DEUX TYPES de patients sont admis pour une hépatite sévère au paracétamol : ceux qui ont volontairement pris des doses trop élevées lors d’une tentative de suicide, et ceux qui subissent un aléa thérapeutique après avoir pourtant respecté les doses recommandées (dose thérapeutique inférieure ou égale à 6 g/j et dose recommandée inférieure ou égale à 4 g/j).
Ce second phénomène que le Pr Alexandre Louvet (CHRU de Lille) qualifie de « mésaventure thérapeutique au paracétamol » n’avait que peu d’explications. En effet, seule une faible partie du paracétamol est transformée par le cytochrome p450 en N-acétyl p-benzoquinone imine, un métabolite toxique. En respectant des doses faibles de paracétamol, les quantités de métabolites toxiques sont théoriquement trop faibles pour provoquer des effets secondaires. Grâce à une étude prospective menée pendant dix ans chez des patients admis dans le service des maladies de l’appareil digestif de l’hôpital Huriez (CHRU de Lille), le Pr Louvet et son équipe ont pu montrer que l’alcool est un facteur de risque majeur d’hépatite chez les patients qui prennent du paracétamol à des doses raisonnables pendant plusieurs jours. Leurs résultats ont été présentés samedi en plénière scientifique lors des journées francophones d’hépatogastroentérologie et d’oncologie digestive (JFHOD 2015).
Près de 90 % de buveurs excessifs.
Entre 2002 et 2014, 271 patients ont été admis dans pour une hépatite sévère au paracétamol, avec des taux de prothrombine inférieurs à 50 %. Parmi ces patients, 207 ont été classés dans le groupe des hépatites par surdosage de paracétamol (SP) et 66 dans celui des mésaventures au paracétamol (MP) - ils avaient pris moins de 6 g/j. La dose moyenne de la dose de paracétamol était de 16 g chez les patients MP et de 3,15 g chez les patients SP. Chez 70 % des patients MP, la dose de paracétamol était même inférieure à la dose quotidienne recommandée de 4 g. La différence la plus frappante entre les deux groupes était le pourcentage de buveurs excessifs : 89,4 % dans le groupe MP contre 36,6 % dans le groupe SP.
Le pronostic clinique est moins bon en cas de mésaventure au paracétamol que dans les cas de surdosage, avec des fonctions hépatiques plus altérées et des taux de transaminases plus élevés. La survie à un mois est plus faible : 84,6 % contre 92,6 % dans le groupe surdosage. Selon le Pr Louvet, « ces résultats sont un signal pour les médecins généralistes qui doivent être très prudents avant de prescrire du paracétamol de façon répétée à des patients consommant abusivement de l’alcool. »
Une explication possible avancée par le Pr Louvet est que la réduction des défenses antioxydantes induite par la prise régulière d’alcool rend le foie plus sensible au N-acétyl p-benzoquinone imine.
« Beaucoup de nos patients en mésaventure au paracétamol se sont soignés eux-mêmes après une douleur. Le paracétamol n’est pas considéré comme un médicament, et nos résultats doivent questionner notre rapport à cette molécule, au moment où l’on parle de plus en plus de la rendre disponible en grande surface », estime le Pr Louvet. Les médecins lillois vont tenter de publier ces résultats, et espèrent qu’une réflexion sera menée par l’agence nationale du médicament et des produits de santé (ANSM) afin de modifier les RCP des antalgiques contenant du paracétamol.