C’est un succès. Avant même les résultats très attendus de l’évaluation menée par le gouvernement, les pharmaciens en sont persuadés. D’abord parce que cette première année d’expérimentation de la vaccination antigrippale à l’officine a dépassé ses objectifs. « Le ministère tablait sur 30 000 vaccinations, nous en avons réalisé presque 160 000 à la fin de l’expérimentation », se félicite Jean-Philippe Brégère, vice président de l’Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO) et trésorier adjoint de l’Union régionale des professionnels de santé (URPS) pharmaciens de Nouvelle- Aquitaine.
Un succès qui s’appuie également sur le nombre de pharmaciens volontaires et formés dans les deux régions concernées. « En Europe, dans les pays où les pharmaciens ont déjà commencé à vacciner, 15 à 25 % d’entre eux s’y sont mis les premières années. En France, dès la première année on a plus de 50 % des officines des deux régions expérimentatrices qui ont vacciné. Si on étend à tout le territoire, je n’ose pas être trop optimiste, mais peut-être que demain 10 000 pharmacies proposeront à leurs patients de les vacciner », souligne Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens. Enfin, ce succès devrait se concrétiser par une nette amélioration de la couverture vaccinale. Laurence Bouton, vice-présidente de Federgy et directrice des relations institutionnelles chez Alliance Healthcare, note en effet que « les pays où la couverture vaccinale est la meilleure sont les pays où les pharmaciens vaccinent ».
Mobilisation
Certes, les officinaux n’ont pas encore à disposition l’évaluation permettant d’estimer leur contribution dans la réduction de la mortalité ou du nombre d’hospitalisation due à la grippe, mais le gouvernement lui-même n’a pas attendu ces résultats chiffrés. Le 26 mars, à l’occasion de la présentation de son plan « prévention » aux côtés du Premier ministre Édouard Philippe, la ministre de la Santé Agnès Buzyn a annoncé la généralisation de la vaccination antigrippale à l’officine à tout le territoire pour 2019. Une raison de se réjouir, pour Carine Wolf-Thal, qui souligne la motivation et la mobilisation de la profession, tout en regrettant que la population cible n’ait pas été, comme prévu initialement, l’ensemble des adultes mais seulement ceux bénéficiant d’un bon de vaccination et ayant déjà été vaccinés par le passé.
« La stratégie du cocooning est importante, et c’est ce qu’il aurait fallu pouvoir faire en vaccinant toute la population adulte. C’est donc un souhait pour l’année prochaine, afin de répondre aux patients qui se sont présentés dans nos officines et que nous n’avons pas pu vacciner », ajoute la présidente de l’Ordre des pharmaciens. D’autant que, rappelle Jean-Philippe Brégère, « nous voulions toucher les patients adultes sans bon de vaccination pour atteindre justement ceux qui ne vont pas chez le médecin. Nous ne voulons pas vacciner à la place de, mais vacciner en plus de ». Par ailleurs, Carine Wolf-Thal réclame une extension de deux à quatre régions expérimentatrices pour l’hiver 2018 afin de permettre une montée en puissance progressive. L'Ordre précise qu’il n’a pas de préférence concernant les deux régions expérimentatrices supplémentaires pour 2018, mais souligne l’intérêt d’intégrer un département d’Outre-mer comme la Réunion pour « le décalage de la saisonnalité ».
Émulation
Surtout, l’expérimentation menée à l’hiver 2017 a permis de donner une idée de l’accueil de cette nouvelle mission par les patients et les autres professionnels de santé sur le terrain. Jean-Philippe Brégère, pharmacien à Soyaux (Charente), partage son étonnement : « Neuf fois sur dix, les patients habituellement vaccinés par leur médecin traitant nous étaient adressés par… leur médecin traitant ! Il n’y a pas eu de guerre non plus avec les infirmiers, ça s’est très bien passé. J’ai même cru comprendre que la vaccination en officine avait créé une émulation et que les infirmiers auraient plus vacciné que l’année dernière dans ma région. »
Pourtant, les syndicats de médecins sont toujours très partagés quant à la vaccination par les pharmaciens, MG France étant résolument contre tandis que le Syndicat des médecins libéraux (SML) se montre beaucoup plus ouvert. Le Dr Sophie Bauer, chirurgien thoracique et secrétaire générale du SML affirme que « les médecins n’y sont pas opposés, ils voudraient simplement rester au sein d’une équipe et ils voient très bien un travail en équipe avec leur pharmacien de proximité, avec un retour d’informations quand leur patient a été vacciné ». Elle note d’ailleurs que « les pharmaciens restent très bien répartis sur le territoire, ils sont souvent le dernier maillon sur le territoire déserté par les autres professionnels de santé, il est donc important qu’il prenne un rôle dans le système de santé », tout en prévenant qu’il fallait faire attention à ne pas retirer « tous les actes simples aux médecins » au risque de « paupériser la profession ».
Côté patients, le nombre de vaccinés par les pharmaciens l’hiver dernier montre un accueil très favorable. Ce que confirme Jean-Luc Plavis, de France Assos santé, qui trouve intéressant de « développer cette vaccination par les pharmaciens dans d’autres régions », mais en s’assurant d’un travail d’équipe avec les autres professionnels de santé, en particulier grâce à l’information du médecin, « car le déficit de communication peut entraîner des difficultés pour le patient ».
D'après une conférence animée par « Le Quotidien du pharmacien » lors du salon PharmagoraPlus.