- Je ne vois pas pourquoi Théo ne pourrait pas être placé à ce poste, avec Christèle. Ça permettra à Julien et Juliette d'être plus souvent au comptoir. C'est pour ça qu'on se paye des adjoints quand même !, s'énerve J-C.
Le téléphone plaqué contre l'oreille droite, le titulaire décortique un trombone pour calmer ses nerfs. Karine, son associée, n'adhère pas à la proposition de son collègue : confier l'activité TROD antigéniques COVID à Théo, l'étudiant en quatrième année de pharmacie, et à Christèle, une des préparatrices de l'équipe. À l'autre bout du fil, Karine tente à nouveau de justifier son refus :
- C'est une lourde responsabilité pour un jeune en formation. Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs, tout de même ; les étudiants sont encore en apprentissage du métier… Qu'il soit formé pour assister Julien ou Juliette, pourquoi pas ? Mais pas tout seul avec Christèle. D'ailleurs on ne peut pas, parce que d'un point de vue réglementaire, c'est au pharmacien de remettre le résultat du test au patient.
- D'autres confrères sont moins regardants que toi, et ne se soucient pas de la réglementation… qui change tous les jours d'ailleurs. Qui plus est, les médecins et les infirmiers n'ont pas les mêmes informations que nous. Ah on vit une époque formidable, tiens ! Dédé, mon copain de fac installé à Paris, tu vois qui c'est ? Et bien, il s'est organisé comme ça : il a pris deux étudiants, et hop. La formation payée, un salaire pas mal du tout… et il a reçu plein de candidatures en plus. Ils ne demandent que cela les étudiants : venir sur le terrain nous aider !
- Mais il est dans l'illégalité totale. Non, J-C, on ne change rien. On peut peut-être réduire les plages horaires, et revoir les binômes : Juliette avec Théo, Julien avec Christèle. Si l'inspecteur…
- L'inspecteur, tu rigoles ? Il est où l'inspecteur ? Et l'ARS ? Tout le monde s'en lave les mains. Sauf la DGCCRF… Bon, OK, on fait comme tu dis. Pour changer de sujet, le robot devrait être installé la semaine prochaine. Je les ai bien pourris, fais-moi confiance…
- Ça, je n'en doute pas. Mais ils ne pouvaient pas prévoir ce deuxième confinement…
On frappe à la porte du bureau.
- Quoi ? Deux secondes Karine.
- Excuse-moi J-C ; les stupéfiants, on peut les renouveler avec une ordonnance expirée ? demande Jean-Paul.
- Oui, c'est bon.
- C'est bien ce qu'il me semblait… Juliette me soutient le contraire. Elle dit que la dérogation ne concerne que la méthadone et buprénorphine.
- Non, non, J-C, ça ne concerne que les TSO, hurle Karine au téléphone.
Alors que l'adjoint s'apprête à refermer la porte, J-C le retient :
- Attends Jean-Paul… je crois qu'on est largué toi et moi. Karine dit comme Juliette. Donc non, pas de renouvellement si c'est un stupéfiant antalgique.
Puis, à Karine :
- Tu vois ! C'est à devenir fou ce qu'on vit en ce moment. Ah, on vit une époque formidable ! Ça va mieux sinon ? Heureusement qu'on n'est pas considéré comme tes cas contact. On aurait dû fermer la pharmacie.
- Oui, ça va mieux. La fièvre est tombée, mais je n'ai plus de jus. Et je crois savoir comment je me suis contaminée.
- Ah oui ?
- Oui, je suis certaine que c'est à la mairie, lors du dîner avec les autres élus, juste avant le confinement.
(À suivre…)