Beaucoup de phantasmes et de fausses vérités entourent la vie du grand compositeur autrichien. Pour leur tordre le cou et entrer dans l’intimité d’Amadeus, il faut lire l’ouvrage de référence « Wolfgang Amadeo Mozart, rêver avec les sons », de la musicologue et chef de chœur Michèle Lhopiteau-Dorfeuille, paru aux éditions Le Bord de l’Eau en 2011. En s’appuyant sur un trésor d’archives - la correspondance écrite de la famille Mozart réunie en 7 tomes de 500 pages (disponible en français depuis 1994 chez Flammarion) - l’autrice nous embarque bien loin de la vision certes magnifique mais peu véridique du film « Amadeus » de Milos Forman, chef-d’œuvre aux huit Oscars. Le cliché d’un Mozart immature et jeunot laisse la place à un homme fantasque, bon vivant et séducteur, plutôt prompt à collectionner les aventures féminines. L’enquête ouvre aussi une piste nouvelle quant à la cause de sa mort.
Mort de fièvre ?
Jusque-là, les thèses principales avaient tendance à accuser une nature fragile emportée par une fièvre miliaire – ce qu’indique l’acte de décès - ou une fièvre rhumatismale aiguë (c’est la thèse officielle défendue par le médecin viennois Anton Neumayr qui a cours depuis les années 1990), tandis que d’autres avis ouvraient la piste d’un empoisonnement par son rival jaloux, le compositeur italien Antonio Salieri, ou même par sa loge maçonnique qui n’aurait pas supporté les références subtiles aux rites initiatiques de la corporation délibérément insérés par Mozart dans La Flûte Enchantée. En 2010 Lucien Karhausen, un médecin allemand, fait une liste de près de 140 diagnostics pouvant expliquer la mort du compositeur ! Difficile donc de démêler le vrai du faux, d’autant que son corps n’a jamais été retrouvé.
La liqueur de van Swieten
Il faut revenir à Vienne à l’automne 1791. Septembre, octobre, novembre, trois mois intenses rythmés par les représentations de la Flûte enchantée, dont la première a lieu le 30 septembre. Un peu plus tôt, fin août, Mozart venait de terminer en trois petites semaines La Clémence de Titus à livrer impérativement pour le couronnement de Léopold II et, dans le même temps, il commençait la composition de son Requiem. Les sons jaillissent dans son esprit tourmenté. Et plus il y consacre du temps, plus il a l’impression, de son propre aveu, d’écrire pour sa propre mort. L’artiste ne peut refuser aucune commande car les dettes impayées sont trop lourdes. L’œuvre, dont l’achèvement sera confié à d’autres plus tard, est déjà sublime dans ses premiers fragments. Mais l’homme est épuisé, il se plaint de fièvres et de vomissements à répétition, ce qui lui rappelle encore une fois sa nature fragile, déjà ébranlée au fil de sa courte vie par des fièvres et des infections streptococciques.
Pourtant, comme souvent à l’époque, il a su combattre le mal. Il se ressource régulièrement à l’aide de diverses médecines, dont une en particulier est à la mode dans les cercles de la haute société viennoise. La liqueur du Docteur Gerhard van Swieten est un petit miracle antisyphilitique. Très recherchée, elle devient une potion en vogue dont on ne soupçonne pas le danger et que l’on se plaît à ingurgiter comme un simple remontant. Vraisemblablement, Mozart en prend souvent, avec excès même. L’élixir, à base de mercure, a des propriétés antiseptiques, antiparasitaires, antisyphilitiques et purgatives. Il le soulage dans ses moments de faiblesse et après ses échappées infidèles.
La réputation du médecin ne laisse pas de place au doute. Gerhard van Swieten, originaire de Leyde, en Hollande, est devenu le médecin préféré de l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche. Sa liqueur fait le tour de l’Europe et de l’armée autrichienne. À la cour, il crée un amphithéâtre anatomique, un laboratoire de chimie, une école de clinique et le jardin botanique de Schönbrunn, dont il confie ensuite la charge à un de ses compatriotes, le botaniste hollandais Nikolaus Joseph von Jacquin. Son fils, le baron Gottfried van Swieten, est un aristocrate féru de musique qui se lie d’amitié avec Haydn, Beethoven et Mozart. Pour ce dernier, plus qu’un ami, Gottfried est un véritable mécène qui lui fait découvrir les œuvres de Bach et de Haendel et le soutiendra financièrement toute sa vie. Plusieurs lettres en attestent. Et même après la mort du génie, il aidera sa femme et ses enfants à subvenir à leurs besoins. Il n’est donc pas difficile de comprendre qu’il était très simple pour Mozart de se fournir en potion miraculeuse du Docteur van Swieten. Il lui suffisait d’une cuillerée du remontant dans un verre d’eau sucrée, de tisane ou de lait pour se sentir mieux.
Intoxication au chlorure de mercure
Dans son étude, Michèle Lhopiteau-Dorfeuille qui a retrouvé la trace de la liqueur au chevet du compositeur, entreprend d’analyser plus spécifiquement cette présence au regard du moment de la mort. Avec l’aide du médecin légiste François Cerutti, elle tente de déterminer si les symptômes ressentis par Mozart – dont plusieurs sont mentionnés dans les documents d’archives - pouvaient correspondre à une intoxication au mercure, alors que des témoignages rapportent justement que Mozart se plaignait d’un désagréable « goût de fer dans la bouche » au moment de son agonie. Pour la musicologue et pour le médecin légiste, la fièvre élevée, les fortes migraines, l’enflure des pieds et des mains, les vomissements et les spasmes violents, la douleur aux reins et enfin le coma de courte durée dont a été victime le compositeur, correspondent parfaitement à une néphropathie aiguë, provoquée par une intoxication au chlorure de mercure. Voilà donc une nouvelle thèse jetée sur l’autel déjà bien encombré des suppositions multiples et variées sur la mort d’Amadeus. Une thèse qui a fait mal déglutir les Autrichiens, très attachés à la mémoire glorieuse de leur médecin impérial, dont une statue trône toujours à Vienne sur le monument à la mémoire de Marie-Thérèse d’Autriche. Pour ce qui est de la liqueur, elle sera traitée de poison par Raspail en 1863 et retirée de la pharmacopée française en 1880.
« Fin 1791, Mozart était bel et bien à deux doigts d’atteindre l’objectif que feu son père avait fixé pour lui : devenir le musicien le plus aimé et le plus fêté d’Europe », rappelle la spécialiste dans son livre. Le dopage, inconscient, aura peut-être eu raison de lui, laissant à la postérité une énigme fascinante.