« En mars 2012, nous avons reçu une demande de l’Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM) de changer la formule du Lévothyrox, rappelle Thierry Hulot, président de Merck Biopharma France. Nous avons défini un plan de communication avec elle, avec des supports de communication validés par l’agence. Nous avons écrit aux professionnels de santé, puis nous avons communiqué auprès d’associations de patients. Nous avons lancé ce changement de formulation en mars 2017, comme nous en lançons d’autres plusieurs fois par an, sans inquiétude particulière. Mais tout à coup, nous avons vu apparaître une pétition en ligne, contre le nouveau Lévothyrox dangereux pour les patients. Il a recueilli plus de 300 000 signatures, soit une des plus grosses pétitions en France. »
L’affaire « explose » médiatiquement le 11 septembre 2017. « Dans la même journée, il y a eu 300 reprises radio et 300 reprises presse. Dans la minute, vous avez des journalistes à la grille de votre entreprise qui veulent vous avoir à la télé, témoigne Thierry Hulot. Et au fil du temps, une fois que la flamme est allumée, ça ne se calme jamais. En termes de communication, c’est extrêmement violent. À la sortie des tribunaux, vous êtes pris d’assaut par les journalistes. Il y a une charge émotionnelle assez lourde à porter pour vous et vos collaborateurs. »
10 000 appels en 3 mois
Pour lui, tout l’enjeu était alors de faire entendre des éléments rationnels, objectifs, dans l’intérêt du patient. « Le débat était tellement médiatique qu’il en devenait irrationnel, se souvient-il. Notre rôle était de trouver un moyen d’encourager les patients qui ne se sentaient pas bien à aller voir leur généraliste ou leur endocrinologue. »
Pour cela, Merck a mis en place des plans multicibles. « Nous avons réactivé notre réseau de visiteurs médicaux, nous avons été plus présents au niveau des congrès et des symposiums. Notre call-center a reçu 10 000 appels en 3 mois. Nous avons seulement 6 personnes au niveau de ce centre, nous avons dû renforcer les effectifs. En parallèle, nous avons conçu un « vrai/faux » sur le Lévothyrox. Au début, pour rédiger un communiqué de presse avec notre point de vue, cela nous prenait deux jours. Maintenant, deux heures nous suffisent. Et le fait que nous répondions à chaque fois nous a fait gagner un certain respect par les rédactions », assure-t-il.
Rôle du pharmacien responsable
Le deuxième axe sur lequel a travaillé le laboratoire est celui de la qualité. « Nous avons fait toutes les analyses, même si nous les avions déjà faites. Nous avons publié tous nos dossiers. »
Le pharmacien responsable du laboratoire a également eu un rôle important à jouer. « Depuis le début de l’année, elle a répondu à 40 interviews et a été citée 288 fois dans les différents médias. » Néanmoins, les choses se sont désormais calmées. « Nous n’avons quasiment plus d’appels à notre centre d’appel et d'accompagnement des patients et le marché s’est stabilisé avec trois produits : notre ancienne formule disponible transitoirement, notre nouvelle formule et le médicament Sanofi. »
Leo Kierzek a publié un rapport sur l’amélioration de l’information des usagers et des professionnels de santé sur le médicament, qui recommande que l’ANSM se dote d’outils pour repérer les signaux faibles et d’un système de réaction d’urgence. Le rapport préconise aussi qu’une base d’information santé pour le grand public (qui existe déjà) puisse amener en temps réel de l’information aux patients. « Ce rapport va dans la bonne direction mais j’aurais souhaité que cela aille plus loin : créer un portail interactif, renforcer le pouvoir des patients, ou encore autoriser les laboratoires pharmaceutiques à prendre toute leur place dans l’éducation thérapeutique des patients et des soignants », énumère Thierry Hulot. Selon lui, la difficulté qui reste pour Merck sera « d’accompagner les patients qui sont restés sur l’ancienne formule et qui pensent que rien d’autre ne peut leur aller. Il leur faudra un accompagnement individuel », estime-t-il.