains mois. Les intérêts perçus par les associés sont, eux, taxés en revenus de créances.

Autre cas de figure, le pharmacien a remboursé ses emprunts et il souhaite récupérer une partie ou la totalité de son compte courant. Toutefois, la trésorerie de la société est insuffisante parce qu’il a investi en fonds propres pour augmenter son stock ou acheter un robot, comment doit-il procéder ?

Olga Romulus. - Dans un tel contexte, les banques peuvent financer le rachat du compte courant et se substituer au pharmacien associé. Bien évidemment, le pharmacien associé devra donner des garanties et aussi payer des intérêts mais ceux-ci viendront en diminution du résultat de la société. Le pharmacien récupérera ses fonds et pourra en faire ce qu’il en veut sans aucune fiscalité. Lorsqu’il y a plusieurs associés, un accord unanime est nécessaire et bien évidemment le rachat sera global.

Propos recueillis par Marie Bonte

Source : Le Quotidien du Pharmacien