Actifs sur les réseaux sociaux, ces « anti-masques » appuient leur position sur plusieurs arguments. Le masque serait d’abord inutile. Il serait même dangereux, ne permettant pas une oxygénation suffisante et constituant un nid à bactéries. L’épidémie serait ensuite terminée, et pour certains, elle n’aurait jamais eu de réalité. Enfin, le port obligatoire du masque viserait l’asservissement de la population.
« Si ces quatre arguments se heurtent méthodiquement à l’ensemble des faits scientifiques, ils en disent néanmoins déjà beaucoup sur le profil des individus qui les développent : défiance institutionnelle, refus des contraintes, croyance dans les thèses complotistes », résume l’auteur de l’étude, Antoine Bristielle, professeur agrégé de sciences sociales et chercheur à Sciences Po Grenoble.
Pour mieux cerner ce mouvement de contestation, le chercheur a soumis, via les groupes d’anti-masques sur les réseaux sociaux, un questionnaire à plus de 1 000 personnes. Il en ressort une forte défiance envers la parole institutionnelle et celle des politiques : seulement 2 % des personnes interrogées font par exemple confiance à Emmanuel Macron.
Les « anti-masques » se caractérisent également par un rejet des élites et l’adoption d’attitudes « populistes ». Ces positions se sont traduites lors du premier tout de l’élection présidentielle de 2017 : 40 % des « anti-masques » ne se sont pas exprimés lors du scrutin (abstention, vote blanc ou nul, etc.) et parmi les participants, le vote pour les candidats dits « antisystème » était majoritaire (20 % pour Jean-Luc Mélenchon et 27 % pour Marine Le Pen).
Courant libertarien et théories complotistes
Autre spécificité, le refus du masque est associé à une adhésion au courant libertarien (et notamment au refus de toute ingérence de l’État) et à une sensibilité aux théories conspirationnistes. Ils sont ainsi 90 % à considérer que « le ministère de la Santé est de mèche avec l’industrie pharmaceutique pour cacher la réalité sur la nocivité des vaccins ». À cela s’ajoutent une défiance à l’égard des médias et une influence des réseaux sociaux, où l’entre-soi ne permet plus d’être exposé à des contenus aux points de vue différents.
L’auteur note une convergence entre les profils des « anti-masques » et des « pro-Raoult », mais une divergence avec les « Gilets jaunes », défiants à l’égard des institutions, mais plus jeunes et « appartenant aux classes populaires ». Les « anti-masques » sont ainsi plutôt des femmes (près de 63 %), d’une moyenne d’âge de 50 ans et ont un niveau d’étude moyen équivalent à un bac +2.
« Forte défiance envers les institutions politiques et médiatiques, rejet des contraintes et des élites, perméabilité aux thèses complotistes, le tout accéléré par une utilisation sans véritable recul des réseaux sociaux : la mobilisation en ligne contre le port du masque nous montre en creux la fragilité de nos démocraties », observe l’auteur, notant que les crises ne créent pas les individus défiants, mais les mobilisent.
En pleine crise sanitaire, ce constat a de quoi interroger, tant il détermine l’adhésion de la population aux mesures de santé publique. Ce d’autant que les « anti-masques » interrogés déclarent à 94 % qu’ils refuseront « de se faire vacciner contre le Covid-19 le jour où un vaccin sera disponible ».