S'il est désormais de bon pronostic − en France, la survie globale est de 87 % à 5 ans et de 76 % à 10 ans (1) −, « les études qui évaluent les effets des différentes thérapeutiques montrent que les patientes souffrent cependant de séquelles physiques et psychologiques, mais aussi de répercussions sur leur vie familiale et socio-professionnelle », rapporte le Dr Paul Cottu, chef adjoint du département d’oncologie médicale de l’Institut Curie, d'après les résultats de l’étude Canto (2) .
Alors que réduire les traitements permettrait de limiter ces effets secondaires, la désescalade thérapeutique est devenue un des objectifs des équipes médicales, mais aussi un axe de la stratégie décennale de lutte contre les cancers 2021-2030.
« En mettant en place des stratégies thérapeutiques moins lourdes, nous pouvons réduire les séquelles et viser une meilleure qualité de vie pendant mais aussi après la maladie. C’est une de nos priorités » , indique la Dr Carole Bouleuc, cheffe du département interdisciplinaire de soins de support pour le patient en oncologie de l’Institut Curie. Avant d'ajouter : « Environ 83 % des Français estiment que proposer la désescalade thérapeutique est important pour la qualité de vie des patientes et 72 % plébiscitent aussi un renfort de l’accompagnement », citant un sondage réalisé en août 2021 (3).
Réservée à certaines formes de cancer
À ce jour, il est possible d’alléger les protocoles de soins de certaines femmes, considérées à faible risque : « La désescalade s’adresse aux femmes chez qui la tumeur est localisée, ne présentant pas de métastases, ou chez qui le risque de récidive est estimé faible. Cela représente 10 à 15 % des personnes ayant une tumeur localisée », précise le Dr Cottu. Et d'insister : « La notion de désescalade thérapeutique est fragile. On a fait beaucoup de progrès sur le cancer du sein, ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain ! Désescalader oui, mais pas à n’importe quel prix ! Il faut favoriser des traitements moins nocifs quand cela est possible, tout en garantissant la même efficacité. » Cet ajustement des traitements peut toucher tous les pans des options thérapeutiques : chimiothérapies affinées au mieux à la biologie de la tumeur, radiothérapies plus courtes ou moins dosées, chirurgies conservatrices…
La technologie, outil d'optimisation
Dans cet objectif, l’Institut Curie développe actuellement plusieurs projets prometteurs, en matière de pathologie numérique, d’intelligence artificielle (IA) ou encore d’imagerie médicale. « La pathologie numérique, qui consiste à numériser les lames histologiques de tumeurs du sein, est couplée aux outils d’IA et permet ainsi de faire des diagnostics toujours plus précis, explique le Dr Anne Vincent-Salomon, cheffe du service de pathologie de l’Institut Curie. Cela va nous permettre d’aller encore plus loin dans le choix des stratégies thérapeutiques pour chaque patiente. »
Dès la fin 2021, les lames des prélèvements des femmes suivies à Curie pour cancer du sein seront ainsi numérisées et pourront bénéficier d’une double analyse, par les algorithmes d’IA et par les pathologistes. « C’est une vraie révolution de pratique. L’IA est là pour aider le pathologiste à avoir un œil augmenté et non à le remplacer », précise-t-elle.
De son côté, Irène Buvat, directrice du laboratoire d'Imagerie translationnelle en oncologie de l’institut, s’intéresse au risque de récidive et à la détection précoce des métastases. Elle détaille l’utilisation d’un nouveau marqueur, le FAPI (inhibiteur de la FAP, la protéine activatrice de fibroblaste présente dans les tissus tumoraux et stimulant la propagation métastatique).
Le FAPI est utilisé comme traceur dans le TEP scan : « Cette imagerie, couplée à l’IA, fera l’objet d’un essai clinique en 2022. On va chercher à détecter les métastases précocement, quand on a encore les moyens de les traiter. » Cela pourra ainsi combler les déficits en imagerie conventionnelle TEP- FDG (fluorodésoxyglucose) dans le diagnostic et la stadification du cancer. « Le prochain défi sera d’utiliser ces FAP pour mettre en place une radiothérapie moléculaire ciblée », évoque la chercheuse. Utiliser l'imagerie pour cartographier les cellules cancéreuses et les traiter de manière spécifique : c'est le principe de la théranostique, une nouvelle arme anti-cancer qui utilise un marqueur diagnostique pour orienter la thérapeutique.
(1) Les cancers en France, édition 2017, Institut national du cancer.
(2) Étude Canto (CANcer TOxicities), présentation du 02/10/21.
(3) Octobre rose, question d’opinion - Sondage Institut Viavoice, Observatoire Curie Cancer 2021.