LES ENQUÊTES effectuées par l’auteur auprès des usagers du système de santé confirment que le principal motif de l’automédication est d’éviter le recours au médecin pour des maux bénins. Mais il existe beaucoup d’autres déterminants : pratiques, culturels, sociaux ; certains sont moins évidents, comme le souci d’éviter des examens médicaux intimes ou de cacher un traitement à l’entourage. L’automédication n’est pas un phénomène nouveau, elle procède d’une liberté individuelle. Elle a été encouragée par les pouvoirs publics avec les mesures du libre accès et des déremboursements massifs. « Cette incitation économique avait pour objectif de faire du patient, un acteur de sa santé, autonome et responsable, précise l’anthropologue. Le recours à l’automédication est aussi un acte politique : la personne s’affirme comme libre décideur et acquéreur de ses soins. Mais cette attitude, valorisée par les pouvoirs publics, n’est pas toujours rationnelle et sans risque. » La mise en danger ne relève pas de la seule responsabilité des usagers, mais de celle des agences publiques et des firmes pharmaceutiques qui sont à l’origine de méprises et d’accidents : lacunes dans la rédaction des médicaments, noms commerciaux trompeurs, marques ombrelles, notices illisibles. L’automédication est parfois induite par des comportements discutables des professionnels de santé qui remettent en question les idées couramment admises sur la prescription du médecin ou le conseil du pharmacien.
Parmi les personnes qui consultent, certaines estiment que le médecin n’a pas résolu leurs problèmes, ou a occasionné un retard de diagnostic, ou encore prescrit des antibiotiques de façon trop répétitive ou injustifiée. D’autres s’interrogent sur la bivalence du conseil pharmaceutique : vrai conseil thérapeutique ou simple conseil d’achat pour vendre ? « Ces personnes doivent-elles continuer leur approche critique ou s’en tenir à la parole donnée par le médecin ou le pharmacien ? questionne Claude Rambaud, présidente du Collectif interassociatif sur la santé (CISS). Actuellement, les patients sont invités à acheter les médicaments sur Internet, ils peuvent aussi en trouver certains dans les grandes surfaces ; le patient est devenu un consommateur autonome, un peu trop peut-être », reconnaît la présidente.
Paradoxalement, les recommandations officielles de mise en garde associées à la pratique de l’automédication la vident de son contenu, la notion d’autonomie disparaît : diabolisation de l’armoire à pharmacie, liste de médicaments dangereux ou inutiles, prudence avec les boîtes entamées, problèmes d’observance, rôle de proximité du pharmacien… « Il faut sortir du tout médicament et prendre conscience que la santé est devenue un marché, prévient Claude Rambaud. Avec des messages subliminaux, on banalise le médicament, on en fait un produit comme un autre. L’automédication doit rester un parcours de soins et non de consommation. »
* L’ouvrage a reçu le prix Prescrire 2013. Ed. PUF. Paris 2012, 182 pages.