À Strasbourg, petite mise en bouche en bateau-mouche sur l’Ill avant le grand bain du Rhin. Maisons à colombages ou architecture historiciste du côté de la Neustadt, le charme alsacien opère le long des berges strasbourgeoises. Mais stop au tour de chauffe. Et embarquement immédiat ! On gagne ses pénates à bord du « Lafayette » amarré dans le port fluvial. À bâbord, à tribord, sur l’un et l’autre des deux ponts, les 43 coquettes cabines ont toutes une vue imprenable sur le fleuve. C’est parti pour 706 km de périple, sur les 1 298 que compte le fleuve. Eaux douces certes, mais pas toujours tranquilles. Rien, pas même la bataille entre nuages et soleil, n’altère la beauté singulière du Rhin qui s’offre dès l’orée du jour. Tenace, le gui s’accroche aux peupliers qui bordent les rives souvent sablonneuses. Jusqu’à constituer, à certains endroits, de vraies petites plages.
En aval des usines massives de Düsseldorf, le ballet des péniches et bateaux de marchandises chargés en charbon ou containers renvoie à l’hyperactivité industrielle du troisième plus grand fleuve d’Europe – après la Volga et le Danube. Mais la croisière se berce des ronrons, tout doux, des trois moteurs du navire. Sur le pont « soleil » la contemplation est hypnotique. Et la réalité fait place à la rêverie. On comprend pourquoi, depuis plus de deux cents ans, ces rives-là ont inspiré peintres et poètes. Grâce à Goethe qui lança, semble-t-il, la mode du Rhin romantique après son voyage dans la région en 1774. Bien avant Lord Byron. Sans compter les 39 lettres rédigées plus tard par Victor Hugo. Amoureux du fleuve roi, l’auteur livre, dans « le Rhin, lettres à un ami », un journal de bord, de fabuleux descriptifs des forteresses et des châteaux rhénans, des anecdotes et ses propres rêveries. Au fil de l’eau, les nôtres foisonnent. Le monde extérieur s’efface.
En Rhénanie-Palatinat, des oies sauvages interpellent au loin. Au confluent du Main et du Rhin, Mayence, ville natale de Gutenberg, apparaît, avant de disparaître doucement au gré des 18 km/heure de notre rutilant « Lafayette ». Fin de torpeur et première escale à Rüdesheim am Rhein. Ici, le riesling, cépage majeur du vignoble du Rheingau, et l’eiswein, rare et confidentiel vin de glace, disputent la vedette à une joyeuse collection d’instruments de musique mécanique. Changement d’ambiance dans la Drosselgasse, cœur animé de la vieille ville aux nombreuses tavernes et guinguettes.
Retour à bord de notre bel hôtel flottant classé 5 ancres. Grâce à la maestria du commandant et de son capitaine, le navire épouse les méandres du fleuve qui serpentent dans la vallée du Haut-Rhin moyen, inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO. La « trouée héroïque » creusée par le Rhin dans le massif schisteux rhénan. Une petite merveille bordée de villes fortifiées, de vignes et de châteaux médiévaux pittoresques ! Le château de Marksburg, fortification médiévale, domine la ville de Braubach. Plus loin, celui de Thurnberg formait avec le château Katz une barrière de péage pour l’accès au Rhin. Sur l’autre rive, les ruines du château de Rheinfels, construit au XIIIe siècle, qui fut la propriété du prince Guillaume de Prusse. Près de Kaub, le château Pfalzgrafenstein, « ce navire de pierre » selon Victor Hugo, a aussi servi de péage sur le fleuve.
Au kilomètre 555 du fleuve, l’effervescence gagne les passagers du « Lafayette ». Voici la Lorelei, la nixe (nymphe de la mythologie germanique) immortalisée par le poète Heinrich Heine (1797-1856). La minuscule ondine et son immense rocher de schiste (132 m) ensorcellent toujours et encore. Mais hors de question, tels les marins de la légende rhénane, de chavirer dans les eaux profondes du Rhin (110 mètres quand même !), aussi romantique soit-il !
Au confluent de la Moselle et du Rhin, le « Lafayette » dépasse Coblence. Les vignobles d’exception grignotent les rivages. Les ceps s’élancent en palier jusqu’au sommet des collines. Nouvelle escale à Cologne pour s’émouvoir face à sa cathédrale. Un chef-d’œuvre gothique du XIIIe siècle, l'édifice religieux à double flèche le plus haut du monde. Sur le Rhin à nouveau, après Emmerich, le fleuve mêle ses flots dans un delta commun à la Meuse. Le navire atteint les eaux fluviales des Pays-Bas. Illico, elles se jettent dans la mer du Nord. La découverte des canaux d’Amsterdam et de ses tulipes emblématiques s’impose. C’est la fin d’un beau sortilège sur le « Lafayette ». La Lorelei y est certainement pour quelque chose !