À côté des grands noms attendus, de nombreux auteurs qui se sont déjà fait remarquer s’inscrivent dans la rentrée littéraire, 521 romans à paraître d’ici octobre (+ 2 %). Alors que les romans français, avec 379 titres, confortent leur présence (+ 3,5 %), les primo-romanciers et leurs 75 titres sortent de l’ombre où les avait conduits la pandémie (+ 15 %). Les romans étrangers marquent le pas avec 142 traductions, en baisse de 24,5 % par rapport à 2019.
En 2021, la déprime et l’angoisse cèdent du terrain, tandis que l’imaginaire reprend le pas sur l’autofiction, avec un goût ravivé pour le fantastique, le merveilleux et l’évasion. On se rend ainsi, en compagnie de Stéphanie Janicot, sur « l’Île du docteur Faust » (Albin Michel), où des femmes espèrent obtenir une jeunesse éternelle. On assiste, dans « le Mode avion » de Laurent Nunez (Actes Sud), à la rivalité tragicomique de deux linguistes pour accéder à la postérité. Évasion par le rire mais aussi par un retour à la nature, entre la réhabilitation de mœurs parfois méprisées et l’inévitable choc des cultures, comme dans « Campagne » (Albin Michel) de Matthieu Falcone, où le drame se noue à l’occasion d’une fête paysanne à laquelle participent des citadins bien-pensants.
La réalité se rappelle à nous avec deux pôles d’inquiétude majeurs. Les enjeux écologiques, évoqués entre autres par Thomas B. Reverdy dans « Climax » (Flammarion), où un glacier à l’extrême nord de la Norvège se fissure après un accident sur une plate-forme pétrolière. Et le terrorisme islamique, mis en scène par Morgan Sportès dans « les Djihadistes aussi ont des peines de cœur » (Fayard), avec de jeunes pieds nickelés du djihad qui veulent déclencher en France et en Syrie la lutte armée sans avoir ni les moyens intellectuels ni matériels de leur combat.
Les ouvrages tirés d’emblée à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires sont rares. La reine du tirage reste Amélie Nothomb, dont le 30e roman, « Premier sang » (Albin Michel), consacré à son père et présenté d’une phrase, « Il ne faut pas sous-estimer la rage de survivre », sort à 200 000 exemplaires. Après que « Frère d’âme » lui a valu d’être le premier écrivain français à recevoir le prix international Man-Booker, David Diop examine dans « la Porte du voyage sans retour » (Seuil), via la rencontre entre un jeune botaniste et une esclave en cavale au Sénégal au XVIIIe siècle, la confrontation entre les valeurs universalistes des Lumières et la traite des noirs. Son livre est tiré à 60 000 exemplaires, de même qu’« Au printemps des monstres » (Mialet-Barrault) de Philippe Jaenada (prix Femina pour « la Serpe »), qui se penche sur le cas de Lucien Léger, dit « l’Étrangleur », condamné en 1966 pour le meurtre d’un garçon de 11 ans.
Le roman de Sorj Chalandon, « Enfant de salaud » (Grasset), qui revient sur son enfance, lorsqu’un témoignage a transformé son père résistant en collaborateur, et celui de la lauréate 2008 du Goncourt Catherine Cusset, « la Définition du bonheur » (Gallimard), qui décortique les destins, entre Paris et New York, de deux femmes que tout oppose, bénéficient d’un tirage identique de 40 000 exemplaires. Suivent, avec 35 000 exemplaires : « Seule en sa demeure » de Cécile Coulon (L’Iconoclaste), une histoire d’amour au XIXe siècle ancrée dans le monde rural ; « Son fils », de Justine Lévy (Stock), le journal imaginaire de la mère d’Antonin Artaud, qui a consacré sa vie à essayer de sauver son enfant ; et « la Fille qu’on appelle » de Tanguy Viel (Minuit), les déboires d’un homme passionné de boxe et qui travaille comme chauffeur pour le maire de la ville.
Valeurs sûres
Si elle est resserrée, la rentrée étrangère aligne les valeurs sûres ainsi que les premiers romans à haut potentiel. Celui du réalisateur Quentin Tarantino, « Il était une fois à Hollywood » (Fayard), adaptation libre de son film sorti en 2019 et primé de deux Oscars, ou, chez le même éditeur, « la Danse de l’eau » du journaliste militant de la cause noire Ta-Nehisi Coates, déjà remarqué pour ses essais, qui relate la guerre clandestine qui opposa les maîtres aux esclaves dans les États du sud des États-Unis.
Du côté des locomotives, on relève l’Italien Paolo Cognetti, avec « la Félicité du loup » (Stock), une rencontre dans un restaurant d’altitude au cœur du Val d’Aoste ; l’Américain Richard Powers avec « Sidérations » (Actes Sud), un père et son fils confrontés au chaos climatique et à une expérience neuroscientifique ; le prix Nobel de littérature 2017, le Britannique Kazuo Ishiguro, avec « Klara et le soleil » (Gallimard), où le héros est un robot intelligent et la question « À quel point sommes-nous irremplaçables ? » ; ou encore l’Américaine Lionel Shriver, (« Il faut qu’on parle de Kevin »), avec « Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes » (Belfond), la dérive d’un couple de sexagénaires lorsque l’un s’adonne au culte du corps.