La tendance esquissée ces dernières années en matière de naissances s'est récemment confirmée. La courbe de la natalité française, qui est passée de -2,4 % à -0,7 % de 2015 à 2019, a continué de se redresser dans les premiers mois de l'année 2020 (INSEE). Cette tendance impacte directement le volume des laits infantiles vendus en pharmacie car si 74 % des enfants sont allaités à la naissance (BEH Étude Epifane 2012-2013), les mères auront rapidement recours au lait maternisé (39 % des enfants encore allaités à 3 mois, mais seulement 10 % de façon exclusive).
La crise sanitaire liée au Covid-19 a par ailleurs déclenché un réflexe de stockage chez les parents (et les circuits distributeurs). « En mars et avril, les ventes du marché ont connu une forte hausse en pharmacie comme en GMS sous l'effet d'une demande angoissée à l'idée de manquer de lait pour nourrir leur enfant, explique Arnaud Gabet, responsable du développement de l'officine chez Nestlé (Guigoz, Nidal). Logiquement, les deux mois suivants ont vu chuter les achats et on a retrouvé des échanges normalisés dès juillet. »
Bien que compensé par la suite, « l'effet Covid » aura sans doute contribué à la légère progression, à avril et sur douze mois, du marché global – tous circuits confondus – plus marquée en valeur (+6 %) qu'en volume (+0,7 %) (source fabricants). Dans ce contexte, l'officine tire nettement son épingle du jeu. Bien qu'elle n'occupe que 40 % des parts du marché en volume - 48 % des laits 1er âge, 38 % des laits 2e âge, 14 % des laits de croissance en cumul fixe à juin 2020 (source fabricants) -, elle a vu ses ventes augmenter de 7,6 % en volume et 13,5 % en valeur en CMA à juillet 2020 (source IQVIA Pharmastat).
Assurance supplémentaire
Une autre tendance se confirme en termes de demande, celle qui plébiscite l'offre en laits bio. Le phénomène, qui s'inscrit dans les traces de la révolution verte que connaît le secteur alimentaire, atteint aujourd'hui des proportions inégalées avec une hausse de 50 % en valeur des ventes de laits d'origine biologique sur un an au mois de mai 2020 (source fabricants). « Leur part ne cesse de progresser à l'officine », indique Jeanne Barraux, chef de produits Physiolac (Laboratoires Gilbert). « Le développement du bio est loin d'être terminé, le segment n'est pas arrivé à maturité », poursuit-elle en comparant la part de 18 % que représente l'offre bio sur le marché de la nutrition infantile à celle de 8 % qu'elle occupe aujourd'hui sur le rayon des laits - standards et thérapeutiques - en pharmacie. « Les problèmes sanitaires rencontrés ces dernières années par certains acteurs du marché ont accentué la recherche de gages en matière de sécurité alimentaire. »
Mais l'engouement pour le bio dépasse les problématiques ponctuelles pour s'apparenter à un mouvement profond qui fait de l'origine biologique une assurance supplémentaire de qualité pour de nombreux profils de parents, qu'ils soient eux mêmes consommateurs de bio ou qu'ils le réservent à leur enfant. « La notion de local ou « made in France » est un autre argument qui gagne en importance auprès du public qui s'interroge sur le lieu d'élevage des vaches et tend à vouloir tout savoir, jusqu'à scanner les QR codes pour connaître les dates de fabrications, les numéros de lots… C'est le signe d'une crise de confiance générale des consommateurs face aux industriels. » Non contente de référencer une ligne bio (Physiolac Bio 1,2,3, AR1,2) aux côtés de ses offres standards (Physiolac 1,2,3) et spécifique (réhydratation/diarrhée), la gamme Physiolac affiche une petite carte de France sur ses boîtes afin d'indiquer l'origine de ses laits. D'autres gammes revendiquent leur fabrication française, comme Modilac (Sodilac) et ses laits standards (Doucéa 1,2,3, Nuit), pour les troubles digestifs bénins (Actigest 1,2), antirégurgitation (Expert AR 1,2) et bio (Modilac Bio 1,2,3, Expert AR Bio) ou la gamme Biostime SN-2 Bio Plus (1,2,3 et AR1,2) du Laboratoire Polivé, qui indique même le nom de sa coopérative normande (Isigny-Sainte Mère). En parallèle, l'offre estampillée bio - qui comprend aussi Babybio de Vitagermine, Picot Bio chez Lactalis Nutrition - se diversifie sans cesse avec des gammes comme Calisma Bio chez Gallia (Blédina) et Les récoltes Bio (Blédina).
