L’embellie du marché des médicaments d’automédication en 2015 serait-elle liée changement d’attitude des médecins sur le sujet ? Alors que les fabricants de médicaments sans ordonnance regrettent que la France soit un marché stagnant, voire en recul, depuis des années, 2015 marque un tournant avec une progression de 5,2 % en valeur.
Et, selon une étude récente d’IPSOS pour l’AFIPA*, les médecins se montrent favorables à la pratique. Le problème, selon Renaud Nadjahi, président de l’URPS** Pharmaciens d’Ile-de-France, c’est le terme même d’automédication qui « n’a plus de sens ». La notion de médicament repose sur le fait de contenir des « molécules actives qui nécessitent un accompagnement fort d’un produit qui peut être dangereux ». Mais la tendance serait, à ses yeux, d’affaiblir cette image de danger du médicament.
Dans ce cadre, il promeut un « parcours de soins sécurisé, accompagné par un professionnel de santé et partagé avec les professionnels de santé », et insiste pour que le conseil pharmaceutique soit pris en compte, « notamment par le prescripteur ». Ce qui sera à terme facilité par l’alimentation du dossier médical personnel (DMP) par le dossier pharmaceutique (DP) puisque le médecin saura quels médicaments son patient aura reçu en ville ou à l’hôpital.
À l’image des résultats de l’enquête IPSOS, le Dr Jean-Luc Gallais, spécialiste en médecine générale et en santé publique, chargé de mission au syndicat MG France, appréhende l’automédication comme un comportement en harmonie avec « le changement sociétal de la place de la santé » et la tendance au « Do it yourself ».
L’automédication s’inscrit dans un cadre plus large de recherche d’autonomie et d’« empowerment », dans lequel ce ne sont plus les professionnels de santé qui soignent le patient mais le patient qui se soigne avec les professionnels de santé. En France, un million de personnes sont reçues chaque jour dans les cabinets médicaux quand 4 millions d’usagers franchissent quotidiennement la porte d’une officine.
« Ce phénomène ne va pas se minorer, il faut donc donner des compétences aux patients dans un parcours sécurisé et accompagné. Il faut aussi définir le rôle de chacun pour que les professionnels de santé se coordonnent plus facilement, surtout face à des patients toujours prêts à se glisser dans les désaccords », ajoute Jean-Luc Gallais.
Porte d’entrée
Présidente du Collectif national des associations d’obèses (CNAO), Anne-Sophie Joly souligne à son tour que « 80 % des gens s’automédiquent » mais certains le font pour de mauvaises raisons telles que la peur du médecin, le manque de temps ou d’argent. C’est pourquoi le rôle du pharmacien est essentiel car il est parfois le seul professionnel en capacité de « replacer des patients dans le système de santé ».
Pascal Brossard, président de l’AFIPA, revendique pour sa part une seule définition de l’automédication telle que définie par l’Organisation mondiale de la santé : se soigner soi-même avec le conseil du pharmacien et avec des médicaments adaptés à cette pratique. Pour lui, face à des patients en recherche d’autonomie, un système de soins saturé et le coût pour la collectivité, l’automédication responsable et accompagnée par le pharmacien est la solution la plus adaptée aux personnes en bonne santé présentant une pathologie bénigne. « Tout le monde est d’accord, il ne manque qu’une volonté politique pour développer l’automédication. »
Dans un Manifeste qu’elle vient de publier, l’AFIPA réclame des délistages pour étoffer l’offre de produits d’automédication, une prise en charge collective décidée par pathologie et non par médicament, une formation à l’automédication dès le plus jeune âge, la protocolisation du conseil officinal, l’inscription des médicaments d’automédication dans le DP et la baisse du taux de TVA appliqué à ces produits à 2,1 %. En outre, elle préconise le remboursement de l’automédication pour les personnes en grande difficulté financière tels que les bénéficiaires de la CMU.
Du côté des complémentaires, l’idée d’une prise en charge se développe, comme le remarque Benjamin Laurent, directeur des relations publiques de Klesia. Ainsi, pour les salariés d’officine, un forfait automédication de 40 euros par an est intégré à leur contrat. Une évolution logique aux yeux de Christian Grenier, président de FEDERGY, la chambre syndicale des groupements de pharmaciens d’officine, puisque les revenus de la pharmacie de 2020 reposeront pour un cinquième sur le marché du selfcare.
« Le pharmacien doit renforcer son rôle de professionnel de santé, sans quoi le monopole officinal sautera et les médicaments seront disponibles chez Leclerc », affirme Christian Grenier. La vision semble partagée par l’ensemble des acteurs de la chaîne du médicament : l’officine doit être la porte d’entrée du parcours de soins, le pharmacien étant à même soit d’accompagner le patient face à une pathologie bénigne, soit de l’orienter vers le médecin si nécessaire.
** Union régionale des professionnels de santé