L’automédication se fait la part belle dans l’officine de demain. Consultants, assurances complémentaires, groupements, syndicats, génériqueurs, y vont chacun de leurs projections pour prédire un avenir radieux à un segment qui englobe, sous le nom de selfcare, le médicament, le dispositif médical et le complément alimentaire.
Christian Grenier, président du groupement Népenthès, promet ainsi à l’automédication 20 % du chiffre d’affaires global de l’officine à l’horizon 2020. Toujours selon Népenthès, sur les 9 milliards d’euros de marge que dégagera le réseau officinal à cette date, 45,5 % reviendront aux ventes d’OTC et de parapharmacie. C’est dire la foi de ces pharmaciens dans le potentiel de développement du selfcare.
Un secteur en hausse
De leur côté, certains syndicats y voient un moyen de s’affranchir du joug de l’assurance-maladie. « Et de ne pas continuer à tendre la main au régime général », comme l’assure Jean-Luc Fournival, président de l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF). Cette vision est soutenue par une reprise du marché de l’automédication en France. Après des années 2013 et 2014 marquées par le recul, puis la stabilité, les ventes sont à nouveau en progression sur les douze derniers mois. Le médicament enregistre une hausse de son chiffre d’affaires de 6,2 % et de 4,9 % en volume, tandis que le complément alimentaire augmente ses ventes de 8,7 % en valeur et de 11,1 % en volume, comme l’indique l’Association française de l’industrie pharmaceutique pour une automédication responsable (AFIPA).
Cette reprise confirme le selfcare comme l’un des fers de lance du positionnement officinal. Elle contredit toutefois une étude de la Commission européenne (1) récemment présentée à Vienne lors du congrès du PPRI (2). Cette étude, qui porte sur l’analyse bénéfice/coût de sept modèles de selfcare européens, rend sceptique sur les facultés du selfcare à s’imposer dans les systèmes de santé actuels.
Ses auteurs passent au crible la prise en charge par chacun de ces sept modèles, de cinq « maladies bénignes » (mycose des pieds, rhume, toux, brûlures d’estomac et infection des voies urinaires). Sur le plan des bonnes pratiques et de la qualité scientifique, ces prises en charge se différencient peu selon qu’elles sont fondées sur l’automédication pure ou sur la prescription par le pharmacien. Le nombre de médicaments dispensés reste identique.
Des pharmaciens en premier recours
Deux initiatives britanniques paraissent les plus abouties car impliquant nécessairement une « prescription » du pharmacien ou de l’infirmière. Dans un premier cas, la prise en charge des maladies bénignes positionne les pharmaciens comme acteur du premier recours. Leur formation revient à 100 livres (141 euros) et la « consultation » d’une durée moyenne de 12 minutes est rémunérée 3 livres (4,25 euros) par la NHS (3). Pour être rentable, ce modèle nécessite cependant de convaincre plus d’un quart des patients. En effet, dans le cas d’une participation de 20 % des patients, le pharmacien reste déficitaire à hauteur de 4,07 livres (5,75 euros).
Le deuxième modèle, dénommé prescription sans ordonnance, qui consiste à autoriser les pharmaciens et les infirmières à prescrire dans une liste de produits préétablie, n’apporte paradoxalement aucun service rendu supplémentaire. Il est vrai que la formation revient à 1 236 livres (1 740 euros) par pharmacie. Le pharmacien qui passe en moyenne 18 minutes par « consultation » est rémunéré par un forfait NHS comprenant d’autres prestations. Là aussi, les projections démontrent qu’avec un taux de participation de 20 % du patient, le pharmacien reste perdant à hauteur de 14,45 livres (20,42 euros) par « consultation ».
Question de franchises
Ces exemples britanniques prouvent que l’engagement politique ne suffit pas à lui seul pour assurer le succès des dispositifs de selfcare. Pas plus que les autres exemples européens n’y parviennent. Car pour être efficients, c’est-à-dire apporter un bénéfice économique notable au système de santé comme au pharmacien, ces modèles requièrent un nombre trop élevé de patients participants.
Beaucoup de perdants donc et peu de gagnants, si ce n’est le patient. Et encore. Celui-ci parvient à tirer son épingle du jeu dans un modèle lui permettant d’économiser le temps d’une consultation chez le médecin et de réaliser des économies. C’est ainsi le cas dans le modèle de prise en charge des maladies bénignes où les prix des médicaments en OTC sont inférieurs aux frais d’ordonnance (8,05 livres, soit 10,87 euros par produit).
« Ce système de franchise, qui n’existe pas en France, est la preuve qu’il reste difficile de comparer des modèles européens entre eux », objecte Pascal Brossard, président de l’AFIPA. Il observe toutefois dans cette étude une tendance générale en Europe à favoriser l’automédication responsable selon les recommandations de la Commission européenne. Reste à savoir selon quel modèle. « Et à analyser l’apport pour une collectivité selon ses propres contraintes », ajoute le président de l’AFIPA.
L’automédication assistée par un site Internet pourrait présenter le plus grand bénéfice. C’est en tout cas la conclusion de l’étude qui pointe un déficit par patient de « seulement » 2,13 livres (3 euros) pour le pharmacien si le taux de participation atteint 20 %. La société est quant à elle bénéficiaire dès lors que 5 % de la population y prend part.
Encore faut-il que les patients soient en mesure de distinguer les maladies bénignes des pathologies graves. Un discernement qui ne pourra faire l’économie d’un professionnel de santé, notamment du pharmacien. A condition toutefois que les officinaux français affinent leur formation afin de pouvoir revendiquer une rémunération adaptée.
(2) 3rd international PPRI Conference Pharmaceutical Pricing and Reimbursement Policies : Challenges Beyond the Financial Crisis
(3) National Health Service, l’Assurance-maladie britannique.
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