Le Quotidien du pharmacien.- Quel impact aura, selon vous, la nouvelle marge sur l’économie de l’officine ?
Gilles Bonnefond.- Depuis le 1er janvier de nouveaux taux sont en effet appliqués aux tranches de la marge dégressive lissée (MDL). Cette évolution, prévue par l’avenant n° 11 que l’USPO a signé avec l’assurance-maladie et les organismes complémentaires, va enfin nous permettre de sortir de la sinistrose dans laquelle nous plonge depuis trois ans l’ancienne réforme. Celle-ci était censée nous protéger des baisses de prix. Or le mécanisme mis en place avec l’honoraire à la boîte a continué de nous faire prendre de plein fouet toutes les baisses de prix.
Je suis d’ailleurs très inquiet des bilans économiques de 2017 qui vont sortir au cours de l’année 2018 : ils vont être catastrophiques. Au bout de trois ans, certaines officines sont tellement fragilisées qu’elles finissent par fermer.
Selon vous, l’avenant n° 11 est donc à même de redonner du souffle à l’économie officinale ?
Il va en effet permettre à la profession de renouer avec la croissance pour les trois prochaines années et de retrouver une évolution positive de la marge, ou au pire de la stabiliser. N’oublions pas que l’avenant prévoit des clauses de sauvegarde qui feront que la modification de la marge n’entraînera pas de perte pour les pharmaciens. Il y a un investissement important de l’assurance-maladie à hauteur de plus de 70 millions d’euros par an, soit 215 millions d’euros au total sur la période. Avec, en même temps, une diminution de l’exposition de la rémunération aux baisses de prix. Il était temps que l’on sorte de cette logique de rouleau compresseur.
À combien estimez-vous la proportion de gagnants avec cette nouvelle réforme ?
Selon les simulations, 7 % des pharmaciens auraient une progression de leur marge à zéro et 93 % enregistreraient une évolution positive. La réforme est favorable et équilibrée pour toutes les pharmacies. C’est un vrai changement de modèle économique qui nous permet de sortir du piège dans lequel la profession était enfermée avec la précédente convention. Au-delà, l’avenant n° 11 prévoit aussi de nouvelles missions d’accompagnement des patients avec les bilans de médication, mais aussi de prévention et de dépistage. Pour financer toutes ces missions, l’assurance-maladie a mis sur la table une enveloppe de 65 millions d’euros, qui servira aussi à revaloriser le tiers payant et les gardes.
Quelles officines pourraient être les perdantes ?
Ce sont des pharmacies qui se trouvent dans des situations atypiques, dont l’activité est liée à un ou deux prescripteurs et dont la proportion de prescription est anormalement concentrée sur un type de traitement. Mais cela restera marginal car, selon nos simulations, la perte moyenne de marge par an pour ces officines s’élève à 3 000 euros, somme qui sera compensée par l’assurance-maladie grâce aux clauses de sauvegarde prévues par l’avenant.
Pourquoi cette réforme protégerait-elle davantage des baisses de prix que la précédente ?
Depuis le début de l’année, le taux de la MDL pour la partie du prix du médicament comprise entre 1,92 et 22,90 euros a été ramené de 25,5 à 21,4 %, et un taux de marge de 10 % a été introduit sur la première tranche (entre 0 et 1,91 euro). Grâce à cela, on réduit déjà d’à peu près 20 % l’impact des baisses de prix sur la rémunération. En 2019, les nouveaux honoraires à l’acte de dispensation seront instaurés, en même temps que les taux de marge des différentes tranches seront progressivement diminués en dessous de 10 % en 2020. Résultat, à terme, l’impact des baisses de prix sera divisé par quatre, la part de la marge commerciale ne représentant plus que 25 % de la rémunération des pharmaciens. D’octobre à décembre dernier, j’ai participé à 38 réunions partout en France. J’y ai rencontré de très nombreux confrères, syndiqués ou non, adhérents de l’USPO ou non. Au départ, ils étaient inquiets et montraient un besoin d’être informés dans les moindres détails. À l’issue de ces rencontres, ils m’ont remercié de leur avoir expliqué la stratégie, chiffres à l'appui, qui a conduit à la signature de l’avenant n° 11 et confié qu’ils étaient désormais rassurés et parfaitement convaincus. Mais nous n’entendons pas nous arrêter là. Il faut encore enrichir la convention de nouvelles missions, telles que la préparation des doses à administrer ou la dispensation des chimiothérapies à domicile. Lors des 10es Rencontres de l’USPO, Muriel Dahan, directrice des recommandations et du médicament à l’INCa, abordera d’ailleurs la question d’une meilleure prise en charge des patients sous chimiothérapie orale à l’officine. Toutefois, pour développer ces missions, il manque un élément important, le décret sur les services.
Justement, comme l'a révélé « le Quotidien », le conseil d’État vient d’enjoindre le gouvernement à prendre un décret d’ici au 15 juillet…
C’est exact et il va enfin permettre de décrire toutes les prestations et services que peuvent proposer les pharmaciens à leurs patients ou à une collectivité territoriale. Ces services pourront être rémunérés, pris en charge par l’assurance-maladie ou les complémentaires, voire les deux. La perspective de ce décret représente une grande satisfaction pour nous. Dans ce contexte, j’ai invité des représentants de l’Ordre, des groupements, des industriels et des patients à venir exprimer, lors des Rencontres, ce qu’ils attendent des pharmaciens dans ce domaine pour les prochaines années.
Une autre table ronde sera consacrée à l’expérimentation de la vaccination contre la grippe à l’officine. Quelles évolutions souhaitez-vous pour la prochaine campagne vaccinale ?
Plus de 150 000 personnes ont été vaccinées au sein des deux régions tests, Auvergne-Rhône-Alpes et Nouvelle-Aquitaine. C’est énorme, alors que les formations ont démarré tardivement, en mai ou juin dernier. Mais aujourd’hui c’est un succès et les patients sont très satisfaits. Désormais plus personne ne remet en cause la vaccination par les pharmaciens. Toutefois, le dispositif peut encore évoluer. Nous souhaitons, par exemple, qu’il soit étendu aux primovaccinants, à l’exception, bien sûr, des plus jeunes, des femmes enceintes ou des personnes à risque. En effet, ces primovaccinants sont souvent des actifs qui souhaitent se faire vacciner, mais qui sont découragés à l’idée de prendre un rendez-vous chez un médecin. Nous pensons également que la vaccination contre la grippe à l’officine doit être étendue à toutes les régions volontaires dès l'année prochaine.
Au-delà de la vaccination, cette table ronde, qui réunira notamment la présidente de l’Ordre Carine Wolf-Thal et le directeur général de Klésia, sera l’occasion d’aborder le sujet de la médication officinale. Celle-ci, qui s’inscrit dans la stratégie nationale de santé définie par la ministre de la Santé Agnès Buzyn, doit être intégrée au parcours de soins et prise en charge par les complémentaires. Les pharmaciens y sont prêts. L’avenant n° 11 que nous avons signé cet été le montre : la profession a clairement choisi le camp du patient. Elle s’engage à relever les défis d’une nouvelle organisation du système de santé. Les pharmaciens ne font pas six ans d’études pour faire du low cost.