Il ne faut pas être nécessairement installé en fond de vallée, ni être installé sur la fameuse diagonale du vide pour craindre pour la survie de son officine. Et avec elle pour l’accès aux soins de ses patients. 5 000 pharmacies sont aujourd’hui seules dans leur commune. Pas besoin de GPS pour géolocaliser les faiblesses de ces pharmacies en territoires dits fragiles. Perte de prescripteurs, baisse du chiffre d’affaires, licenciement de personnels, érosion des revenus du titulaire… l’engrenage est connu. Après avoir navigué à vue depuis l’identification de ce phénomène il y a une dizaine d’années, les syndicats de la profession et l’assurance-maladie viennent de décider d’un dispositif innovant, figurant à l’avenant conventionnel et encadré par des textes réglementaires publiés le 8 juillet, pour soutenir ces pharmacies.
Pour la première fois, des officines identifiées en sursis dans des territoires fragiles recevront une aide de l’organisme payeur qui a débloqué à cet effet une enveloppe annuelle de 20 millions d’euros. Soit une aide annuelle maximale de 20 000 euros par an par pharmacie, pour une durée maximale de trois ans et renouvelable. « Notre démarche est emblématique de la volonté de l’assurance-maladie de garantir l’accès aux soins sur l’ensemble des territoires », insiste Thomas Fatôme, son directeur général. « 1 000 pharmacies pourraient être considérées comme étant implantées dans des territoires fragiles », estime de son côté Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF).
L’idée d’un soutien à la pharmacie de proximité – ou encore essentielle – n’est pourtant pas nouvelle. Concepteur d’une pharmacie de premier recours, Marc Alandry, titulaire à Couiza, village de 1 200 habitants dans l’Aude, avait recueilli, il y a six ans, le soutien de 45 000 signataires sur le site change.org : des patients, des confrères de la région, mais aussi des maires des 70 communes de la Haute Vallée de l’Aude. Des premiers édiles qui considèrent en effet que la santé de leurs administrés relève de leurs compétences (voir page 5).
Pour prétendre au soutien financier de l’assurance-maladie, l’officine devra satisfaire plusieurs critères cumulatifs, définis dans l’avenant conventionnel signé le 10 juin : son chiffre d'affaires annuel déclaré à l'ARS doit être inférieur à 1 million d’euros l'année civile précédant l'année de la demande, son pharmacien titulaire ne doit pas avoir été condamné pour fraude, elle doit être la seule pharmacie de la commune, le tout en tenant compte le bénéfice d'éventuelles autres aides issues de fonds publics. L’officine doit surtout être située dans un territoire fragile qu’il fallait définir et en zone sous-dense en médecins.
Cartographier les fragilités
Le décret du 7 juillet vient préciser les contours de ces territoires. Il revient tout d’abord aux directeurs d’ARS de définir les territoires concernés, selon un ou plusieurs critères : la localisation de l’officine en zone sous-dense, la récurrence de la participation des officines au service de garde et d'urgence, le nombre de pharmacies, au sein du territoire, exploitées par un seul pharmacien titulaire et le nombre de pharmacies, au sein du territoire, exploitées par un seul pharmacien titulaire lorsque ce dernier est âgé de plus de 65 ans.
Le but est d'identifier les territoires fragiles, pas les officines en difficulté. On parle donc de communes qui ne disposent que d'une seule et unique pharmacie
Philippe Besset, président de la FSPF
Les termes et notions employés ont été scrutés par les syndicats. Ainsi, pour Philippe Besset, « Le but est d'identifier les territoires fragiles, pas les officines en difficulté. On parle donc de communes qui ne disposent que d'une seule et unique pharmacie. Il faut premièrement voir quelle population est desservie par ladite pharmacie. Est-ce que plus de la moitié de la population de la commune en question se rend bien dans cette officine ? Est-ce que la majorité de la population du village d'à côté y va également ? Combien de communes alentour dessert-elle précisément ? Quel est l'environnement économique de cette pharmacie et dans quelle dynamique se trouve-t-elle ? Quelle distance devraient faire les patients si elle venait à fermer ? », énumère le président de la FSPF. L’arrêté du 7 juillet y répond partiellement. Il s’appuie sur des critères administratifs corrélés avec la faible densité d'officines sur le territoire considéré et, la part de la population du territoire « qui doit effectuer un trajet routier supérieur à quinze minutes pour se rendre dans une officine ». À chaque région ou DROM correspond un taux arrêtant le pourcentage d’habitants pouvant être placés en territoire dit fragile.
