D'où vient le mot « dermocosmétique », utilisé aujourd'hui dans le langage courant ? Ce néologisme est né, il y a plus de cinquante ans, de l’imagination d’un pharmacien, Pierre Fabre. Ou plus précisément, de la conjugaison de deux de ses passions. « Il avait une fascination pour l’eau et pour les plantes. C’est d’ailleurs à ce titre qu’il a effectué, notamment, des études de qualité sur la source Avène, avec la suite que l'on connaît », se souvient Bernard Charles, qui fut son conseiller.
Dans une démarche visionnaire, Pierre Fabre, convaincu que le pharmacien doit se différencier des autres circuits de distribution en valorisant son rôle de professionnel de santé, développe le concept de dermocosmétique. « Pierre Fabre était avant tout un pharmacien. Or, ne disposant pas des produits pouvant soulager les problèmes de peau de ses patients, notamment la sécheresse cutanée, il s’est mis en quête de solution », rappelle Éric Ducournau, président-directeur général de Pierre Fabre Dermo-Cosmétique (PFDC).
Produits frontière
Aujourd’hui, la dermocosmétique, qui s’affiche en tête des rayons beauté/santé et se décline dans de nombreuses langues, n’est toujours pas entrée dans le dictionnaire de l’Académie française.
Cela ne l’empêche pas de posséder sa propre définition, résultant d’un consensus au niveau européen, née au fil des décisions de justice dans l’Hexagone et dans d’autres pays européens, comme le souligne Corinne Déchelette, docteur en pharmacie et spécialiste en cosmétologie auprès des Laboratoires Pierre Fabre (1).
Du reste, la dermocosmétique relève d’une réglementation européenne impliquant des tests d’efficacité auto-imposés et des tests de tolérance et d’innocuité, pour laquelle la France a beaucoup œuvré. Un produit dermocosmétique est communément considéré comme un topique répondant à une problématique de peau saine ou fragile, voire en complément d’un traitement dermatologique per os. La formulation est élaborée selon un protocole, que décrit Éric Ducournau : « elle donne lieu à des tests in vitro et in vivo, et à une présentation auprès des dermatologues, cette dernière étape étant notre crash test. Et nous l’avons déployée dans tous les pays du monde où nous sommes présents. »
La santé visible
Aux frontières du médicament et du cosmétique, Pierre Fabre a également introduit une notion de savoir-faire galénique essentielle. « Il partait du principe que plus le produit serait agréable et toléré par le patient, et plus ce dernier serait compliant », témoigne Éric Ducournau.
C’est ainsi que l’hypoallergénicité est l’une des caractéristiques communes aux produits se réclamant de la dermocosmétique. Aujourd’hui, le groupe Pierre Fabre dermocosmétique, qui réalise 70 % de son chiffre d’affaires en dehors de l’Hexagone, pousse encore plus loin la notion de galénique en s’adaptant aux textures de peau spécifiques aux ressortissants des pays importateurs.
Aux quatre coins du monde, le groupe recherche l’assentiment des dermatologues, des « prescripteurs » précieux sans la caution desquels la dermocosmétique ne trouverait pas sa place. Les pharmaciens constituent ce qui est considéré par PFDC comme le deuxième maillon scientifique, une caution supplémentaire pour assurer la distribution de ce produit sans AMM. Comme une barrière à franchir pour récolter le sceau de la reconnaissance. « Les pharmaciens sont les garants de la sécurité et de l’efficacité de ces produits de santé de la peau, par ailleurs visible. Pour preuve, le consommateur mécontent d’un produit n’hésitera pas à le rapporter à son pharmacien ! », expose le président de PFDC.
Ces critères suffiraient-ils à baliser une catégorie de produits dont le nom n’est ni déposé, ni protégé ? « Pierre Fabre, par ailleurs astucieux sur le plan des marques, n'avait pas envisagé cette démarche. Il était de ceux qui pensent que pour réussir, pour faire exister une catégorie de produits, il ne faut pas être seul », se souvient Éric Ducournau.
À Lavaur, la généralisation du terme dermocosmétique à tout un marché, observée depuis environ cinq ans, est donc considérée comme une marque de reconnaissance, voire un symbole de réussite. « Pourvu que les fabricants qui s’en revendiquent, se conforment au protocole », précise le président de PFDC. Le laboratoire, « dépositaire » du terme, est formel. Il ne craint en aucun cas que, en se l’appropriant, les autres laboratoires n’en affaiblissent l’aura, ou pire, le vide de tout sens.
Pas de définition légale
Un faux problème pour certains scientifiques. En effet, il n'y a selon eux aucune définition légale à ce qu’ils décrivent avant tout comme « un concept purement marketing qui ne repose sur aucune exigence particulière du point de vue de la formulation ». C'est ce qu’affirment Laurence Coiffard et Céline Couteau, chercheures-enseignantes au laboratoire de pharmacie industrielle et de cosmétologie de la faculté de pharmacie de Nantes, (2) : « il n’y a pas d’entre deux, un produit sera soit un cosmétique, soit un médicament. »
Alors que la dermocosmétologie est enseignée aux étudiants en pharmacie de cinquième année, il y a lieu, selon elles, de rétablir la vérité. Car force est de constater qu’aujourd’hui « toutes les compositions pharmaceutiques et commercialisées en officine ou distribuées en GMS, il s’agit de copié collé, bien souvent ».
Pour échapper à cette tendance, Céline Couteau réclame davantage de différenciation. « Le concept liant le cosmétique à la santé devrait jouir d’un véritable statut, ce qui correspondrait à un cahier des charges bien précis, sachant que la liste des ingrédients à exclure ne serait pas gravée dans le marbre », dit-elle. Et de prôner l’établissement d’un statut particulier ainsi que le rattachement des produits de protections solaire à la catégorie des médicaments. « Avec pour indication la prévention des cancers cutanés photo-induits », précise-t-elle. Dans la même veine, on pourrait ainsi envisager des produits reconnus comme dispositifs médicaux, dans l’acné, par exemple.
Tout comme il ne croit pas aux risques d’une banalisation du terme dermocosmétique, Éric Ducournau réfute toute idée d’un statut particulier. Ce serait, selon lui, nier la consécration du concept et son formidable essor à l’international. Car le terme autant que les produits s’exportent, symbole d’une « french pharmacy » inimitable.
(1) Auteure du livret « La Dermocosmétique – Une conviction » (PFDC).
(2) Auteures du blog http://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr.