LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN. - Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2013 a été présenté hier en conseil des ministres. Quel sera son impact sur l’économie des officines ?
PHILIPPE GAERTNER. - D’après ce que l’on sait aujourd’hui, les économies attendues sur le médicament avoisinent les 2 milliards d’euros en prix fabricant hors taxes (PFHT) pour 2012 et 2013. Ce qui se traduira par une perte de marge pour l’officine d’environ 500 millions d’euros sur deux ans. Encore une fois, le médicament est le poste le plus touché. Celui-ci est appelé à contribuer à hauteur de 60 % des économies escomptées, alors même que ce champ ne représente que 16 % des dépenses d’assurance-maladie. Cela nous inquiète beaucoup. D’autant que les mesures envisagées portent sur les deux éléments qui constituent la marge de l’officine, c’est-à-dire les prix et les volumes. Dans ce contexte, il est clair que notre modèle économique doit changer. D’autant que la marge de l’officine ne peut plus supporter de baisses supplémentaires. De toute façon, les pouvoirs publics ne peuvent pas demander aux pharmaciens de s’engager dans une politique dynamique du générique sans prendre de mesures qui garantissent la marge.
Dans ce contexte, seriez-vous favorable au principe d’un contrat de confiance avec l’État, comme le demande l’USPO (2) ?
Je ne suis pas opposé au principe d’un contrat avec l’État. Si on peut le faire, pourquoi pas.
Le passage à l’honoraire vous semble-t-il aujourd’hui incontournable ?
Il est vrai que, aujourd’hui, les politiques successives de baisses de prix et de maîtrise médicalisée poussent à déconnecter la rémunération des pharmaciens des prix et des volumes. Certains opposent le fait que les honoraires ne sont jamais réévalués. Mais cette question se pose pour tous les professionnels et dans tous les pays. À mon sens, ils augmentent à chaque fois que la conjoncture le permet et quand celui qui émet l’honoraire apporte un plus. C’est le juste retour du travail fourni. Les moyens de faire bouger les choses dans le temps existent donc. Et puis, même si l’on transformait dès maintenant 12,5 % de la marge actuelle en honoraires, 87,5 % de la rémunération des pharmaciens resterait sous forme de marge commerciale. Attention, l’idée ne serait pas d’introduire un type d’honoraires de dispensation, mais plusieurs, afin de correspondre aux différents profils d’officine. Notre objectif, bien sûr, est d’avoir une répartition des honoraires équilibrée et de préserver le maillage actuel.
L’introduction d’une part d’honoraires à 12,5 % dès 2013 vous paraît-elle réalisable ?
Si on ne fait rien, nous allons perdre 500 millions d’euros de marge sur deux ans. La mise en place d’une rémunération mixte avec 12,5 % d’honoraires représente tout de même un apport de 700 millions d’euros pour le réseau. Pour nous, cette part d’honoraires correspond à quelque chose de mesuré, de réaliste et d’indispensable. Si l’on ne transférait, par exemple, que 2 % de la marge, cela n’apporterait que 100 millions d’euros, soit 20 centimes d’euros par ordonnance traitée. Cela n’a aucun sens. De même, transformer l’intégralité de la rémunération en honoraires ne se justifie pas. Notre activité est mixte, à la fois intellectuelle et commerciale. D’ailleurs la plupart des pays dans lesquels un honoraire a été instauré ont choisi de conserver une part de la rémunération liée à l’activité commerciale.
Selon vous, l’objectif de substitution de 85 % pour 2012 sera-t-il atteint malgré les nouveaux signaux négatifs adressés aux génériques ces derniers temps ?
Les 85 % sont dans la ligne de mire. En effet, nous sommes déjà à 82 % avec des départements qui ne sont entrés dans le dispositif tiers payant contre générique qu’en septembre. Il est vrai que nous devons faire face à de nouvelles offensives antigénériques. Certains médecins aimeraient ainsi pouvoir de nouveau inscrire simplement NS sur les ordonnances et non plus écrire la mention « non substituable » en toutes lettres et à la main. La ministre de la Santé a pour sa part été claire en se prononçant contre l’automatisation de la mention NS. Quoi qu’il en soit, il faut être prudent, car si l’on continue de mettre des bâtons dans les roues du développement des génériques, il est clair que le législateur va être tenté de prendre d’autres dispositions plus contraignantes. En Belgique, par exemple, les patients qui refusent les génériques ne sont plus du tout remboursés. Les pouvoirs publics n’hésiteront pas en période de profond déficit des comptes sociaux. Souvenons-nous en : cette année, les médicaments génériques vont permettre d’économiser 2 milliards d’euros. C’est colossal !
Au-delà des honoraires de dispensation et des génériques, quels sont les autres moyens pour la profession de sortir de la crise ?
En premier lieu, il faut s’investir sur les marchés où l’officine est déjà présente, comme celui du matériel médical. Il ne faut rien lâcher. D’ailleurs on le voit, les ventes de produits de parapharmacie et de spécialités de médication officinale progressent et permettent même de compenser partiellement la baisse des volumes du médicament remboursable. Ensuite, les nouvelles missions rémunérées peuvent également apporter une bouffée d’oxygène. Dès l’année prochaine, les pharmaciens pourront percevoir 40 euros par an et par patients pour l’accompagnement des malades sous anticoagulants oraux. Toutes les pharmacies seront concernées par l’accompagnement thérapeutique. La mise en place est relativement simple et ne nécessite par obligatoirement la création d’un espace de confidentialité, le bureau du titulaire, « s’il est rangé », convient parfaitement. Des moyens existent et cela ne me semble pas insurmontable. Il me paraît nettement plus compliqué, par exemple, de se mettre en conformité avec les nouvelles normes d’accès des commerces aux handicapés (3).
Il existe une vraie opportunité pour l’officine, car les confrères ont montré leur capacité à réaliser des économies pour la Sécurité sociale. Toutefois, ceux qui ne s’engageront pas dans le développement des génériques, ou dans l’accompagnement des patients sous AVK, risquent de voir leur avenir s’assombrir. La convention avec l’assurance-maladie est un outil qu’il faut s’approprier. Le sort des pharmaciens est entre leurs mains.
(2) Union des syndicats de pharmaciens d’officine.
(3) Voir notre édition du 4 octobre 2012.