LES MÉCANISMES de fixation du prix d’un médicament manqueraient de clarté. C’est en substance le sentiment manifesté par les deux tiers des officinaux qui ont été interrogés par Call Medi Call pour « le Quotidien du pharmacien », dans le cadre de la journée de l’économie de l’officine. Un sentiment auquel n’est certainement pas étranger la complexité même de ce processus. Une complexité telle que la commercialisation dans l’Hexagone des produits de santé est souvent longue et que ceux-ci doivent suivre un véritable parcours du combattant, dès lors qu’ils sont pris en charge par la collectivité.
Cette ultime étape, avant la mise sur le marché de tout nouveau produit semble d’autant plus incongrue que, « entre la reconnaissance d’un besoin médical et la mise sur le marché du produit censé y répondre, une dizaine, voire une quinzaine d’années, se sont souvent déjà écoulées », rappelle Jean-Jacques Zambrowski, économiste de la santé. Le temps pour ces produits de passer par toutes les phases des études cliniques, et ainsi d’obtenir - généralement auprès de l’agence européenne du médicament (EMEA) - leur autorisation de mise sur le marché (AMM). Le temps aussi pour « les industriels qui mettent au point ces nouveaux médicaments, de dépenser environ un milliard de dollars », ajoute le président du LEEM (Les entreprises du médicament), Patrick Errard.
Peu d’innovations reconnues.
D’où l’impatience manifestée par les laboratoires pharmaceutiques pour mettre au plus vite leurs nouveaux produits sur le marché, et ainsi « commencer à rentrer dans leurs frais ». Mais l’AMM, quand bien même elle serait un sésame indispensable, n’est pas pour autant suffisante. Encore faut-il, pour les industriels, convaincre les autorités nationales de l’intérêt de la nouveauté pour « obtenir un prix qui répond à leurs attentes et correspond, en quelque sorte, à la valeur marchande attendue ». Ce qui fait dire encore à Jean-Jacques Zambrowski que, « en matière de médicament, il convient toujours de distinguer le coût, de la valeur et du prix ».
D’autant que, en France, la commission de la transparence se montre particulièrement sévère dans les notes qu’elle attribue aux nouveautés thérapeutiques. Intégrée à la Haute Autorité de santé (HAS), cette instance indépendante délivre, en effet, peu de SMR (service médical rendu) ou d’ASMR (amélioration du service médical rendu) de niveaux 1 (très innovant), 2 (innovant) ou 3 (raisonnablement innovant). Or plus la note est basse, meilleure est jugée l’innovation. D’où la nécessité pour les produits les mieux notés - et donc ayant obtenu un SMR ou une ASMR autre que 4 ou 5 - de passer ensuite devant la Commission d’évaluation économique et de santé publique (CEESP). Créée par la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2008, « cette instance a pour objectif d’apporter une expertise médico-économique, et ainsi de contribuer activement à ce que la dimension d’efficience ou de coût d’opportunité soit prise en compte à la fois dans la décision publique et dans les décisions des professionnels ».
Une fois obtenus ces critères déterminant la valeur de leurs produits, les industriels devront encore négocier avec le Comité économique des produits de santé (CEPS) pour obtenir un prix. Placé sous l’autorité conjointe des ministres chargés de la santé, de la Sécurité sociale et de l’économie, cet organisme réunit en son sein des membres de quatre administrations - Direction de la Sécurité sociale (DSS), Direction générale de la Santé (DGS), Direction générale de la Concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), direction générale de la Compétitivité, de l’industrie et des services -, de l’Union nationale des organismes d’assurance-maladie complémentaire (UNOCAM) et des trois régimes d’assurance-maladie obligatoire : la caisse nationale d’assurance-maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), la caisse nationale du régime social des indépendants et la caisse nationale de la mutualité sociale agricole.
Les critères d’évaluation.
En charge de la fixation du prix des médicaments remboursables dispensés en ville, cet organisme interministériel « conclue avec les entreprises des conventions portant à la fois sur le prix des médicaments et son évolution, sur les remises, sur les engagements des entreprises concernant le bon usage des médicaments et les volumes de vente ou encore sur les modalités de participation des entreprises à la mise en œuvre des orientations ministérielles ». Une négociation dont le prix n’est pas la seule composante, car « le coût de la prise en charge concerne aussi la juste prescription et le bon usage des soins », explique Christelle Ratignier-Carbonneil, directrice adjointe de l’offre de soins et responsable du département des produits de santé à la CNAMTS. Elle précise : « L’évaluation tient donc compte du contexte économique et des contraintes. » D’où la nécessité d’accompagner la diffusion de ces nouvelles thérapeutiques et de les encadrer auprès des prescripteurs. Il ne restera plus alors qu’au ministre de la Santé et des Affaires sociales, après avis de l’Union nationale des caisses d’assurance-maladie (UNCAM) de décider de son taux de remboursement.
En revanche dès lors que le médicament est destiné au circuit hospitalier, et s’il n’a pas vocation à être inscrit sur la liste en sus, il fera en revanche l’objet d’une négociation directe entre l’industriel et l’établissement. En clair, aucun prix de référence ne sera fixé.
Le cas des génériques.
Quant aux génériques, ils bénéficient d’un statut particulier puisque, au moment de la commercialisation du premier générique, le principe est que son prix soit 60 % inférieur à celui du princeps. Un princeps qui devra dans le même temps abaisser son prix de 20 %, puis encore de 12,5 % dix-huit mois plus tard quand le générique diminuera encore le sien de 7 %. Conséquence : le prix du générique sera donc inférieur, au final, de 54 % à celui du princeps. Et si le taux de substitution n’atteint pas le seuil de 80 %, fixé par la convention qui a été signée par l’assurance-maladie avec les syndicats représentatifs, le principe d’un tarif forfaitaire de responsabilité sera appliqué par les autorités, avec à la clé un alignement du prix du princeps sur celui du générique.
Tout aussi complexe qu’il puisse paraître, ce système semble toutefois avoir fait ses preuves pour la collectivité. La comparaison des prix pratiqués en France, en Italie, en Espagne, en Allemagne et au Royaume Un, montre en effet que les prix hexagonaux ne sont pas plus élevés que dans les principaux marchés européens. Ils seraient même légèrement inférieurs en France, en raison de la volonté du CEPS d’homogénéiser autant que possible les prix. « L’accord-cadre conclu entre le LEEM et le CEPS prévoit un véritable benchmark européen afin de pouvoir positionner au mieux le prix accordé à un médicament innovant », explique encore Christelle Ratignier-Carbonneil. Et pour cause ! Selon la dernière étude de la direction de la recherche économique et des études statistiques (DREES) l’essentiel des dépenses liées au médicament (67,5 %) serait prise en charge par la Sécurité sociale. Et comme le reste à charge des Français pour leurs dépenses de santé est parmi les plus faibles des pays de l’OCDE, il y a fort à parier que l’État maintienne sa pression sur les prix. À moins que « cette stratégie n’atteigne ses limites avec l’émergence de thérapeutiques de plus en plus ciblées », tempère la directrice adjointe de l’offre de soins à la CNAMTS.