OSyS, OCTAVE, PARTAGE, Iatroprev, Optimedoc… Ce sont là quelques-unes des expérimentations lancées sur les territoires et qui, d’après de premiers bilans ou estimations, remportent un franc succès tant auprès des patients que des professionnels de santé – hospitaliers comme libéraux. Des expérimentations qui ont toutes en commun l’ambition de créer un véritable lien entre la ville et l’hôpital au bénéfice de la prise en charge médicamenteuse du patient.
Si la plupart d’entre elles sont encore en cours et doivent faire l’objet d’une évaluation une fois qu’elles seront terminées, des voix s’élèvent déjà pour réclamer leur généralisation, à tout le moins sur le territoire où elles ont été testées. « Nous faisons du lien ville-hôpital, et j’y inclus le médico-social, le levier le plus important de la modernisation de notre système de santé. Au fond, les solutions sont locales car elles ne peuvent pas être les mêmes partout. C’est pourquoi il faut faire en sorte que les acteurs sur un même territoire et ayant les mêmes objectifs se rencontrent », explique Marc Bourquin, conseiller stratégie de la Fédération hospitalière de France (FHF).
Réviser les traitements
Dans ce contexte, Pierre-Olivier Variot, président de l’Union de syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) milite en premier lieu pour que les hôpitaux, publics comme privés, inscrivent lors de toute hospitalisation les coordonnées des professionnels de santé de ville habituels du patient. Une obligation édictée par la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) de 2009 qui n’est pas encore systématiquement appliquée, ce qui complique le flux d’informations à la sortie. « Il faut pouvoir sécuriser l’entrée et la sortie d’hospitalisation du patient car c’est un moment de fragilité. Garantir la sécurité des soins passe par l’ordonnance de sortie si elle existe, qui doit alors être transmise par avance au pharmacien d’officine. Mais il faut aussi qu’avant l’admission du patient, l’hôpital nous demande ses traitements, que les bilans partagés de médication (BPM) réalisés à l’officine et les conciliations médicamenteuses faites en établissement soient plus systématiquement partagés. »
Les expérimentations mises en place sur les territoires vont encore plus loin. Rémi Varin, praticien hospitalier en pharmacie clinique, chef de pôle au CHU de Rouen et membre de la Société française de pharmacie clinique (SFPC), en donne deux exemples : Iatroprev, une expérimentation article 51 mise en place dans les Hauts-de-France, et sa petite sœur Optimedoc, en Normandie. Le principe : réviser au cours d’une hospitalisation les traitements des personnes de plus de 75 ans prenant plus de cinq médicaments. « Après repérage des patients, conciliation d’entrée et proposition de révision des thérapeutiques avec le gériatre, on contacte le pharmacien d’officine et le médecin traitant pour débattre avec eux de notre proposition. C’est le moment où le médecin traitant peut nous dire, par exemple, que le sevrage proposé a déjà été tenté en vain. On se fixe ensemble quelques objectifs concertés, ce qui est d’autant plus important que leur application se fait en ville. Les pharmaciens d’officine participent non seulement à la construction du plan de médication partagée, mais ils délivrent aussi les médicaments, participent au suivi d’un sevrage, peuvent faire un nouveau bilan partagé de médication (BPM), vaccinent… »
Valoriser les compétences
Car les ajustements thérapeutiques dépassent le cadre d’un arrêt ou d’un ajout de traitement, voire d’une révision posologique. Ils peuvent aussi comprendre une recommandation de vaccination ; les dernières évolutions quant aux compétences des pharmaciens sont donc essentielles pour la réussite de ce projet. « Avec Optimedoc, on compte 6 à 8 ajustements thérapeutiques par patient, mais Iatroprev, qui a davantage de recul, en compte 16 en moyenne. Et la méthode est payante : à trois mois de la révision des thérapeutiques, 85 % des ajustements sont bien maintenus », souligne Rémi Varin. À l'œuvre dans le périmètre des GHT (groupements hospitaliers territoriaux) de Lille et d'Amiens (Hauts-de-France), cette expérimentation, dans laquelle une cinquantaine de médecins généralistes et pharmaciens est actuellement investie, évolue : sa porte d’entrée, jusque-là exclusivement hospitalière, vient de s'élargir à l'officine.
« Nous entrons dans une nouvelle phase de l'expérimentation Iatroprev qui consiste à nous demander, en tant qu'officinaux, de recruter des patients au comptoir selon deux critères : l'âge, 75 ans et plus, et le nombre de médicaments, dix au moins », expose Carole Rognon, pharmacienne adjointe à la pharmacie du Triolo, à Villeneuve d'Ascq (Nord) et chef de projet Iatroprev. Pour celle qui est également détentrice d'un master en éducation du patient, le dispositif s'adosse parfaitement à celui du bilan partagé de médication (BPM). « Lors de l'analyse pharmaceutique ou du premier entretien, je peux conclure qu'une inclusion à Iatroprev peut être proposée au patient. » Mais le BPM n'est pas un passage obligé. « Une première réunion de concertation professionnelle (RCP) se tient avec le médecin généraliste, le pharmacien clinicien de l’hôpital, voire avec la pharmacienne spécialisée dans la prise en charge des personnes âgées, ainsi qu’avec un gériatre du service hospitalier. S’ensuivent deux réunions de suivi, l’une 45 jours après l’inclusion, la seconde à 90 jours* », décrit cette officinale qui apprécie la valorisation de ses compétences en pharmacie clinique.
Des assises de l'article 51
Au sein du dispositif Iatroprev, Carole Rognon se sent davantage « guidée, épaulée », et apprécie en particulier de bénéficier de l’expertise du gériatre hospitalier. « Ces échanges font la force de Iatroprev. Il ne s’agit pas seulement d’un outil informatique mais bien de la mise en commun de compétences humaines au cœur du dispositif. » Opérationnel sur des territoires étendus, paramétrés à ceux des GHT de Lille et Amiens, le dispositif s’adapte tout particulièrement aux structures coordonnées, telles que les MSP ou les CPTS. L’adjointe, exerçant dans une pharmacie de la CPTS de la Marque, reconnaît volontiers que Iatroprev a modifié ses pratiques professionnelles. « Mon regard a notamment changé sur les aptitudes et compétences des personnes âgées à prendre en charge leur traitement. Il arrive que dans la phase de recrutement, je fasse machine arrière car je constate que le patient est tout à fait en capacité de gérer ses pathologies. A contrario, il n'est pas rare que l'inclusion à Iatroprev débouche également sur un accompagnement psycho-social de la personne âgée. » Pour Carole Rognon le prochain objectif sera de convaincre ses confrères et consœurs de rejoindre ce dispositif qui, s’enthousiasme-t-elle, va les amener à réviser les représentations qu’ils ont de leur propre métier.
Un succès qui pousse Marc Bourquin à espérer, dès que possible, « une généralisation de ces bonnes pratiques pour maîtriser l’iatrogénie médicamenteuse ». Les deux expérimentations sont également saluées par Lamine Gharbi, président de la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP), qui regrette néanmoins que ces projets « restent confidentiels » et qui appelle à « des assises de l’article 51 » pour faire connaître « ces actions remarquables ».
* Pour une rémunération totale de 62,50 euros.
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