Le Quotidien du pharmacien. - À l’instar de votre cliente, des pharmaciens ont été poursuivis durant la crise sanitaire pour avoir vendu en période de réquisition des masques FFP2 à d'autres professionnels de santé. Vous estimez que seuls les masques détenus par des personnes morales pouvaient être réquisitionnés par l'État, pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
Me Fabrice Di Vizio. - La condamnation de ma cliente est à la fois incroyable et illégale. Les masques FFP2 n'étaient en effet réquisitionnés que pour les personnes morales et pas pour les pharmaciens qui les vendaient en leur nom propre. J'ai interrogé le préfet sur ce point, il m'a répondu que, dans l'esprit du texte, personne morale ou privée, c'était la même chose. Évidemment, cet argument n'est pas tenable.
Dans le fond, on a voulu appliquer cette réquisition à tout le monde mais si on lit ce qui est écrit dans le texte*, cette mesure ne s'appliquait qu'aux personnes morales. Donc, tous les pharmaciens condamnés pour vente illégale de masques FFP2 sont en droit de contester la décision car, dans les faits, ils n'étaient pas concernés par la réquisition. Sur le plan moral et éthique, il était judicieux de remettre à l'État ces masques FFP2 mais ce n'était pas une obligation du point de vue juridique. De plus, il ne faut pas oublier que ma cliente n'a pas vendu ces masques à des particuliers, et n'a pas fait de profit. Elle n'en a cédé que sur ordonnance, rassurée par la qualité de certains prescripteurs comme le Pr Philippe Juvin ou encore le chef de service de l'hôpital Bichat. C'est un patient qui l'a dénoncée à l'Ordre, lequel a ensuite adressé un courrier à ma cliente. Elle lui a répondu, mais ensuite, silence radio. Quelques jours plus tard, les forces de l'ordre ont débarqué dans son officine.
Vous avez saisi le tribunal administratif, où en est l'affaire aujourd'hui et quelles en sont les conséquences sur l'activité de votre cliente ?
Elle a été condamnée pénalement et disciplinairement. Alors qu'elle n'a rien fait d'illégal, c'est désormais inscrit sur son casier. Même l'article de loi utilisé pour la condamner (trafic de substances vénéneuses) n'est pas le bon. Ma cliente aurait pu être relaxée si elle avait fait appel mais son avocat de l'époque lui a conseillé de ne pas le faire car elle n'avait pas été condamnée à de la prison ferme et qu'il trouvait cela satisfaisant.
Autre fait incroyable, le préfet a fait fermer l'établissement de ma cliente pour 15 jours alors qu'il n'en a pas la compétence, c'est du ressort de l'agence régionale de santé (ARS). Le préfet m'a expliqué qu'il y était autorisé dans le cadre des mesures d'urgence, or ce n'est pas le cas. Sa condamnation est profondément injuste, nous avons demandé au tribunal administratif une indemnisation pour le préjudice subi. Nous devrions être fixés en septembre au plus tard. Du côté disciplinaire, elle ne risque pas la radiation mais peut-être une suspension. Cette affaire l'a considérablement perturbée dans son activité professionnelle. Elle n'a pas osé participer à la campagne de vaccination, ni réaliser de tests, de peur d'être embêtée en cas de problème.
* Décret du 23 mars 2020.