Ainsi, la détermination d’une pharmacie essentielle en zone fragile s’effectuera en deux temps : « Pendant le reste de l’année 2024, les ARS cartographieront les zones fragiles, résume Philippe Besset. Elles sonderont les représentants de l’Ordre, les syndicats, les conseiller territoriaux… et fixeront un arrêté de zonage. La deuxième étape consiste à identifier les pharmacies de ces territoires éligibles à l’aide conventionnelle pour qu’elles déposent un dossier de financement. »
Vers un retour des dérogations ?
Ces définitions restent cependant imparfaites, juge Pierre-Olivier Variot, président de l'Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). « Nous avons suggéré de rallonger la durée de trajet minimale de 15 minutes jusqu'à une autre pharmacie, à 30 minutes afin que celle-ci soit harmonisée avec le délai admis par l'administration pour les pompiers ou pour couvrir la distance jusqu'aux urgences hospitalières. » De même, le syndicat a réagi à l'âge maximal pour percevoir cette aide, fixé à 65 ans. Ce qui est « en contradiction avec l'âge de départ à la retraite, qui est de 67 ans ».
En parallèle, Philippe Besset fonde aussi beaucoup d'espoir sur la possible réalisation d'un rapport « évaluant les conséquences de la concentration du réseau officinal et des opérations de restructuration par regroupements et par rachats-fermetures sur le nombre, la présence et le maillage territorial des officines ». En novembre dernier, lors du Congrès des maires, le président de la FSPF avait interpellé Aurélien Rousseau, alors ministre de la Santé. « Sur les communes détenant une seule pharmacie, 4 000 ont moins de 1 500 habitants, donc si leur pharmacie ferme, ces communes n’auront plus la possibilité de rouvrir… » Un appel à peine voilé à l’intention du ministère pour un potentiel « retour des dérogations » (supprimées en 2007) pour l’installation d’officines. Pour autant, pas question de les réintroduire de manière anarchique. On se souvient du tollé suscité il y a quelques mois par la proposition de loi (PPL) de deux sénateurs à laquelle la profession, syndicats en tête, a rapidement mis le holà.
Un salariat déguisé
L’initiative sénatoriale visait à réinstaurer l’assouplissement des règles d’installation sur tout le territoire. Concrètement, alors qu’aujourd’hui, dans les territoires fragiles, une officine peut être installée à condition qu’un ensemble de communes contiguës rassemble au moins 2 500 habitants et que l’une de ces communes doit compter plus de 2 000 habitants, l’amendement de Cédric Vial (Savoie, LR) retire le critère de plus de 2 000 habitants dans l’une des communes regroupées et ne le limite plus aux territoires fragiles. « Au risque, alerte Pierre-Olivier Variot, de déstabiliser le réseau et de faire mourir celles qui existent déjà ! »
C’est donc dans cette complexité que le maillage, et surtout sa préservation, va faire l’objet de mesures conservatoires. L’aide de l’assurance-maladie en est une. Mais d’autres solutions existent également sous forme de subventions (fonds d'intervention régionale, fonds d'innovation du système de santé, aides des collectivités, etc.). Quelle que soit la nature de ces aides, ou leur origine, ce nouveau principe de soutien aux officines les plus fragiles signe résolument un changement de doctrine. De statut libéral, l’exercice officinal glisserait-il irrévocablement vers une forme de salariat inavouable ? Ou en tout cas vers une dépendance vis-à-vis de l’assurance-maladie.
Un faux procès dans le contexte d’une marge administrée sur les produits de TVA à 2,1 % Par ailleurs, comme le remarquent les cabinets d’experts-comptables, d’autres professionnels de santé sont bien plus soutenus par l’assurance-maladie ! Que l’on songe aux médecins de secteur 1, dont les deux tiers des cotisations sociales sont supportés par la Caisse nationale de l’assurance-maladie (CNAM) et dont les ROSP (rémunérations sur objectifs de santé publique) annuelles équivalent à un mois de salaire moyen…
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