Rentrée universitaire : une année charnière

Par
Publié le 03/10/2024
Article réservé aux abonnés

Le nombre de places vacantes en 2e année de pharmacie est en diminution à la rentrée 2024, avec environ 250 sièges inoccupés dans toute la France. Une amélioration pas totalement satisfaisante, qui ne doit surtout pas faire oublier les mauvais chiffres des deux rentrées précédentes. D’autres chantiers d’ampleur attendent aussi d’être relancés durant une année universitaire qui s’annonce particulièrement importante pour l’avenir de la filière.

En deuxième année de pharmacie, 250 sièges sont restés inoccupés en France en cette rentrée universitaire

En deuxième année de pharmacie, 250 sièges sont restés inoccupés en France en cette rentrée universitaire
Crédit photo : Robin Letellier/SIPA

C’est un chiffre qu’aucun acteur du monde pharmaceutique n’a oublié. À la rentrée 2022, 1 027 étudiants manquaient à l’appel en 2e année de pharmacie, soit environ un tiers du nombre total de places à pourvoir. Une situation catastrophique qui avait eu l’effet d’un électrochoc pour l’ensemble de la profession. L’an dernier, le nombre de places vacantes avait légèrement reflué (453 en 2e année de pharmacie).

Les chiffres de la rentrée 2024 confirment que le problème tend à être endigué mais hors de question de crier victoire pour le président de la Conférence des doyens de pharmacie, Vincent Lisowski. « Nous avons recensé entre 230 et 250 places vacantes en 2e année sur l’ensemble de la France pour un total de 3 590 places à pourvoir (contre 3 540 en 2023), annonce-t-il. Cependant, nous ne pouvons pas nous en réjouir car ces places vacantes en 2024 s'additionnent à celles des années précédentes », résume l’universitaire. À la lecture de ce chiffre, Ilan Rakotondrainy, président de l’Association nationale des étudiants en pharmacie de France (ANEPF) a lui aussi un sentiment mitigé. « Le nombre de places vacantes commence à se résorber mais voir qu’il y en a toujours cela reste une blessure pour nous », confie-t-il. Bien sûr, ces données doivent être appréhendées en tenant compte de l’augmentation du nombre de places offertes en deuxième année de pharmacie depuis la mise en place de la réforme des études de santé (environ 3 500 donc) par rapport au temps de la PACES (environ 3 000 places). Néanmoins, la profession fait face à ce un constat implacable. « Nous savons que la profession vieillit et le nombre actuel d'étudiants formés ne compensera pas les besoins et les vagues de départ à la retraite qui s'annoncent », synthétise Vincent Lisowski.

La pharmacie : encore trop souvent un choix par défaut ?

Au-delà des chiffres bruts, le président de la Conférence des doyens de pharmacie regrette de voir que nombre d’étudiants choisissent encore la filière faute d’avoir pu obtenir mieux (comprenez une deuxième année de médecine). « La qualité du recrutement des étudiants ne peut pas nous satisfaire pleinement, admet Vincent Lisowski. Cette année à Montpellier, j'ai eu 5 ou 6 désistements à la rentrée, des étudiants qui ont choisi d’aller ailleurs au dernier moment. Nous avons des inscrits qui se demandent ce qu'ils font là ou qui abandonnent pour tenter leur chance en médecine à l'étranger. D’autres, encore, qui préfèrent finalement aller en L.AS pour obtenir médecine mais demandent quand même si nous pouvons leur garder une place en pharmacie… » En résumé, la pharmacie semble encore et toujours être « la cinquième roue du carrosse des filières de santé », selon l’expression de Vincent Lisowski.

Mieux faire connaître « les » métiers de la pharmacie, c’est justement ce à quoi s’emploient les doyens, les étudiants ou encore le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (CNOP) depuis de longs mois. Faire découvrir au grand public « le moins connu des métiers connus », pour reprendre le titre de la campagne de communication du CNOP, proposer aux pharmaciens de tous horizons de participer à des défis pour faire parler de la filière (le concours Bouge Ta Pharma lancé par l’ANEPF), aller à la rencontre des jeunes lors des forums étudiants, solliciter les médias… Toute la profession s’est mobilisée mais peut-elle en faire davantage ? « Je n’en suis pas sûr, répond Vincent Lisowski. Nous n’allons pas non plus survendre la profession. »

Recruter directement sur Parcoursup, clarifier le système PASS/L.AS…

Pour Vincent Lisowski et les doyens de pharmacie, une solution permettrait peut-être de combler ces places vacantes que l’on déplore dans les amphis. Une idée présentée dès le mois de janvier 2023 et qui n’a toujours pas trouvé d’écho favorable du côté du ministère de l’Enseignement supérieur. « Nous avons plaidé pour que la pharmacie soit directement proposée sur Parcoursup, à la sortie du baccalauréat. Il y a des lycéens motivés pour venir en pharmacie mais qui n'y parviennent pas ensuite car le système PASS/L.AS ne leur convient pas. Ce sont des jeunes qui sont attirés par la pharmacie et nous trouvons dommage de les perdre », explique l’universitaire. Il estime en tout cas que c’est au niveau du lycée qu’un travail de sensibilisation doit être effectué en priorité pour augmenter la visibilité de la filière. « Il faut essayer de capter des jeunes dès le lycée mais aujourd'hui les universités publiques ont du mal à y aller, beaucoup plus que les prépas privées et cela nous chagrine beaucoup. Nous ne parvenons pas non plus, par exemple, à amener des profs de SVT ou de physique-chimie à parler à leurs élèves de la pharmacie, par méconnaissance de cette filière et de ses métiers, alors qu’ils leur parlent beaucoup de la médecine, parfois de façon un peu fantasmée. »

