Professeur à l’université d’Indianapolis (États-Unis), John Hertig préside une association pour la sécurité pharmaceutique en ligne. Il estime que la planète compte « entre 35 000 et 45 000 pharmacies virtuelles… dont 95 % sont illégales ». Les réglementations américaines ou européennes permettent certes de limiter les abus et de traquer les plateformes illégales, mais n’empêchent pas pour autant de nombreux acheteurs de commander n’importe quoi à n’importe qui (voir encadré). Selon lui, les officinaux devraient connaître les réalités des ventes en ligne, et ne pas hésiter à aborder le sujet avec leurs patients. « Vous devriez leur demander d’où viennent les OTC qu’ils achètent en ligne », conseille-t-il : cela leur serait bénéfique, et renforcerait le rôle du pharmacien en tant que spécialiste du médicament.
Vice-présidente de la FIP et professeur et officinale à Bombay (Inde), Manjiri Gharat souligne les risques spécifiques du développement rapide des pharmacies en ligne dans les pays pauvres. D’abord, il n’y existe souvent aucune réglementation, pas plus que de listes de sites siglés et autorisés comme dans l’Union européenne ou en Amérique du Nord. Ensuite, les habitants des pays à faible revenus n’ont souvent aucune « littéralité » sanitaire, c’est-à-dire de compétences élémentaires sur les structures et produits de santé, et sont donc plus enclins à pratiquer une automédication irresponsable si les prix sont bas et l’accès facile. En outre, les pharmacies en ligne désorganisent les réseaux officiels, qui vont manquer encore plus de moyens pour améliorer leurs services et leur qualité.
Un phénomène accéléré par la pandémie
Ukamaka Okafor, au nom du Conseil des pharmaciens du Nigeria, s’inquiète de l’explosion des ventes en ligne dans son pays, alors qu’une législation tarde à se mettre place et que les contrefaçons prospèrent. Elle constate que si certains pays, comme les deux Corées ou l’Égypte, échappent encore au phénomène, d’autres tentent de le réglementer : l’Indonésie exige que les plateformes soient adossées à des officines et les pharmaciens indiens, très mobilisés, sont parvenus jusqu’à présent à limiter ces ventes grâce à de nombreux procès.
La pandémie a accéléré le phénomène des ventes en ligne, légales et illégales, d’autant qu’elles sont plus lucratives pour les délinquants que les trafics de drogue, d’armes ou d’êtres humains. Comme s’en amusait ironiquement John Hertig, « on trouvait déjà des vaccins et des traitements contre le Covid sur Twitter et Alibaba en avril 2020… ». De plus, aux États-Unis, la proportion de personnes prêtes à acheter ou ayant déjà acheté un OTC en ligne est passée de 34 % en 2017 à 80 % en 2020, et de 23 à 67 % pour les prescriptions.