LE MONDE de l’officine est en proie à de profonds changements. Son modèle économique est, en effet, sur le point d’être radicalement réformé avec l’arrivée d’un nouveau mode de rémunération. La nouvelle convention avec l’assurance-maladie introduit le principe d’une rémunération mixte comprenant une part d’honoraires et une part de marge commerciale. Celle-ci se mettra progressivement en place à partir de 2013, confirme le directeur général de l’UNCAM*, Frédéric van Roekeghem. Un paiement à la performance pour la substitution générique ou l’accompagnement de patients chroniques verra également le jour.
Face à la baisse des prix et des volumes des médicaments délivrés en officine, le modèle actuel a vécu. D’autant que la tendance devrait encore s’accentuer dans les prochaines années, comme le prévoit le président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), Philippe Gaertner. D’ailleurs, les principaux candidats à l’élection présidentielle ont d’ores et déjà prévenu que, une fois à l’Élysée, ils poursuivraient les politiques de pression sur les prix et de réduction des prescriptions. L’officine n’a donc pas d’autre choix, elle doit se réformer.
La fin d’un monde.
Toutefois des perspectives existent. C’est en tout cas le sentiment de Francis Mégerlin, maître de conférence à la faculté de pharmacie de Paris Descartes : « C’est la fin d’un monde, ce n’est pas la fin du monde ». « Il faut passer à un autre modèle », estime également Olivier Delétoille, expert-comptable. Pour lui, c’est en période de crise que l’on trouve d’autres revenus d’activités, même s’il pense que, comme dans tout changement, il y aura des perdants et des gagnants. Claude Le Pen, professeur d’économie à Paris Dauphine, considère pour sa part qu’il existe deux stratégies pour s’en sortir : développer d’autres activités que la dispensation ou trouver des gains d’activité.
Quoi qu’il en soit, la nouvelle convention est l’occasion de franchir une étape. Car une chose semble acquise, l’évolution de la rémunération s’accompagnera d’un élargissement du champ d’action du pharmacien. Cette convention « nous considère comme des professionnels de santé au-delà de la dispensation », se félicite Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). « La mise en place de nouvelles missions, sans l’opposition des médecins, est possible, mais par étapes », précise de son côté Frédéric van Roekeghem. Le ministre de la Santé est plus optimiste. Invité à présenter le programme santé du candidat Sarkozy lors de Pharmagora, Xavier Bertrand en est sûr, le rôle de l’officinal sera renforcé dans les cinq ans qui viennent. « Les pharmaciens ne deviendront pas des médecins, mais ils auront un véritable rôle de complémentarité », souligne-t-il. Plus largement, le ministre estime que la nouvelle convention sera « un vrai succès » et marquera « une révolution douce ». « Dans vingt ans, l’officine fonctionnera toujours sur les bases de cette convention », affirme Xavier Bertrand.
Le capital en question.
Autre changement à venir annoncé par l’actuel ministre de la Santé : la publication avant le premier tour de l’élection présidentielle du décret permettant la création de holdings de pharmacie ou société de participations financières de profession libérale (SPF-PL). Certains voudraient aller plus loin. Claude Le Pen estime ainsi que la notion de propriété des officines est un sujet qui devra être abordé. « C’est le prochain défi que l’officine aura à relever », affirme l’économiste de la santé, pour qui l’ouverture du capital a sauvé l’hospitalisation privée. Pascal Louis, président du Collectif national des groupements de pharmaciens d’officine (CNGPO), plaide, lui, en faveur d’une réorganisation du réseau. « Sur le médicament remboursable, qui représente 80 % de notre activité, nous n’avons plus rien à gagner et nous cherchons désormais à ne pas perdre, argumente-t-il. En revanche, sur l’organisation du réseau, tout reste à faire. » Et le président du CNGPO de reformuler sa proposition de pharmacies succursalistes, comme cela existe en Allemagne. En clair, un pharmacien pourrait détenir quatre officines. Mais pour cela, il faudrait qu’un titulaire ne soit plus obligatoirement propriétaire de la pharmacie où il exerce.
La SISA, nouvel outil économique.
Au-delà des projets à venir, la participation des officinaux dans les sociétés interprofessionnelles de soins ambulatoires (SISA) est, elle, devenue une réalité. Un décret paru au « Journal officiel » du 25 mars donne en effet le feu vert aux SISA. Il s’agit d’un nouvel outil économique qui permet la coordination entre différents professionnels de santé, rappelle en substance Brigitte Bouzige, vice-présidente de l’USPO. Prévues par la loi Fourcade du 11 août 2011, les SISA offrent la possibilité à certains professionnels de santé, dont les pharmaciens, d’exercer en commun les activités de coordination thérapeutique, d’éducation thérapeutique ou encore de coopération interprofessionnelle. Et de percevoir, en contrepartie, une rémunération, qui « vient en complément de l’activité libérale », précise Brigitte Bouzige. En pratique, les acteurs de la SISA établissent un projet de santé répondant à un protocole très rigoureux. Ce projet est ensuite visé par l’agence régionale de santé (ARS) concernée qui accorde des fonds (souvent par patients) pour le mener à bien. Les participants à la SISA décident ensuite du montant de rémunération qu’ils accordent à tel ou tel professionnel de santé membre de la société.
On le voit, la période de crise actuelle est propice aux changements. Avec la nouvelle convention et le futur décret sur les holdings, les pharmaciens sont en mesure de dessiner l’officine de demain.
D’après différents débats du salon Pharmagora des 24, 25 et 26 mars 2012.