Le Quotidien du pharmacien.- Qu'elles seront les priorités de votre mandat ?
Philippe Besset.- Je suivrai quatre axes prioritaires : le pharmacien professionnel de santé, la pharmacie entreprise de proximité, la pharmacie à l’heure du numérique et la transmission de l'officine. Il faut, selon moi, s’emparer dans les trois ans à venir du sujet de la transmission et de celui du numérique, car la révolution du numérique en santé est en cours et il ne faut pas la rater. Il s’agit par conséquent d’aborder la question de l’égalité d’accès aux soins par rapport à la fracture numérique.
En ce qui concerne le pharmacien professionnel de santé et l’officine entreprise de proximité, qui sont des thèmes d’actualité avec la loi santé, j’ai eu à l’occasion de mon tour de France la possibilité d’affiner ces approches. À chacune des étapes nous avons abordé de nouveaux axes. À titre d’exemple, à Nancy, j’ai été interpellé sur l’avancée du dossier du pharmacien référent en EHPAD, du circuit de ces médicaments un peu spécifiques, de la PDA… À Toulouse, nous avons eu un débat sur le médicament versus les « médicaments like » que sont maintenant certains compléments alimentaires ou certains DM. L’idée d’un label médicament sans ordonnance, à l’instar de ce qui se fait par exemple en Italie, a alors émergé. Nous avons également beaucoup discuté de l’avenir des entretiens pharmaceutiques et des bilans de médication. J’ai interrogé l’ensemble des pharmaciens via un questionnaire en ligne afin de savoir où ils en sont sur ces missions. Les questions qui portent également sur la vaccination sont ouvertes. J’ai souhaité bousculer certains tabous.
Puisqu’il est question de tabou, regrettez-vous de ne pas avoir signé l’avenant n° 11 à la Convention pharmaceutique ?
Non, bien sûr que non. Collectivement, je pense que l’assurance-maladie, les pouvoirs publics et la profession auraient pu faire de cette révolution de la rémunération quelque chose d’absolument positif pour tout le monde. Cela aurait pu déboucher sur un accord gagnant-gagnant qui donne de l’élan. C’est dommage.
Selon vous, le manque à gagner pour 2018 est de 100 millions d’euros, ce qui vous a incité à demander le déclenchement de la clause de revoyure. Où en êtes-vous à ce sujet ?
Il y a un aspect politique et un aspect juridique dans cette question. Juridiquement, c’est clair. Je vous affirme aujourd’hui qu’il est absolument certain que la clause de revoyure sera déclenchée en 2021 par rapport aux chiffres de 2020. Parce qu’en 2017 on n’a pas amélioré le niveau de la rémunération par rapport à 2016, en 2018 on ne l’a pas amélioré par rapport à 2017 et ainsi de suite… C’est la chronique d’un événement annoncé. Ce que nous pourrions faire, et cela nécessite du courage politique de la part de tous, c’est se remettre autour de la table. Il est vrai que nous étions d’accord pour conserver peu ou prou le niveau des revenus de 2016, ce qui était déjà un gros effort. On acceptait ce périmètre constant des ressources en sachant qu’on ne pourrait pas payer des augmentations de salaires, sauf à prélever sur la rémunération du pharmacien. En revanche, avec l’augmentation des charges, on aboutit aujourd’hui à une baisse de 2,5 % de nos ressources, et là nous sommes unanimes à dire non. Je ne fais que répéter ce qui est écrit dans l’avenant : la baisse ne doit pas excéder 1 % par rapport à la rémunération de 2016. Pour cette année 2019, la partie marge/honoraires va être certes positive, mais on va prendre un malus important sur la ROSP générique qui sera divisée par 2 en deux ans, en même temps que le CICE va disparaître complètement. Depuis que je suis étudiant, mon combat est de faire en sorte que la rémunération du pharmacien soit transcrite en honoraires de dispensation. C’est effectivement très dur de ne pas être signataire de cette transformation-là, juste parce que le compte n’y est pas. C’est un renoncement.
L’ouverture du capital des pharmacies et la fin du monopole pour les médicaments de prescription facultative refont surface dans un projet d’avis de l’Autorité de la concurrence. Jusqu’où êtes-vous prêts à aller pour défendre ces fondamentaux ?
