Comme tout professionnel qui met ses compétences au service des personnes, le pharmacien d’officine et son équipe ne peuvent s’exempter de réflexion éthique. Confrontés à des ordonnances parfois difficiles à honorer, aux nombreuses sollicitations des laboratoires, à des demandes de « dépannage » de médicaments, à des situations de détresses sociales, « les officinaux doivent prendre le temps d’une réflexion pour assurer des soins de la manière la plus ajustée », comme l’a rappelé Cédric Liochon, jeune pharmacien rémois, lors d’un débat organisé par l’AFPC dans le cadre du dernier salon PharmagoraPlus. Puis de citer le juge de la Cour suprême Potter Stewart : « l'éthique est de savoir la différence entre ce que vous avez le droit de faire et ce qu’il est bon de faire. »
Mais certains s’interrogeront : « N’a-t-on pas déjà le code de déontologie et le code de santé publique pour décider correctement ? » Or, comme nous l’a dit Dominique Folscheid, professeur émérite de philosophie morale et politique à l'université Paris-Est Marne-la-Vallée, « le droit tendant à envahir de nombreux domaines et se chargeant de remplacer les normes par des fonctionnements, perd son sens normatif pour se transformer en un filet de sécurité de plus en plus serré. Il risque même de venir organiser notre propre irresponsabilité ». Ainsi les réflexions d’ordre éthique ne peuvent être résorbées par des prescriptions exclusivement juridiques : « L’éthique n’est pas soluble dans le droit. »
L’éthique n’est ni une science, ni un système de règles. « L’éthique est la réflexion philosophique sur la pratique. » Un détour par la sémantique est nécessaire : ethos, qui signifie l’étable des animaux, correspond, pour nous les hommes, au monde humain : « L’éthique est là pour nous humaniser et nous faire habiter le monde, en nous aidant à nous conduire. » Mais ethos a à voir aussi avec l’habitude ; il s’agit alors d’imiter ce qui est déjà en place comme normes dans une société, « mais en les transposant dans le monde particulier des personnes en présence ». D’où cette différence entre morale et éthique : la morale fait appel aux normes en cours, alors que l’éthique demande réflexion.
Alors comment faire pour bien faire ? Parce qu’un patient n’est pas simplement un client, tout professionnel de santé opte pour le mieux-être de celui-ci et cherche à concilier une éthique des fins avec une éthique des moyens. La visée du bien est une perpétuelle « pesée », guidée par les idées de justesse et de justice. Pour cela, Aristote parle de phronesis qui recouvre les idées de prudence et de sagesse pratique. Dans le cas du pharmacien, ce concept associe « raison théorique/formation intellectuelle et raison pratique/connaissance du médicament ». À partir de là, il est possible de définir un habitus complet, qui est l’harmonie d’une manière d’être ou une disposition d’esprit, avec un savoir qui n’est jamais passif et constamment remis en question. Cet habitus s’acquiert « par le compagnonnage auprès de professionnels compétents et l’expérience au fil des années ».
Les professionnels de santé interviennent de telle manière que leurs actes constituent une chaîne de soins, en pensant prioritairement au bien du patient. Or la solidité de toute chaîne dépend du maillon le plus faible. Les pharmaciens devraient-ils représenter ce maillon, par leur laxisme ou leur irresponsabilité ? Alors qu’à l’aide de leur jugement éthique, « ils pourraient au contraire tenir lieu de premier maillon, assurant le premier accueil et la première instance d’orientation ».