« LA PHARMACIE clinique est officiellement arrivée en France en 1984, mais, curieusement, elle n’a jamais passé la porte des officines », regrette le Pr Jean Calop (faculté de pharmacie de Grenoble). Cette « pharmacie au lit du malade », comme il la définit, invite le professionnel à intégrer en même temps les propriétés pharmacologiques des médicaments et la physiopathologie du patient, résume-t-il. Pour cela, le recours au dossier pharmaceutique (DP) et au dossier médical personnel (DMP) est indispensable. « Si l’on reprend les quatre étapes qui fondent le pharmaceutical care à l’américaine, la pharmacie clinique enchaîne l’observation, puis la validation pharmaceutique, l’optimisation thérapeutique et, enfin, le suivi biologique et thérapeutique, l’évaluation et la pharmacovigilance. »
Le Québec consolide le statut de pharmacien clinicien.
En matière de pharmacie clinique, comme dans de nombreux autres domaines, nos amis canadiens nous montrent la voie. Au Québec, la pharmacie clinique est appelée soins pharmaceutiques. « Les soins pharmaceutiques sont l’ensemble des actes et services que le pharmacien doit procurer à un patient afin d’améliorer sa qualité de vie par l’atteinte d’objectifs pharmacothérapeutiques de nature préventive, curative ou palliative », précise Ema Ferreira, professeur agrégée de clinique à la faculté de pharmacie de Montréal.
Au Québec, la loi (renforcée en 2003) stipule que le pharmacien est responsable de l’évaluation de la pharmacothérapie de ses patients, qu’il doit repérer les problèmes pharmacothérapeutiques, assurer le suivi de la thérapie médicamenteuse et travailler en collaboration avec les médecins, notamment par l’émission d’opinions pharmaceutiques. Mais ce qui fait encore plus la différence avec le modèle français tient dans la rémunération de ces actes. « Notre gouvernement rémunère l’exécution et le renouvellement d’une ordonnance, le refus d’exécuter une prescription, l’opinion pharmaceutique ou encore le service sous forme de pilulier et la contraception d’urgence », précise ainsi Ema Ferreira (voir également en page 15).
La qualité Suisse.
Chez nos voisins Suisses, qualité et précision sont promues au rang de vertus nationales. Pas étonnant alors que la mise en œuvre de la pharmacie clinique soit intimement liée à l’existence de cercles de qualité. « La Société de médecine et la Société des pharmaciens du canton de Fribourg ont lancé un projet pilote de cercles de qualité médecin pharmacien pour la prescription des médicaments », rapporte Christian Repond, président des pharmaciens du canton de Fribourg. Mieux prescrire dans un souci d’efficacité, de sécurité et d’économie, tel est l’objectif que se sont fixé ces réseaux interprofessionnels. Autour d’un pharmacien animateur, ces groupes réunissent sept à huit médecins. Pour établir son propre consensus de prescription, le cercle de qualité examine les statistiques de prescription et les analyse à la lumière des bases cliniques et thérapeutiques ainsi que des profils coût/avantages. Des substitutions thérapeutiques ou de génériques peuvent ainsi être envisagées.
« Mais surtout, le travail en commun doit aboutir à l’application du consensus puis à la mesure de l’évolution de la prescription », explique Christian Repond. Un exemple de réussite ? « en dix ans, l’économie réalisée par médecin sur la prescription d’AINS a été évaluée à 180 000 euros », témoigne, graphique à l’appui, le pharmacien suisse.
Soins et suivi.
« Le centre d’attention du pharmacien n’est plus seulement le médicament, mais le patient », souligne Christian Elsen. Pour le président de l’Association pharmaceutique belge, la pharmacie clinique doit reposer à la fois sur des bases scientifiques (formations initiale et continue) et sur des bases juridiques. À cet égard, la loi du 1er mai 2006 modifiant l’arrêté royal du 10 novembre fixe clairement la définition des soins pharmaceutiques en Belgique. Outre-Quiévrain, la pharmacie clinique englobe les soins pharmaceutiques de base, que le médicament soit prescrit ou non, et le suivi de ces soins. « Je pense que 20 à 25 % des patients devraient bénéficier d’un suivi personnalisé », estime-t-il.
À la lumière de ces différentes expériences, la définition et les objectifs de la pharmacie clinique semblent de plus en plus clairs. Tout autant que l’est la nécessité d’une formation continue adaptée à cette nouvelle mission. En France, l’UTIP s’emploie à l’assurer avec détermination et compétence.