L’équivalent d’un jet par jour aux États-Unis. 115 000 hospitalisations de personnes de plus de 65 ans, par an en France. C’est le bilan de la iatrogénèse annoncé en préambule de la cinquième journée nationale des URPS Pharmaciens, organisée par l’URPS d’Île de France pour décrire l’ampleur de ces risques et mesurer l’enjeu de santé publique que représente sa maîtrise.
Abordé sous la perspective de gériatres, d’infirmières, de pharmaciens d’officine et de pharmaciens hospitaliers, ce thème a élargi le débat entamé un an plus tôt sur l’observance. Cette corrélation entre la iatrogénèse et l’observance confirme, s’il en est besoin, le rôle de pivot du pharmacien dans la prévention du mésusage du médicament.
« La lutte contre la iatrogénèse ancre le pharmacien à la place qu’il doit occuper dans le parcours de soins. C’est une reconnaissance de l’acte intellectuel du pharmacien qui doit passer aujourd’hui du pharmacien scientifique logisticien au pharmacien clinicien », déclare Renaud Nadjahi, président de l’URPS d’Île de France.
Traçabilité et rémunération
Ce positionnement semble aujourd’hui acquis auprès de l’ensemble des professionnels de santé tant ils identifient le pharmacien comme le premier lanceur d’alerte de la iatrogénèse. Pour autant, comme le relève Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), cette évidence a un revers. « À chaque fois que j’effectue une intervention pharmaceutique, parce que le dosage est différent, parce qu’il manque une ligne, que j’interroge le médecin, que je passe une demi-heure avec l’hôpital, il n’y a aucune traçabilité, ni aucune rémunération », expose-t-il. Rien d’étonnant donc, selon lui, à ce que le pharmacien reste perçu comme un distributeur de boîtes.
Le rôle du pharmacien dans la iatrogénèse a cependant été formalisé au cours de ces dernières années. La création du statut de pharmacien correspondant pour les patients sous AVK a constitué un pas essentiel, d’autant que les anticoagulants représentent le premier risque d’iatrogénèse. L’intervention auprès des patients asthmatiques, dont le premier risque iatrogène est la mauvaise observance, en est un second exemple.
Par ailleurs, le statut du pharmacien référent pour les personnes âgées en maison de retraite a été entériné. Reste à lui donner davantage de consistance dans la sécurisation du circuit du médicament, notamment par la PDA. « La moitié des problèmes de iatrogénèse sont liés à une erreur d’administration », rappelle Hervé Chapelle, pharmacien d’officine dans les Yvelines.
Valeur ajoutée
Cependant, ces avancées ne sauraient suffire à elles seules, à réduire les risques. Car si l’une des principales causes de la iatrogénèse est la multiplicité des intervenants auprès du patient, son principal remède se trouve lui aussi au sein d’une meilleure coopération entre ces mêmes intervenants. Certes, la transmission des informations a été améliorée par la mise en place de la conciliation médicamenteuse ou encore entre les pharmaciens, par le dossier pharmaceutique (DP). Mais elle reste perfectible.
Les pharmaciens déplorent devoir encore déduire la pathologie du patient à partir d’une ordonnance de sortie hospitalière. De même, ils n’ont pas accès aux résultats d’analyse biologique (fonction hépatique, fonction rénale), alors que 80 % des laboratoires seraient en mesure de les fournir, comme le rappelle Claude Rambaud, vice-présidente de l’association de patients, Le Lien.
Or, pour remplir son rôle de vigie du médicament, le pharmacien doit pouvoir disposer de ces éléments pour alerter au besoin le médecin sur la nécessité d’adapter le traitement, voire de « déprescrire » un médicament. « Nous avons une valeur ajoutée indéniable à apporter ; encore faut-il fournir à l’équipe officinale l’expertise et les compétences », déclare Fabrice Véron. Ce pharmacien d’officine des Alpes Maritimes a constitué un réseau, créant à partir d’un quatuor de professionnels de santé, un véritable maillage de coordination autour du patient.
Une cohérence nécessaire, comme le constate Bruno Thubert, gériatre : « Quand la situation de la personne âgée change, il faut revoir le traitement de la douleur en fonction de son état. N’est-on pas face dans ce nouveau cas de figure à un surdosage ? Le pharmacien doit évaluer le délai de prescription. Il en est de même pour les antibiotiques prescrits à l’hôpital, souvent sans arrêt de date. »
Dépasser le corporatisme
Un meilleur appui sur les paramédicaux, seuls professionnels se déplaçant au lit du patient, s’avère également nécessaire pour déceler dans le discours du patient les risques de la iatrogénèse, notamment celle liée l’automédication. Cette coopération est précieuse à plusieurs titres, comme le décrit Céline Dupont-Barbier, infirmière libérale : « Le médecin pourra adapter l’ordonnance afin que les prises soient calquées avec le passage de l’infirmière le matin et le soir. Ou encore, le pharmacien sera sollicité pour coller sur le générique, le nom du médicament inscrit sur l’ordonnance. »
À l’instar du Pr Sylvie Legrain, gériatre, l’ensemble des intervenants a exprimé la nécessité de « dépasser les enjeux corporatistes ». Car seule une maîtrise des facteurs de mésusage du médicament (prescription inadaptée, interactions, association de médicaments ayant des effets indésirables et majorant leur toxicité) et des facteurs liés à l’environnement du patient, permettra d’adapter la stratégie de soins. Et d’établir le véritable rapport bénéfice/risques du traitement.
D’après les tables rondes de la journée nationale des URPS Pharmaciens organisée le 21 janvier par l’URPS Pharmaciens d’Ile-de-France.