De notre envoyé spécial
LE TRADITIONNEL congrès annuel des pharmaciens, qui se tenait du 17 au 20 septembre à Munich, a été dominé par les débats sur l’avenir de l’officine et sur le rôle des pharmaciens à l’horizon 2030. Comme l’ont rappelé les représentants du gouvernement et des groupes parlementaires lors de l’ouverture du congrès, il existe un vrai consensus politique pour protéger et développer la pharmacie d’officine indépendante et de proximité. Celle-ci répond aux attentes de la majorité de la population, a notamment souligné le ministre fédéral de la santé, Hermann Grohe. Toutefois, a tempéré Mélanie Huml, ministre régionale bavaroise de la santé, « même si nous sommes tous attachés aux officines dans leur forme actuelle, des commissions officielles d’experts ont une nouvelle fois, cet été, réclamé la suppression du monopole et la création de chaînes » ; de plus, a-t-elle ajouté, la « troïka » qui a préparé le plan de sauvetage de la Grèce a exigé que ce pays réforme ses pharmacies dans une optique libérale, que personne ne souhaitait, et la vigilance doit donc rester de mise. Les pharmaciens allemands redoutent d’ailleurs eux aussi que certaines mesures prises sur le plan européen ou international ne finissent par remettre en cause la législation définie au niveau national (voir encadré sur le projet de traité transatlantique).
Mais si les pharmaciens allemands peuvent envisager leur avenir sous un ciel relativement dégagé, cela ne signifie pas qu’aucun nuage n’assombrisse leur horizon. En dehors de la rigueur économique et des contraintes administratives et bureaucratiques qui « empoisonnent la vie des pharmaciens et des patients », la profession doit faire face à de nouveaux défis ponctuels ou structurels, qui ont fait l’objet de plusieurs débats et résolutions lors du congrès.
Ruptures de stock et contrefaçons.
Parmi ceux-ci, les pharmaciens sont confrontés à une inquiétante augmentation des contrefaçons, et subissent aussi des ruptures de stock de plus en plus fréquentes. Les pharmaciens attendent beaucoup du système national de marquage sécurisé des boîtes qu’ils ont développé avec l’ensemble des autres acteurs du médicament, mais qui n’est toujours pas opérationnel actuellement, contrairement à d’autres systèmes étrangers ou européens qu’ils n’ont pas souhaité adopter. Par ailleurs, ils réclament des contrôles plus poussés face aux importations, notamment parallèles, qui favoriseraient selon eux l’arrivée de contrefaçons. Pour les pharmaciens, les pressions économiques des caisses, qui les obligent à acheter beaucoup de médicaments importés, moins chers, facilitent le phénomène. De plus, cette volonté d’économies à tout prix, encouragée par le gouvernement, aggrave, selon eux, un autre phénomène, celui des ruptures de stock. Certes, rappelle le président du syndicat fédéral des pharmaciens, Fritz Becker, « nous avons des ruptures de marques, mais jamais de traitements », mais les rabais obligatoires aux caisses, les politiques d’appels d’offres trimestriels et la recherche permanente des meilleurs prix fragilise les producteurs et le marché. Actuellement, les pharmaciens s’inquiètent de la multiplication des ruptures de stocks pour les vaccins, alors même que le nombre de fabricants ne cesse de diminuer. Dans tous les cas, rappelle le président du syndicat des fabricants de génériques Pro Generika, Bork Bretthauer, « il est temps que les caisses de maladie comprennent qu’on ne peut pas éternellement obtenir tous les médicaments, tout de suite, avec de la qualité et en baissant les prix ».
Les pharmaciens ont ensuite largement débattu de leur avenir à l’horizon 2030 et adopté un programme d’action dans ce sens. Pour le président de l’Ordre, Friedeman Schmidt, le pharmacien de demain devra être formé et habitué à travailler en équipe avec les autres professionnels de santé, comme le réclament déjà les jeunes pharmaciens d’aujourd’hui. Il travaillera dans le cadre de réseaux et de partenariats, et verra ses compétences scientifiques et cliniques augmenter, notamment en matière de gestion des traitements, de suivi et de sécurité. À l’image de la « médecine par les preuves », les pharmaciens évalueront et justifieront leur activité et leurs conseils par la « pharmacie par les preuves », ont estimé les délégués du congrès dans leur document de synthèse.
Toutefois il importe, pour aborder l’avenir, de restaurer la démographie professionnelle, alors même qu’un nombre croissant de pharmaciens proche de la retraite n’arrive plus à trouver de repreneurs. Là aussi, les difficultés économiques rendent les cessions et les rachats plus difficiles, mais il faut surtout attirer plus de jeunes vers l’officine. Les organisations professionnelles lancent plusieurs campagnes de communication dans ce sens, car, comme le rappelle M. Schmidt, une pharmacie qui ne trouve pas de successeurs est un « drame pour le pharmacien, et détruit l’œuvre de sa vie, mais laisse aussi ses patients et clients en plan, ce qui est un drame pour eux ». De plus, si le nombre d’officines devait diminuer trop fortement, « ce serait la porte ouverte à une planification administrative des pharmacies, voire une étatisation de la distribution, et la fin de la liberté d’établissement », a-t-il souligné.