Segments porteurs
« Si la demande en laits bio explose, l'offre est au diapason », poursuit Arnaud Gabet, qui rappelle la mise sur le marché de la ligne Guigoz Bio 1,2,3 en 2018 et souligne les formules avancées des laits standards Guigoz 1,2,3 et des laits fonctionnels (AR, colique, troubles associés haut et bas, HA, prématurés). « Sur le segment global des laits bio, 77 % des ventes sont réalisées en GMS et 23 % en pharmacie, mais c'est l'officine qui bénéficie le plus de la croissance du secteur. » D'autres atouts caractérisent le circuit. « La proximité du lieu et le maillage qu'il offre sont des avantages certains pour les jeunes parents. Une étude récente a montré que les plus petites structures ont bénéficié d'un trafic beaucoup plus important pendant la crise sanitaire. » À la même période, les parts du marché de la distribution des laits, longtemps partagées entre les seuls circuits officines et GMS, ont elles aussi évolué pour voir se renforcer la dématérialisation des achats via les sites de vente en ligne des pharmacies, le drive en GMS, mais aussi la commande sur Amazon.
Le monopole que détient l'officine sur les laits spécifiques pour nourrissons et enfants du premier âge (généralement au statut DADFMS*), des segments de la régurgitation (AR), l'hypoallergénie (HA), des laits pour prématurés, de l'allergie aux protéines de lait de vache (APLV), de la colique (AC), de la diarrhée (AD), de la diarrhée aiguë (solutés de réhydratation orale) et des laits sans lactose, renforce l'image d'expertise dont elle bénéficie aux yeux des parents, certaines gammes étant spécialisées dans ces problématiques, notamment allergiques (Neocate, Pepticate Syneo chez Nutricia Nutrition Clinique) et APLV (Nutramigen chez Mead Johnson). Dans ce sens, les Laboratoires Novalac (Ménarini) consacrent pas moins de trois références de leur gamme à la problématique de l'APLV (Allernova, Allernova AR, Amina) que complètent une alternative végétale (Novalac Riz) et un lait HA (Novalac HA). Des laits AR (AR 0-36, AR+1,2), constipation (Transit+), coliques (AC) et diarrhée (Diarinova) viennent les seconder aux côtés d'une gamme standard qui accueille la formule Novalac Relia 2 et le lait de croissance Novalac 3 (vanille, banane-pomme).
En relais de l'allaitement maternel et en cas de petits soucis digestif du bébé, les parents solliciteront volontiers le conseil du pharmacien. D'autant plus que le vocabulaire assez technique utilisé par les laits spécifiques - antirégurgitation (AR), hypoallergéniques (HA), anti-colique (AC), anti-diarrhée (AD), transit, satiété - peut également les dérouter et alimenter le besoin d'explication. Par ailleurs, cette offre, qui occupe une part majeure (67 % en valeur) des laits infantiles vendus en pharmacie abrite des segments en croissance. Les laits de confort – souvent désignés par des terminologies en « gest » - voués à soulager les troubles intestinaux hauts et bas (petits désordres du transit), font ainsi office de levier. « Ils ont gagné 32 % sur un an », précise Laurène Pétoin, responsable du réseau pharmacies chez Lactalis Nutrition. Dans ce cadre, Picot étoffe son offre (fabriquée en France) depuis 2020 avec sa gamme Picogest et un lait de satiété Picot Bébé Gourmand, secondés des gammes Picot AR (et l'épaississant Magic Mix) et Picot AC dédiées aux problèmes de régurgitation et de coliques.
* DADFMS (denrées alimentaires destinées à des fins médicales spéciales).