Une cellule qui se digère elle-même est-elle en train de mourir ? L’autophagie, à l’inverse de l’apoptose, cette mort cellulaire programmée, n’est pas un suicide, mais un mécanisme cytoprotecteur pour la survie.
Le comité des Nobel a décidé cette année de mettre à l’honneur ce mécanisme cellulaire fondamental et ubiquitaire, impliqué à la fois en physiologie et en pathologie, en décernant le prix de médecine et de physiologie au japonais Yoshinori Ohsumi pour l’ensemble de ses travaux sur l’autophagie, notamment en génétique. La recherche s’est ensuite accélérée sur le sujet passant d’à peine une vingtaine de publications par an à l’époque dans les années 1990 « à plus de 5 000 aujourd’hui », s’est réjoui le chercheur.
« Ce n’est pas surprenant que Yoshinori Ohsumi soit récompensé, réagit le Pr Guido Kroemer, médecin biologiste à l’hôpital européen Georges Pompidou (AP-HP) et directeur de recherche à l’INSERM et au Gustave Roussy Cancer Campus. C’est rare que le prix soit décerné à un seul lauréat. C’est une reconnaissance de l’importance de cette voie de recherche, qui reste encore très fondamentale »
Une machinerie lysosomale conservée
Ce mécanisme cytoprotecteur, dont le plus grand stimulus est la privation de nourriture, permet à la cellule de dégrader et recycler ses propres composants en les empaquetant dans des vésicules qui seront acheminées et traitées au sein des lysosomes, ces petites usines à enzymes. Si le concept était connu depuis les années 1960, le chercheur nippon a marqué une étape déterminante avec ses travaux élégants sur la levure dans les années 1990. C’est lui qui a identifié pour la première fois, toujours en travaillant sur cet organisme très simple, les 15 gènes ATG (ATG pour autophagy) impliqués dans cette machinerie sophistiquée et largement conservée dans plusieurs espèces, en particulier chez l’homme. « C’est un chercheur unique qui a été le point de départ d’une histoire, estime Thierry Galli, directeur de recherche « Trafic membranaire normal et pathologique » à l’Institut Jacques Monod. Yoshinori Ohsumi a commencé à dérouler une pelote que l’on continue à dérouler aujourd’hui. Tout le monde a repris sa nomenclature des gènes ».
Les levures comme modèle expériemental
L’autophagie ne cesse de fasciner depuis sa découverte. Déjà deux prix Nobel ont été attribués par le passé, un prix de médecine au belge Christian de Duve en 1974 pour la découverte du lysosome, puis un prix de chimie en 2004 à Aaron Ciechanover, Avram Hershko et Irwin Rose pour celle du système protéasome-ubiquitine, un système de dégradation des protéines une à une. Sans compter le prix de 2013 sur le trafic membranaire.
Dans les années 1960, après un post-doctorat de biologie moléculaire éprouvant à la Rockfeller University à New-York, « c’était la période la plus dure de ma vie », se souvient le chercheur nippon, mais - qui aura le mérite de le mettre sur la voie des levures -, Yoshinori Ohsuni, revient au Japon à l’université de Tokyo et choisit de travailler, à contre-courant à l’époque, sur les vacuoles présentes dans les levures, l’équivament de nos lysosomes.
Le déclic des levures mutantes
S’il monte son propre laboratoire à l’âge de 43 ans, sa carrière ne décolle vraiment que dans les années 1990. Pour dépasser les limites de la microscopie optique, qui ne permettaient pas de voir ce qui était dégradé à l’intérieur des vacuoles, le chercheur a alors une idée astucieuse. Son hypothèse géniale était qu’il serait plus facile d’observer des changements morphologiques en condition de privation énergétique chez des levures mutées n’exprimant pas les enzymes de dégradation. C’est ce qui se produisit au-delà de ses attentes. Dans sa publication phare de 1992, il décrit pour la première fois les autophagosomes dans les vacuoles, enfin devenus très visibles en microscopie optique, car hypertrophiés suite à l’accumulation de composés cellulaires « jusqu’à remplir complètement les vacuoles (...) (et) si serrés que leurs mouvements étaient restreints ». Peu de temps après, le chercheur enchaîne avec la description génétique dans une série d’expériences sur des centaines de levures mutantes. L’autophagie contrôle des fonctions physiologiques importantes, par exemple la fécondation en dégradant l’ADN mitochondrial du spermatozoïde ou la privation alimentaire, et ce dès la naissance. L’autophagie, qui peut être stimulée par le mode de vie, joue un rôle dans le ralentissement du vieillissement. Mais beaucoup reste encore à découvrir dans son rôle complexe et parfois controversé en physiopathologie, notamment dans les cancers, les maladies neurodégénératives ou encore les infections.