Alors que l’on attendait le Kenyan Ngugi wa Thiong’o, ou, à défaut, le Japonais Haruki Murakami, l’Académie suédoise a été charmée sinon par la voix, du moins par les paroles des chansons de Bob Dylan, qui « écrit une poésie pour l’oreille », arguant que « Homère et Sappho écrivaient déjà des textes poétiques qui étaient faits pour être joués ».
Le chanteur – qui succède à la Biélorusse Svetlana Alexievitch, récompensée dans un autre registre pour son œuvre de témoignage, notamment sur les horreurs de la guerre d’Afghanistan et la catastrophe de Tchernobyl – est le premier musicien à obtenir le prix créé en 1901. Son nom avait déjà été avancé à plusieurs reprises, depuis qu’en 1996 il avait été soutenu par son ami le poète Allen Ginsberg, et en 2011 les bookmakers pariaient sur lui... ce qui avait conduit le « New Yorker » à qualifier l’éventuel lauréat d’« imposteur ». En 2008, le poète folk de la contre-culture américaine avait déjà reçu une mention spéciale du jury du prix Pulitzer, justifiée également par « son profond impact sur la musique populaire et la culture américaine, à travers des compositions lyriques au pouvoir poétique extraordinaire ».
Mais foin des polémiques et hommage à l’« icône » aujourd’hui âgée de 75 ans et mondialement célèbre depuis cinquante ans, qui a sorti son 37e album, « Fallen Angels », en mars 2016.
Porte-parole d'une génération
Bob Dylan, de son vrai nom Robert Zimmerman, a passé son enfance dans le Minnesota, où il s’est initié au piano, puis à la guitare et à l’harmonica, avant ses 10 ans. La musique country puis le blues, le rock et le jazz ont contribué à sa culture musicale mais c’est à l’université (qu’il ne fréquente que quelques mois), qu’il découvre le folk. Il a 20 ans, en 1961, quand il se rend à New York et s’installe dans le quartier des artistes à Greenwich Village. L’année suivante, à force d’écrire des chansons d’actualité engagées qui sont publiées, il devient le porte-parole d’une génération excédée par les injustices et le conservatisme qui prévalent alors ; « Blowin’in the Wind », qu’il chante dans son deuxième album, lui ouvre la voie du succès. Ses œuvres les plus célèbres et les plus influentes datent de ces années 1960, dont certaines, comme « The Times They Are a Changin’ », sont devenues des hymnes antiguerre, en particulier la guerre du Vietnam.
Côté son, il s’est emparé, en les personnalisant, de nombreuses traditions de la musique américaine, folk, country, blues, gospel, rock’n’roll et rockabilly, élargissant son répertoire à la musique folk anglaise, écossaise et irlandaise, quitte à dérouter ses fans.
Côté écriture, ses références sont les écrivains de la Beat Generation, en particulier Allen Ginsberg (« Howl », 1956) et Jack Kerouac (« Sur la route », 1957), avec lequel il partage une grande admiration pour Arthur Rimbaud.
L’actualité du prix Nobel n’est pas terminée, puisque « Bob Dylan : The 1966 Live Recordings », un imposant coffret de 36 CD de sa tournée mondiale de 1966, alors même qu’il avait « trahi le folk » en se tournant vers la guitare électrique, va sortir le 11 novembre, qui permettra d’écouter des enregistrements de concerts aux États-Unis et en Australie, mais surtout de spectacles en Europe.