Je suis prêt à descendre dans la rue et les pharmaciens aussi. Je l’ai senti au cours de mon tour de France, je leur ai même posé la question. Toutefois, je pense aussi qu’ils n’auront pas à le faire. Car ce qui ressort de la campagne à l’élection présidentielle, du grand débat ou encore de ce qui a été exprimé en creux dans le discours du Premier ministre devant l’Autorité de la concurrence (le 5 mars 2019, N.D.L.R.), c’est l’importance de la pharmacie d’officine pour la sécurité de la dispensation du médicament. En revanche, ce qui est essentiel pour la pharmacie, c’est de s’adapter aux besoins des patients. Il faudra probablement faire des efforts. Je ne suis pas sûr que la vente en ligne et le numérique soient des pistes qui plaisent beaucoup à mes confrères. Je suis cependant prêt à accompagner toute mesure voulue par les patients pourvu qu’elle soit compatible avec les principes fondamentaux de l’officine.
Vous considérez la FSPF comme la maison commune des pharmaciens. Quelle gouvernance souhaitez-vous lui donner ?
Mon programme consiste à fédérer au sein de la profession. Je place ce mandat sous le maître mot de la confraternité. Mais si j’inscris mon action dans ce cadre-là, cela ne veut pas dire qu’il faille y mettre de la mollesse. Au contraire, il faut de la détermination, savoir mettre le cap sur certaines choses. Les pharmaciens n’attendent pas de la mollesse mais de l’écoute, du respect.
Percevez-vous une défiance des pharmaciens envers les syndicats ?
Le syndicalisme fait partie du patrimoine commun. Il est dommage que les pharmaciens, chefs d’entreprise, ne le perçoivent pas et l’abandonnent en n’y participant pas. Il est important de leur rappeler qu’au-delà de l’intérêt général pour autrui, il y a aussi un intérêt général pour soi. Notons cependant qu’avec 7 000 pharmacies syndiquées à la FSPF et 1 800 autres à l’USPO, la profession présente le deuxième taux le plus fort de syndicalisation en France. Je pense que nous pouvons encore renforcer ces liens en faisant un syndicalisme de services plus proche des préoccupations de nos adhérents.
La scission syndicale a-t-elle encore lieu d’être ?
Existe-t-il tant de différences que cela entre le pharmacien de la Sarthe et celui de la Nièvre, entre celui de Charente-Maritime et celui de la Charente ? Je me le demande. Les pharmaciens appartiennent à l’un ou l’autre des syndicats en fonction de leur implantation géographique, cela n’a pas de sens. Ce qui aurait du sens, c’est d’organiser un parlement des pharmaciens qui fasse vivre la démocratie en interne. Cela permettrait de porter la parole de la majorité des confrères auprès des pouvoirs publics, mais dans le respect des voix minoritaires. C’est la leçon à tirer du passé car l’absence d’écoute des voix minoritaires a provoqué la scission, il y a 18 ans. Au cours de mon tour de France, j’ai testé auprès des présidents départementaux l’idée d’une réunification syndicale. J’ai l’impression qu’ils en ont envie.
Votre vocation pour la pharmacie laisse-t-elle de la place à d’autres passions ?
La politique. La vie publique. La vie de la cité. L’Histoire. Mon pays. Je suis attaché à tout cela. Dans ma région, dans l’Aude, les élus sont des proches, et j’essaie de les fédérer au-delà de leurs divergences politiques autour de la défense des services publics en milieu rural. Car ce qui m’effraie aujourd’hui, c’est la perte de l’ensemble de ces services. Il n’y a plus de bureaux de Poste, de commerces, de gares, d’écoles… La pharmacie est devenue le dernier rempart contre la désertification.
Cette position a été confortée le 21 mars par les députés qui ont voté la dispensation protocolisée et la prescription de certains vaccins. Quelle est votre réaction ?
J’ai remercié les députés qui ont été à l’initiative de cette mesure, elle ne sera une réussite que dans le cadre d’une coopération de l’équipe de soins. Thomas Mesnier et Delphine Bagarry, tous deux médecins avant d’être représentants du peuple, ont compris que l’enjeu est d’apporter le meilleur soin au patient ; je compte, bien sûr, discuter dès que possible avec les présidents des syndicats de médecins pour que l’application soit au bénéfice de tous.