Mieux comprendre l'origine de la pandémie de coronavirus

Des chauves-souris et des hommes

Par
Publié le 04/05/2021
Article réservé aux abonnés

Bien connus de la médecine vétérinaire, les coronavirus concentrent aujourd’hui l’attention de la recherche mondiale. Spécialiste du sujet depuis 1978 mais contraint de stopper ses recherches faute de financement en 1997, le chercheur vétérinaire virologue Hubert Laude, appelé à la rescousse dès que le Covid-19 a fait son apparition, décortique ce coronavirus et les menaces qui pèsent sur l’humanité.

chauve-souris

Le nombre de coronavirus hébergés par les 1250 espèces de chauve-souris, chez lesquelles l’infection est le plus souvent silencieuse, est estimé à 3000
Crédit photo : Phanie

Depuis les premiers cas formels de Covid-19 en Chine en décembre 2019 aux plus de 3 millions de morts enregistrés dans le monde récemment, la pandémie n’aura laissé aucun répit aux chercheurs pourtant mobilisés comme jamais. Plusieurs vaccins efficaces ont vu le jour en moins d’un an, le traitement miracle n’a pas encore été découvert mais la prise en charge s’est adaptée au fil des mois. Pour y parvenir, la connaissance du virus est essentielle.

C’est dans ce cadre qu’en France, la sommité en matière de coronavirus, Hubert Laude, a dû sortir de sa retraite. « Ces virus à ARN sont responsables d’infections plutôt digestives ou respiratoires chez les mammifères et les oiseaux et se répartissent en quatre genres : Alpha, Bêta, Gamma et Deltacoronavirus. Ils touchent un très grand nombre d’espèces, dont l’homme, et leurs progéniteurs sont les vertébrés volants : les chauves-souris et les oiseaux », détaille le virologue.

Jusqu’en 2002, les coronavirus infectent peu l’homme, seulement quatre virus sans gravité sont connus pour provoquer des rhumes, ce qui n’incite pas à financer la recherche. Mais en médecine vétérinaire, ils sont considérés comme des pathogènes majeurs. C’est le cas de la bronchite infectieuse aviaire, devenue l’ennemi numéro un chez les poulets et combattue par la seule vaccination ; de la gastroentérite transmissible porcine qui s’est aujourd’hui raréfiée au profit du coronavirus respiratoire porcin ; et de la péritonite infectieuse féline, une maladie systémique mortelle provoquée par une mutation d’un coronavirus bénin présent chez de très nombreux chats. « L’enseignement tiré de ces trois maladies est que les coronavirus peuvent être très contagieux, provoquer tout un spectre de désordres pathologiques et qu’il n’y a pas de transmission connue de l’animal à l’homme », souligne Hubert Laude.

Mutation et recombinaison génétique

Mais en 2002, l’épidémie de SRAS rebat les cartes. Cette première coronavirose humaine grave est rapidement endiguée après 8 000 contaminations et 800 morts. Elle laisse place au MERS-CoV dix ans plus tard, qui se transmet encore sporadiquement du dromadaire à l’homme. Selon l’OMS, au 31 janvier 2020, plus de 2 500 personnes ont été infectées dont 866 sont décédées. « Contrairement au MERS-CoV, la propagation des deux SARS est interhumaine, ce ne sont donc pas des zoonoses mais des maladies d’origine zoonotique », précise Hubert Laude. Le SARS-CoV vient de la chauve-souris fer à cheval, ou rhinolophe, après être passé par un hôte intermédiaire, la civette palmiste. Le SARS-CoV-2 aurait la même origine, le plus proche coronavirus existant retrouvé (plus de 96 % d’homologie) provenant de la fameuse rhinolophe. Manque encore l’hôte intermédiaire responsable de la modification du virus et de sa transmissibilité à l’homme. « À moins qu’un coronavirus de cette chauve-souris encore plus proche du SARS-CoV-2 existe mais n’ait pas encore été identifié », suggère Hubert Laude, qui rappelle que le nombre de coronavirus hébergés par les 1 250 espèces de chauve-souris, chez lesquelles l’infection est le plus souvent silencieuse, est estimé à 3 000.

En attendant, le SARS-CoV-2 suit l’évolution génomique classique des virus et mute. « La mutation est une erreur d’incorporation de l’ARN polymérase, mais les coronavirus ont une fonction correctrice d’erreur portée par la protéine nsp14 qui les fait muter deux à trois fois moins vite que les virus influenza responsables de la grippe. Par ailleurs, un certain nombre de mutations sont dues à un processus d’édition génomique face aux défenses cellulaires. Donc, même si l’ARN ne fait pas d’erreur, il y aura des mutations », prévient le chercheur. Mais si les coronavirus mutent lentement, ils « recombinent facilement ». Il s’agit d’un échange de matériel génétique, possible lorsque deux coronavirus infectent un même hôte, ce qui reste peu courant. « Il n’y a pas eu, à ce stade, de confirmation formelle d’une recombinaison du SARS-CoV-2. L’apparition des variants est certainement à chercher ailleurs. »

Des espèces à surveiller

L’infection du SARS-CoV-2 est interhumaine, mais aussi possible de l’homme vers l’animal grâce au récepteur ACE2, porte d’entrée du virus, commun à plus de 200 espèces. « Des chiens et des chats ont été contaminés par leur maître, des grands félins dans les zoos par leur soigneur, et des visons par leur éleveur », rappelle Hubert Laude. Certaines espèces, comme les porcs et les bovins, sont très peu sensibles au virus, a contrario des primates et des hamsters. De même que les chiens viverrins et les visons, élevés pour leur fourrure, notamment en Chine. « Les visons ont payé le plus lourd tribut. De nombreux élevages ont été infectés au Danemark et au Pays-Bas, conduisant à l’abattage systématique. En France, un élevage sur les quatre existants a enregistré des infections et a subi le même sort », rappelle Hubert Laude. Car si le vison a bien été infecté par l’homme – les visons étant ensuite capables de s’infecter entre eux – il peut contaminer l’homme à son tour… avec un virus muté, ayant les aptitudes théoriques de créer un échappement immunitaire.

Face à cette épidémie, « les visons, les furets et les chiens viverrins sont les espèces à surveiller », recommande Hubert Laude. Plus globalement, il faudrait que disparaissent les marchés aux animaux tels qu’ils existent en Chine. « Tous les vétérinaires savent que le mélange d’espèces, y compris sauvages, est une prise de risque bien identifiée à l’origine de la plupart des pandémies. C’est le cas de la grippe, dont les souches évoluent en permanence et exigent un renouvellement des valences vaccinales chaque année, et qui vient de Chine, en raison de la promiscuité entre l’homme, le porc et le canard. C’est aussi le cas du SRAS qui vient de marchés d’animaux vivants où toutes les espèces sont mélangées dans des conditions sanitaires souvent très dégradées. » Ces interconnexions entre l’homme et l’animal plaident pour le déploiement du concept One Health. « Il faut que tous les mécanismes susceptibles de renforcer l’interaction entre les mondes de la médecine, du vétérinaire et de l’environnement soient activés pour lutter contre les pandémies infectieuses. »

* D'après une Webconférence organisée le 26 avril par la Société française de virologie, « Coronavirus des animaux et des hommes : faits et méfaits ».

Mélanie Mazière

Source : Le Quotidien du Pharmacien