Un simple coup de fil aura suffi à la délester de 690 euros. Comme d’autres pharmaciens et de nombreux commerçants, cette titulaire de l’Ain a été, le 12 avril dernier, la victime d’une société peu scrupuleuse. « On m’a dit que je n’étais pas en règle et on m’a menacée d’une lourde amende si je n’effectuais pas un diagnostic en ligne pour me mettre en conformité avec la loi sur l’accessibilité », se souvient la pharmacienne. À peine avait-elle raccroché, qu’elle se met à douter de la méthode et fait opposition auprès de sa banque. Trop tard. Le mois suivant, elle constate sur son relevé bancaire que son compte a été débité.
À chaque fois, le procédé est le même. Le titulaire reçoit un mail, ou un fax, lui indiquant qu’il figure sur la liste de la préfecture des établissements recevant du public (ERP) non conformes à la loi sur l’accessibilité des personnes à mobilité réduite. Implacable, le message informe le titulaire qu’il encourt jusqu’à 225 000 euros d’amende s’il ne dépose pas immédiatement un agenda d’accessibilité programmée (Ad’AP). Et l’engage à rappeler sans tarder un numéro pour se mettre en règle.
« Moi-même, j’ai failli tomber dans le piège. Le courrier est à ce point persuasif que j’ai, dans le doute, envoyé une seconde déclaration à la préfecture en oubliant que je l’avais déjà fait quelque temps auparavant », reconnaît François Gayon, titulaire à Argentan et représentant de l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF) en Basse-Normandie.
Début avril, son syndicat avait lancé l’alerte, mettant en garde les titulaires et les appelant à la plus grande vigilance. Car contrairement à ce qu’affirment ces sociétés de démarchages, bien que le délai du dépôt des Ad’AP avait effectivement été fixé au 27 septembre 2015, les retardataires qui peuvent justifier leur dépôt tardif, ne sont pour le moment aucunement pénalisés.
Démarchages abusifs
Usant du flou qui accompagne la mise en place de l’accessibilité dans les ERP, des sociétés peu scrupuleuses se sont donc engouffrées dans la brèche. Depuis le printemps, de nombreuses chambres de commerce et d’industrie, ainsi que des syndicats professionnels, ont informé leurs adhérents de ces démarchages abusifs qu’ils n’hésitent pas à qualifier « d’arnaques ».
Au bout du fil, des « conseillers » au ton persuasif, ne supportent guère les objections, empressés qu’ils sont de recueillir les coordonnées bancaires avant d’effectuer le supposé diagnostic en ligne. Pour intensifier la pression sur leur interlocuteur, ils ne manquent pas de brandir la date fatidique du 27 septembre 2015 et la fermeture imminente de la pharmacie non conforme.
Testée par « le Quotidien », l’une de ces sociétés, l’Agfac, déclare être autorisée à ces pratiques. Sommé de préciser l’origine de cette autorisation, l’opérateur s’agace et se justifie : « les Français ne bougent pas, alors nous, on bouge ». Prédisant qu’une absence de mise en conformité « finira par retomber sur le coin du nez » du pharmacien, il annonce le tarif forfaitaire du diagnostic : 420 euros.
Le conseiller téléphonique d’une autre société, implantée à Lyon et autoproclamée « agence française de la réglementation des PMR », Ad’AP, n’est pas moins péremptoire. Joint au téléphone, il réclame 1 290 euros pour « enregistrer le diagnostic accessibilité et établir le formulaire Cerfa en ligne » d’une officine de 120 m2. Il pousse même l’imposture jusqu’à affirmer être mandaté par la préfecture.
Vérification faite, cet organisme n’a eu l’aval de l’administration, ni d’aucune autre autorité. À la Direction départementale du territoire (DDT) du Rhône, l’instructeur pour l’accessibilité est formel : « l’organisme Ad’AP n’a aucune légitimité à représenter la préfecture ».
Enquêtes en cours
Si rien n’empêche un prestataire de proposer un diagnostic à un commerce, les méthodes de ces sociétés sont en revanche critiquables. Elles reposent sur l’intimidation et des tentatives de déstabilisation dans le but de soutirer des sommes d’argent. « Je peux comprendre qu’on puisse être désarçonné lorsque, méconnaissant la réglementation, on se trouve face à un interlocuteur qui menace de sanctions financières importantes », admet l’instructeur de la DDT.
Selon lui, les pharmaciens ne sont pas les seules victimes. Tous les jours, le service départemental reçoit des appels de commerçants bernés par ces sociétés. Une procédure est d’ailleurs en cours dans le Rhône contre la société Ad’AP et, au niveau national, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) enquête sur ces démarchages abusifs.
En attendant l’issue de ces investigations, tous les pharmaciens recevant ces courriers indésirables par fax, ou des relances par mail, sont invités à les déclarer auprès de leur direction départementale de la protection des populations.
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