De son côté, Ilan Rakotondrainy, le président de l’ANEPF juge également qu’une clarification du système PASS/L.AS, accusé d’être responsable en grande partie des plus de 1 000 places vacantes en 2e année de pharmacie en 2022, est aussi impérative. « Nous avons un problème avec ces deux systèmes d’accès aux études de santé, Sans remettre en cause l’indépendance des universités sur le choix des formations qu’elles proposent, nous avons besoin d’un fonctionnement plus homogène au niveau national. Des facs ont choisi un modèle uniquement basé sur les PASS, certaines sur les L.AS, d’autres procèdent encore autrement… Beaucoup d’étudiants ne comprennent pas ce système et ne savent pas comment s’organiser pour accéder aux études de santé et donc à la pharmacie », analyse l’étudiant. Une complexité telle que, chaque année, un nombre élevé et indéterminé d’étudiants part directement à l’étranger pour suivre des études de pharmacie. Pour combler ces lacunes, l’ANEPF et les autres associations d’étudiants en santé tentent de promouvoir un autre modèle : la Licence Santé, soit en résumé « une voie unique d'entrée dans les études de santé composée d'une licence et harmonisée sur l’ensemble du territoire ».

Revoir le système PASS/L.AS, les doyens de médecine l’ont aussi récemment appelé de leurs vœux. D’ici à la fin de l’année, la Cour des comptes devrait remettre officiellement un rapport sur la réforme de l’accès aux études de santé au ministère de l’Enseignement supérieur et proposer, peut-être, quelques ajustements. « À mon avis, le rapport de la Cour des comptes ne va pas donner lieu à des changements d'ampleur, estime cependant Vincent Lisowski. Nous proposons une réforme dans la réforme avec un accès direct sur Parcoursup, le ministère lui est plus dans une logique d'ajustements, sans vouloir la remettre en cause. »

La R3C est essentielle pour faire évoluer notre formation obsolète

Ilan Rakotondrainy, président de l'ANEPF

En parallèle de la question générale de l’attractivité de la filière, la priorité numéro 1 des étudiants et doyens sera d’acter la réforme du 3e cycle des études de pharmacie (R3C), dont on ne se permet plus d’écrire qu’elle est imminente. Juste avant l’été (et les évènements politiques que l’on connaît), des engagements avaient été pris (9 mois de stage au lieu de six, des indemnités pour les étudiants…). Il faudra désormais travailler avec un nouveau ministre (Patrick Hetzel) pour que cette réforme soit en place à la rentrée 2025. « La R3C est essentielle pour faire évoluer notre formation obsolète. La dissolution de l’Assemblée nationale nous a coupé l’herbe sous le pied, notre priorité de l’année c’est de réussir enfin à la voir aboutir », répondent en chœur Vincent Lisowski et Ilan Rakotondrainy.

Licence pour les préparateurs en officine : où en est-on ?

Un décret paru au « Journal officiel » cet été a institué un grade de licence pour les titulaires d’un diplôme d’État de préparateur en pharmacie hospitalière. Problème : son équivalent pour les préparateurs exerçant en ville, lui, se fait toujours attendre. « La DGOS et les ministères concernés ne sont pas convaincus de la pertinence de mettre en place une licence bac + 3 pour les préparateurs en officine car ils estiment que le métier n'a pas tant changé que ça », explique Vincent Lisowski, président de la Conférence des doyens de pharmacie. Une position ministérielle à laquelle ne peut que s’opposer Christelle Degrelle, préparatrice et représentante du syndicat CFE-CGC. « Notre exercice a beaucoup évolué depuis la crise du Covid, rétorque-t-elle. Il suffit d’aller sur le terrain pour s’en rendre compte, ce n’est plus le même métier. »

Les derniers chiffres disponibles montrent que le DEUST (Bac+2), qui a supplanté le Brevet professionnel (BP), attire de nombreux candidats et surtout de candidates. « Sauf qu’à l’origine, on a expliqué à ces étudiants qu’ils pourraient prolonger leur cursus pour obtenir le niveau licence. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, donc après avoir obtenu leur DEUST, nombre d’entre eux se tournent vers l’industrie ou des grosses structures qui leur offrent des conditions plus avantageuses, notamment au niveau du salaire », explique Christelle Degrelle. Pour les doyens des facultés de pharmacie, la mise en place d’un diplôme niveau licence pour les préparateurs exerçant en ville est aussi indispensable. « Nous estimons qu’il faut une montée en compétences de toute l'équipe officinale », confirme Vincent Lisowski. Christelle Degrelle rappelle que « beaucoup de préparateurs veulent s’investir dans les nouvelles missions qui sont confiées à l’officine. Aujourd’hui, on nous donne par exemple la possibilité de vacciner contre le Covid ou la grippe mais nous n’avons pas le droit d’administrer le DTP. Si on garde uniquement un niveau de formation Bac +2, nous ne pourrons pas évoluer. Aujourd’hui, le message envoyé c’est aussi que les préparateurs en officine sont moins bons que ceux qui travaillent à l’hôpital », déplore Christelle Degrelle, qui compte bien continuer à se battre pour convaincre les décideurs de faire évoluer leur position.

Pascal Marie

Source : Le Quotidien du Pharmacien